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Un champ scientifique à l'épreuve de la Seconde guerre mondiale les revues de géographie françaises de 1936 à 1945

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par Laurent Beauguitte
Université Paris 7 - Master 1 2007
  

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1.6. Les bénéfices secondaires

Une période de restriction s'accompagne logiquement de rationnement et d'une volonté de contrôle plus grande. Vichy a multiplié les formulaires administratifs permettant de surveiller et de gérer la population (Noiriel, 1999, p.162-171). L'utilisation de ces documents a été d'une grande utilité pour certains géographes. Ainsi, l'utilisation des cartes d'alimentation permet le recensement des populations, que ce soit en France (AG, 1942, n°286 « Statistiques récentes », p.155) ou en Bohême-Moravie (Meynier, 1942, p.229). Elle s'avère également très utile à Raoul Blanchard pour étudier l'émigration dans les Alpes. Jean de Beauregard écrit en effet : 

« les "fiches bis des cartes d'alimentation" portaient l'adresse de ceux qui avaient quitté le pays et étaient renvoyées à la mairie du lieu de naissance qui les conservait. De sorte qu'il était possible de connaître, à l'unité près, la destination des émigrés » (In memoriam Raoul Blanchard, 1966, p.25-26).

Colette Laffond, élève de Raoul Blanchard, utilise le même outil pour étudier les transformations de l'économie dans les Gradins de Forcalquier (Laffond, 1945, p.95). Il est permis de supposer que d'autres géographes ont utilisé les données produites par Vichy, à condition bien entendu qu'ils aient pu y avoir accès. Les géographes n'ont pas été les seuls à bénéficier de tels effets secondaires positifs. Alfred Sauvy écrit ainsi qu' « actuellement, le rationnement alimentaire fournit un nouveau moyen de recensement » (Sauvy, 1944, p.13) et que le contrôle des étrangers est facilité par « les réglementations nouvelles : carte de travailleur, carte d'alimentation » (id., p.20).

1.7. La petite guerre dans la grande : Blanchard vs de Martonne

Le conflit entre « École de Grenoble » et « École de Paris », ou plus exactement l'inimitié profonde entre Emmanuel de Martonne et Raoul Blanchard, débute dès 1910. L'aspect scientifique du conflit porte sur les hypothèses géomorphologiques concernant la formation des Alpes, et les rôles respectifs de l'érosion fluviale et de l'érosion glaciaire. L'hostilité personnelle est tout aussi importante, et il est possible d'interpréter ce conflit comme une volonté d'autonomie de la part de Raoul Blanchard (Broc, 2001b). Le contexte dramatique de la période ne justifie visiblement pas l'arrêt des hostilités entre les deux écoles. Il est probable que certaines allusions m'aient échappé et que de nombreux articles de géographie physique que Raoul Blanchard prend un plaisir visible à démolir dans son « Bulletin bibliographique des Alpes françaises » annuel aient été écrits par des représentants de « l'école parisienne ».

Les élèves de Raoul Blanchard n'insistent pas sur ce conflit mais l'évoquent de façon transparente pour les lecteurs géographes de l'époque. André Allix, dans son compte rendu des Étapes de la géographie de René Clozier, écrit :« il présente maintes citations ; le choix est bon, et l'on ne s'étonnera pas que la part des maîtres parisiens y ressemble à celle du lion » (Allix, 1944, p.95). Le même, commentant le tome de la Géographie Universelle sur la France physique d'Emmanuel de Martonne, parle d'un texte « assez inégalement prodigue de mentions » (Allix, 1943c, p.250).

Le ton est comme toujours beaucoup plus tranchant avec Raoul Blanchard. Commentant un article de Jean Chardonnet, élève d'Emmanuel de Martonne, il écrit « M. Chardonnet [...] a envahi au mépris de toute équité le domaine d'études que s'était réservé avant lui P. Veyret [...] Nous apprenons aussi que le rôle des glaciers a été nul en montagne et qu'il n'y a eu qu'une glaciation. Cela promet » (Blanchard, 1943a, p.252). Et il est amusant de citer le compte rendu intégral consacré à l'ouvrage d'Emmanuel de Martonne concernant la France physique : « Les Alpes sont étudiées de la p.141 à la p.195. On notera avec intérêt qu'au cours du développement, aucune allusion n'est faite aux travaux du géographe qui se consacre depuis 37 ans à l'étude des Alpes françaises » (id., p.255). Il est peu probable qu'un volume de la Géographie Universelle ait fait auparavant l'objet d'un compte rendu aussi lapidaire.

Les revues scientifiques en général, et les revues de géographie en particulier, continuent à paraître pendant l'Occupation, que ce soit en zone occupée ou en zone libre. Poursuivre ses recherches, les publier, les diffuser, est un devoir patriotique, un moyen d'affirmer que, malgré les restrictions et le manque d'informations, la science française continue de progresser. Si étudier l'aspect quantitatif de la production ne pose pas de problème majeur, il est plus délicat d'en évaluer l'aspect qualitatif pour tenter de répondre à la question suivante : les géographes ont-ils été sensibles à l'idéologie pétainiste ? Un changement de ton est-il perceptible dans les articles parus entre 1940 et 1944 par rapport aux articles publiés entre 1936 et 1939 ?

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo