Un champ scientifique à l'épreuve de la Seconde guerre mondiale les revues de géographie françaises de 1936 à 1945( Télécharger le fichier original )par Laurent Beauguitte Université Paris 7 - Master 1 2007 |
1.4. Obtenir livres et informationsDès le déclenchements des hostilités, les échanges internationaux sont perturbés. La Géographie donne la liste des échanges interrompus par la guerre en décembre 1939 : elle compte 20 périodiques dont 8 allemands (tome LXXII, n°3, p.194). Par la suite, ce ne sont pas les périodiques de cette nationalité qui feront défaut. Les Actes de la Société de Géographie fournissent des informations très précieuses sur le fonctionnement de la bibliothèque et le volume des échanges. Fin 1942, la bibliothèque de la Société reçoit 40 revues dont 21 revues étrangères alors qu'elle en recevait 173 en 1939 (AG, 1943, n°289, p.77-78). En 1943, les échanges sont normaux avec cinq pays seulement : Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Norvège et Roumanie ; sur les 15 revues faisant l'objet d'un échange, 10 sont allemandes (AG, 1943, n°290, p.158-159). La présentation de la Bibliographie géographique internationale dans le BAGF est très claire à propos des obstacles rencontrés : cette « bibliographie de guerre [...] ne peut renseigner complètement sur les pays avec lesquels les communications sont devenues impossibles depuis 1940 » (BAGF, 1941, n°140-141, p.90). Le comptage effectué par Marie-Claire Robic sur les volumes de la Bibliographie Géographique Internationale illustre cette tendance : 2144 entrées pour le volume consacré à 1937 (paru en 1938), 2012 pour le volume de 1938 (paru en 1939), 1686 pour le volume portant sur 1939 (paru en 1941) et seulement 2138 entrées correspondant aux années 1940-1944 (paru en 1947) (Robic, 1991, p.558-559). Le cas le plus flagrant du rétrécissement des sources d'informations est celui des AG (figure 10). La revue reçoit de moins en moins de livres, de moins en moins d'ouvrages étrangers et ces derniers proviennent d'un nombre de plus en plus réduit de pays. Le nombre de pays émetteurs varie avant la guerre entre 25 et 27, il descend à 21 en 1939, 13 en 1940 puis oscille entre 4 et 6 entre 1941 et 1945 (l'Autriche ayant été compté comme un État indépendant). Figure 10 : Livres reçus par les Annales de géographie de 1936 à 1945 Source : Beauguitte Laurent Les revues régionales souffrent moins de la perturbation des échanges. Le nombre de références de la « Bibliographie des Alpes françaises » ne connaît une chute brutale qu'en 1941. Raoul Blanchard s'en excuse d'ailleurs auprès des lecteurs avec les termes suivants : « On voudra bien ne pas accueillir avec surprise la maigre gerbe que nous avons rassemblée ici. Elle ne présente guère, avec l'adjonction des laissés pour compte de 1939, qu'un volume inférieur de moitié à la normale. Lecteurs et chercheurs voudront bien faire la part des circonstances « (Blanchard, 1941a, p.359). Il faut préciser que la bibliographie parue en 1941 porte sur les travaux publiés l'année précédente. La même année, il écrit : « ce qui nous fait le plus défaut, ce sont les comptes rendus critiques, car nous recevons peu, bien que certains échanges aient pu être repris » (Blanchard, 1941b, p.372). Le cas de la Bibliographie pyrénéenne pose plus de problèmes : elle ne paraît pas chaque année, y compris en temps de paix. J'ai donc complété l'information pour la RGPSO en comptant le nombre d'ouvrages reçus et le nombre d'ouvrages chroniqués par année. Les informations ainsi obtenues semblent contredire la tendance générale : la revue reçoit un maximum d'ouvrages en 1943. Je n'ai pas d'éléments de réponse permettant d'expliquer ces chiffres. La démonstration est moins convaincante encore avec les ER : les variations observées concernent le nombre d'ouvrages chroniqués par année, elles sont peut-être dues à des modifications de la ligne éditoriale de la revue. Figure 11 : Bibliographies provinciales
*cartes non prises en compte Source : Beauguitte Laurent Les revues internationales, à l'exception des revues allemandes, ne sont plus reçues par les géographes français. Philippe Pinchemel souligne que ces échanges ne reprennent pas à un rythme normal sitôt la guerre finie, et il y voit une raison du décrochage scientifique des géographes français par la suite, notamment vis à vis des géographies anglo-saxonnes (Pinchemel, 1984, p.13). Mais, s'il est difficile de recevoir les revues étrangères, recevoir les revues françaises n'est pas toujours plus aisé. La circulation paraît relativement facile dans le sens zone occupée / zone libre. Même si la censure de Vichy, installée à Clermont-Ferrand, a empêché la diffusion d'ouvrages autorisés en zone occupée, AG et BAGF sont reçus et commentés à la RGA, et les ouvrages édités à Paris sont chroniqués dans les revues provinciales. Par contre, la circulation paraît plus difficile dans le sens inverse. Ce qui est publié en zone sud jusqu'en 1942 doit être soumis au Syndicat des éditeurs parisiens qui soumet, à son tour, les manuscrits aux deux bureaux allemands s'occupant de la censure, bureaux qui fusionnent en 1942 (Fouché, 1987, II, p.135). Les délais de réception se trouvent donc allongés. Les tomes du BSLG conservés à l'Institut de Géographie portent la marque de ces difficultés : le tome de 1942 est reçu le 8 février 1945 (tampon sur la couverture), le tome de 1943 porte inscrit au crayon la date 1946 (on peut supposer qu'il s'agit de la date de réception). Le volume des ER de 1942 porte un tampon daté du 3 février 1944. Le volume de 1943 porte la note manuscrite suivante : « date d'arrivée 16-6-44 ». Il serait tout à fait utile de compléter ces informations éparses en étudiant la diffusion des revues pendant la période. Il est fort probable qu'une des raisons de la hausse des abonnements soit, en plus de la pénurie de papier, les obstacles à la diffusion, que ce soit en direction des pays étrangers ou de la zone occupée. Les informations livresques ne sont pas les seules à devenir plus difficiles à obtenir pendant l'Occupation. Travaillant sur le réseau aérien, René Crozet écrit « à partir de cette période [septembre 1939], les informations se sont raréfiées ou ont été, plus qu'auparavant, plus ou moins faussées par l'esprit de propagande » (Crozet, 1940, p.214). Un chroniqueur des livres reçus dans les AG en 1942 signale que « nous ne disposons plus, à l'heure actuelle, de l'Annuaire statistique de la Société des Nations » (p.225). La rédaction des ER présente un article en précisant « on ne s'étonnera pas de ce que notre collaborateur, mobilisé, et manquant actuellement d'informations pour la période de guerre 1939-1940, ait laissé dans son état initial son manuscrit » (ER, 1941, p.117). Dans la même revue, en 1941, J. Willemain précise que « ce manque de renseignement, joint à la carence totale des statistiques pour les années de guerre et l'année immédiatement précédente (1939) nous a interdit de citer aucun chiffre » (Willemain, 1941, p.277). Citons enfin Charles Robequain qui en 1944 écrit : « les circonstances nous empêchaient d'utiliser d'autres documents que ceux trouvés dans la métropole [...] pour les colonies étrangères, les difficultés d'information étaient encore plus grandes » (Robequain, 1944, p.96-97). L'ardeur administrative de Vichy a permis à certains géographes de compenser partiellement ces difficultés d'accès à l'information. Il est cependant erroné de prétendre, comme l'a fait Aimé Perpillou juste après guerre, que les géographes n'étaient pas autorisés à publier des articles contenant des statistiques économiques, même périmées12(*) (Perpillou, 1946, p.50). Mais l'occupation ne fait pas que limiter la mobilité des revues et des livres, les déplacements personnels eux aussi deviennent plus difficiles. * 12 L'expression originale est « prohibited from publishing containing economic statistics, even if out of date » |
|