Du role de la société civile pour une consolidation de la démocratie participative au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Mamadou Hady DEME Université Gaston Berger de Saint-Louis - Maitrise 2008 |
SECTION II : LA SOCIETE CIVILE AUX ANTIPODES DES CALCULS POLITICIENS.La société se déploie dans le cadre de l'espace politique. Elle y rencontre l'Etat et les autres acteurs politiques. Au Sénégal face aux multiples crises occasionnées par la pauvreté, cet espace politique perd de sa crédibilité devant les citoyens abandonnés souvent à leur propre sort. Aux yeux des citoyens cet espace est incapable d'apporter des réponses aux différentes demandes sociales, constitue un cadre corrompu, favorable à des calculs politique. La société civile qui s'y meut n'est pour autant épargnée de ce risque. Paragraphe I : La dimension apolitique de la société civileLa société civile se caractérise fondamentalement par son apolitisme. L'apolitisme consiste à une « attitude collective de refus de subordination de la part des organisations ayant une action sociale (syndicats, organisations charitables) aux partis politiques ; cette attitude ne constitue pas un refus d'engagement politique individuel »10(*). Les organisations de la société civile n'ont pas intérêt à s'identifier à un parti ou une idéologie politique, pour assurer plus de légitimité dans leur prise de position afin de veiller à la prise en compte des revendications sociales. En s'alliant aux partis politiques ou à la politique de l'Etat, la société civile s'écarte de son objectif qui consiste à être un contre pouvoir par rapport à l'Etat. L'autre danger de la subordination reste la corruption par les agents politiques des leaders de la société civile. Lorsque les acteurs de la société civile sont soumis aux conditionnalités des acteurs politiques, ils perdent leur représentativité et peuvent être ainsi déséquilibrés, basculés du coté de l'Etat et détruire la condition d'existence de la société civile voire de la démocratie. Dans les pays du Tiers Monde, force est de reconnaître que les organisations de la société civile, sont de plus en plus tentées, du fait de la faiblesse de leurs moyens, de se rapprocher des politiques. C'est ce qui fait que beaucoup d'observateur relativise l'existence de la société civile, y compris au Sénégal. La confusion entre société politique et société civile jette les jalons d'un totalitarisme dans la mesure où, dans ces pays les partis de l'opposition sont réduits au silence du fait de la répression qu'ils subissent de la part de la puissance étatique. Dans un régime où les organisations de la société civile ne gardent pas leur apolitisme, vis-à-vis des politiques, le champ d'action des tenant du pouvoir s'agrandit et surgissent avec lui les prémisses d'une toute puissance étatique. La société civile cesse d'être dans ce cas un contre pouvoir. Dans un contexte de remise en cause de la société politique eu égard à tous les échecs que cette dernière a connus dans les pays du sud dans la prise en charge des demandes sociales. La société civile apolitique garde une image valorisante. La démocratie doit être représentative, les forces politiques, les partis en particulier doivent être au service d'intérêts sociaux et non pas se servir eux-mêmes. La réalité est tout autre dans les pays africains et au Sénégal. Dans ces pays la société civile du fait de la faiblesse de ses moyens est souvent teintée d'appartenance politique. Il n'est pas rare à cet effet de voir des acteurs de la société civile intégrer la formation gouvernementale au Sénégal. Dès lors, du fait des nombreux avantages qu'ils y tirent, les acteurs tendent à estomper leur lutte pour la sauvegarde de la démocratie. A ce constat, la société politique engloutit petit à petit la société civile porteuse des aspirations des populations. Ainsi si le pouvoir politique ne rencontre pas de frontière, il se dilate et affaiblit toutes les forces que la société détenait pour limiter son pouvoir. Quand la société civile se politise, les revendications et les contestations des populations restent reléguées au second plan par un Etat que la passivité des citoyens conforte dans ses positions. Dans ce même ordre d'idées Alain Touraine précise que : Le problème le plus urgent est de diriger vers le système politique les revendications et les contestations et les utopies qui rendraient notre société plus consciente à la fois de ses orientations et ses conflits. Nous souffrons presque partout d'un manque de conflit, ce qui crée une ceinture de violence autour d'un système politique qui se croit pacifier parce qu'il a transformé ces revendications internes en menaces extérieures et parce qu'il est plus préoccupé de sécurité que de justice et d'adaptation que d'égalité.11(*) En perdant sa dimension apolitique, la société civile se fragilise et fragilise la démocratie quand ses observations ne sont plus liées à l'intérêt général des citoyens mais plutôt à une coloration politique. « Il faut se demander en terme plus directement politique si les idées et les forces politiques qui en appellent au peuple sont toujours démocratiques(...) c'est au nom de la gauche, du peuple, de la classe ouvrière, et de la démocratie elle-même que la démocratie a été détruite. » 12(*) La politisation et l'instrumentalisation fréquente en Afrique a fini de jeter les jalons du pouvoir absolu des Etats. Ainsi le pouvoir absolu utilise les individus et les communautés comme des ressources et des instruments et non comme des ensembles possédant autonomie de gestion et personnalité collective. L'appartenance communautaire est la face défensive d'une conscience démocratique si elle contribue à dégager l'individu d'une domination sociale et politique. On parlerait de domination politique quand l'Etat absolutiste ne rencontre pas de forces opposées qui pourraient l'arrêter. Certains appellent « démocratique », la priorité donnée aux réalités sociales sur les réalités politiques ; d'autres, au contraire, affirment que c'est dans l'action politique que se constituent démocratiquement le lien social et donc l'identité collective. En fait, la démocratie serait la complémentarité de ces deux affirmations ; d'où l'importance des organisations de la société civile à se saisir des réalités sociales et les porter aux centres des décisions ; et ceci n'est possible qu'avec une société civile apolitique et dynamique. Aucun principe n'a d'importance plus centrale dans l'idée démocratique que celui de la limitation de l'Etat, qui doit respecter les droits humains fondamentaux. De plus, comment oublier que l'adversaire principal de la démocratie dans les pays africains n'est ni la monarchie ou la domination d'une oligarchie de propriétaire fonciers et de féodaux, mais le totalitarisme présent en l'absence d'une société civile dynamique ou en présence d'une société civile politisée. La limitation du pouvoir politique est née de l'alliance de droit naturel et celle de la société civile, conçue au début comme la société économique dont les acteurs revendiquent la liberté d'entreprendre, d'échanger et d'exprimer leurs idées. Sans cette liberté, l'idée des droits fondamentaux serait restée purement critique. De ce fait, le combat de la société civile pour la promotion de la démocratie est incompatible avec l'identification de la société civile à un parti politique ou une alliance forte avec l'Etat. Si on confond la société politique avec la société civile, on ne voit plus comment peut être crée un ordre politique qui ne soit pas la simple reproduction des intérêts de la classe dominante : la classe politique. Cette confusion peut amener l'Etat à détenir seul la responsabilité d'assurer l'unité de gestion de la société. Et dans ce cas il reste peut de place à la démocratie. La séparation entre l'Etat, le système politique et la société civile oblige à définir l'ordre politique comme une médiation entre l'Etat et la société civile. L'idéal apolitique de la société civile largement contestée au Sénégal doit rester la pierre angulaire sur laquelle doit s'articuler l'ensemble des déploiements de la société civile. En plus de l'apolitisme, elle est doit être fortement marquée par son autonomie de gestion. * 10 Lexique de politique 7e édition, Dalloz 2001 * 11 (A), Touraine. Qu'est- ce que la démocratie ? Paris : Fayard. 1994. p.91 * 12 Ib. p.93 |
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