Paragraphe II : L'espace politique
La société civile en tant que directrice des
consciences citoyennes investit, à coté de l'espace
économique, l'espace politique. Marqué par une
prééminence de l'Etat et des acteurs du jeu politique notamment
les partis politiques et les groupes de pressions, l'espace politique donne
à la société civile son champ d'action. Ainsi s'explique
l'association étroite entre démocratie et liberté
d'expression garantie par la présence d'une société civile
dynamique. Dans les pays sous-développés, à l'instar du
Sénégal, marqués par des expériences
démocratiques encore faibles, on a tenté de concevoir la
société en dehors de la sphère politique pour garder la
toute puissance de l'Etat. Les premiers dirigeants ont cherché d'abord
à consolider l'Etat-nation au détriment de l'ouverture
démocratique.
La société civile porte les demandes et les
revendications des citoyens et interpelle les décideurs publics. La
frontière entre la société civile et la
société politique (composée des pouvoirs institutionnels
liés à l'Etat les acteurs politique en compétition pour le
contrôle de celui-ci) n'est pas étanche ; elle est poreuse et
il y a par moments osmose entre les deux réalités surtout quand
les acteurs deviennent interchangeables ou présentent le même
profil et se référent ou aspirent aux mêmes idéaux
de base.
Cette absence de frontière entre la
société civile et la société politique, fait que
celle-ci peut apparaître aussi comme un lieu non seulement de refuge de
personnalités déçues de la classe politique, mais aussi
une stratégie de redéfinition des stratégies de
réappropriation par celle-ci du champ social à des fins de
renforcement de leur pouvoir de négociation face aux autres acteurs de
la classe politique. De ce fait la société civile court le risque
d'être le refuge d'hommes politiques ayant fini d'échouer dans la
compétition, or cet état fait n'est pas le but de la
société civile.
En investissant l'espace politique, elle cherche à
être plus influente auprès des pouvoirs politiques tout en
évitant d'être instrumentalisée par les partis
d'opposition. Courtisée par la classe politique qui cherche à
l'instrumentaliser du fait de la force sociale potentielle qu'elle peut
représenter, la société civile par prise de conscience de
cela et du fait qu'elle est source réelle de production d'une opinion
publique qui peut être forte sur des problèmes et situations
revêtant un intérêt pour le citoyen pour la nation, pour
l'Etat, va chercher à se réapproprier (elle-même) cette
force politiquement.
L'intervention de la société dans l'espace
politique se mesure dans ses prises de position tranchées sur les
problèmes sociaux ou d'intérêt national revêtant un
caractère politique certain, ce qui va contribuer à la fonder
comme un pôle aux yeux de la société politique.
Le champ social, avec l'avènement d'une
société civile forte qui y intervient, et s'y affirme
politiquement, devient du point de vue de l'intérêt qu'elle
représente dans l'émergence des mentalités,
l'équivalent du champ politique considéré jusque là
comme le seul pole de proposition et de lutte pour une telle perspective. Ce
rapprochement entre la société civile et la société
politique du point de vue de leur fonction de canalisation et de
représentation des aspirations des populations aux changements
s'expliquent par la grande similitude entre les itinéraires politiques
et sociaux des leaders de la société civile et ceux des
dirigeants politiques. Ces leaders ont en général
participé dans le passé aux mêmes luttes sociales,
aspiré aux mêmes idéaux pour une société plus
juste, subi les même répressions, toutes choses qui peuvent
contribuer à forger chez eux le même type de sensibilité.
La société civile se déploie alors
pleinement dans l'espace politique par la nature politique de ses
interventions. Il arrive toutefois que ce rapprochement entre les deux
réalités constitue un danger quand il facilite des alliances
entre partis politiques et organisation de la société civile.
Plus la société civile manifeste des apparences qui la
rapprochent à la société politique, plus sa
neutralité devient douteuse.
Avec l'avènement de la décentralisation la
présence de la société civile dans l'espace reste
primordiale. La décentralisation qui un processus par lequel l'Etat
central transfère aux collectivités locales des
compétences qui lui étaient anciennement dévolues et dont
la visée est de permettre une gestion performante des ressources
locales, constitue un terrain favorable au développement de la
société civile. La société civile et les citoyens
ont une plus grande visibilité des centres de décision dans le
contexte de la décentralisation, car ces derniers sont plus proches,
mais aussi plus nombreux et plus diversifiés.
Avec la décentralisation notamment le citoyen peut
multiplier ses intérêts et son attachement sur la gestion des
affaires de la cité, ce qui lui peut motiver davantage son engagement
personnel dans les affaires de celle-ci mais aussi il peut en raison de sa
proximité même des institutions influer sur les prises de
décisions. La société civile a davantage de raison et de
motifs de s'engager dans la vie de sa cité et a le sentiment que les
institutions locales sont à portée de sa main.
Ainsi, avec la décentralisation, la
société civile, du fait de la forte pression qu'elle constitue,
rencontre le plus de chance d'être prise au sérieux par les
institutions de l'Etat, les collectivités locales. Ces dernières
seront placées devant la double nécessité, pour gouverner,
de tenir compte des initiatives à la base et se servir de la
société civile comme relais politique ou alliée
auprès des populations locales.
La présence dans l'espace politique de la
société civile dans un contexte de décentralisation permet
à cette dernière d'amener plus facilement les autorités
à répondre aux attentes des populations par une prise en compte
de leurs doléances et leur traduction en mesures opératoires. A
ce niveau, la société civile se dote d'un cadre
stratégique d'échange et de concertation à
l'échelle locale. De ce point de vue, la décentralisation en
favorisant une prise en compte plus rapide des problèmes des groupes
sociaux par l'Etat et ses démembrements, participe à
l'émergence des conditions d'une bonne gouvernance qui constitue une des
priorités des organisation de la société civile et de leur
présence dans l'espace politique.
En plus du contexte de la décentralisation, les
conditionnements des bailleurs de fonds consolident la présence de la
société civile dans le terrain politique. Nouvelles
conditionnalités des bailleurs de fonds, nouvelles formes de partenariat
des politiques publiques, pilier de la bonne gouvernance, interlocutrices de la
communauté internationale, les organisations de la société
civile sont devenues à tous les niveaux incontournables dans le jeu
politique. L'évolution des relations entre l'Union européenne et
les pays africains renforce ce positionnement. Conçu par une
vitalité idéale, mais encore remise en cause dans les pays du
sud, comme facteur de bonne gouvernance, la prise en compte des OSC dans
l'élaboration des politiques sociales reste une nécessité.
Son renforcement assure une plus grande participation des pauvres aux avantages
de la croissance économique et du renforcement du tissu
démocratique.
Pour autant qu'elle intègre l'espace politique, la
société civile ne doit en aucun cas se fondre dans des calculs
politiciens en vue de mener ses activités. La crédibilité
de la société civile doit résider dans son apolitisme et
son autonomie de gestion.
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