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La situation de la femme en Haiti au regard des instruments nationaux et internationaux

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par Jean Marc-Antoine PREDESTIN
Université de Nantes ( CODES) - DUEDH 2006
  

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CHAPITRE I

CADRES CONCEPTUEL ET HISTORIQUE

Il s'agit d'un chapitre préliminaire qui s'accentue dans un premier temps sur des notions générales ayant rapport à notre sujet de recherche. Ensuite, de façon plus spécifique, nous essayons de faire un survol historique du mouvement féministe en Haiti tout en analysant son bilan dans la lutte pour le respect des droits des femmes haïtiennes.

A- LES PRINCIPAUX CONCEPTS EN RAPPORT AU THEME TRAITÉ

Avant d'entamer l'analyse en profondeur de la situation des femmes en Haiti au regard des différents instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits des femmes, il convient pour nous de préciser le sens de certains termes importants relatifs aux droits de l'homme, plus spécialement, aux droits des femmes. Si en fonction de la situation particulière des femmes dans les sociétés, on leur accorde des droits spéciaux, mais en même temps, l'on doit reconnaître que le concept des droits de l'homme regroupe les droits de tous les êtres humains en général : homme, femme et enfants. La définition des principaux termes utilisés dans ce travail permettra de mieux appréhender l'analyse de la situation des femmes en Haiti par rapports aux différents instruments leur garantissant des droits.

1. Droits de l'Homme

Les droits de l'Homme se définissent généralement comme des droits attachés à la personne humaine. Il s'agit des prérogatives reconnues aux individus, considérées comme inhérentes à la personne humaine et essentielles à la démocratie et à la paix, par conséquent reconnues par des normes de valeur constitutionnelle ou par des conventions internationales, afin que leur respect soit assuré, même contre l'État14(*). Il est aujourd'hui clairement admis que lorsqu'on parle d'universalité des droits de l'homme, on fait allusion à des droits attribués à la personne humaine, de l'un ou de l'autre sexe, sur la base de l'égalité entre les sexes et sans aucune discrimination entre les droits, tels qu'ils ont été reconnus, consacrés par les instruments internationaux adoptés par l'Assemblée Générale des Nations unies.

Dans toutes les définitions des droits de l'homme apparaît l'idée d'universalité. En parlant de la personne humaine, on sous-entend tous les êtres humains en général sans exception de sexe. Les droits de l'homme ont donc un caractère universel et permanent qui ne peut pas se retrouver dans le positivisme juridique. En ce sens, basant sur l'origine des droits de l'homme, on tente d'établir une différence entre ces derniers et les droits positifs. Pour certains auteurs, les droits de l'homme trouvent leur source dans le droit naturel plutôt que dans le droit positif15(*). Ce dernier est présenté comme une législation positive qui est une construction d'un système normatif, à un moment donné, en un lieu donné. Donc entre le droit naturel et le droit positif, il en découle une distinction fondamentale. Si le premier est empreint d'une permanence : il est établi soit par dieu, soit par la nature, soit par la raison selon les différentes évolutions des conceptions de la société humaine ; le second est relatif et est susceptible d'être reconsidéré par les législateurs. En fait, les droits de l'homme préexistent aux autres droits. Ainsi, aucun système normatif n'a besoin de les créer, dès lors qu'ils sont ancrés dans l'humanité16(*).

Les droits de l'homme forment un tout en fonction de leur caractère universel. Ils valent partout et pour toutes les personnes sans distinction de couleur, de sexe, de pays, de religion, de richesse, d'opinion. Ils sont fondés sur des valeurs universelles (dignité, liberté, égalité, justice) qui, tout en étant un idéal pour l'humanité, sont des principes capables de réguler la vie des hommes, des femmes, des enfants17(*). Les droits de l'homme ont subi une certaine évolution dans leur contenu au fil des époques et des perceptions par la communauté humaine de son statut. Ainsi, de nos jours, on distingue trois générations de droits de l'homme qu'il importe de souligner sans trop de détails :

a) La première génération est composée par les droits civils et les droits politiques. Cette génération est caractérisée par l'apparition des premiers textes énonçant et reconnaissant ces droits, sans les créer pour autant. A noter que les spécialistes et les auteurs des documents sur les droits de l'homme font remonter la reconnaissance de ces droits à la « magna carta », la grande charte de 1215, le « bill of right » de 1689 en Angleterre, les déclarations de 1776 aux Etats-Unis et la déclaration de 1789 en France ;

b) La deuxième génération des Droits de l'Homme constituée par les droits économiques et sociaux, a été dégagée pour l'essentiel au XXème siècle. Les droits suivants ont été ajoutés à ceux existants : droits au travail, droits à la protection sociale, droits à l'instruction et droits à la culture ;

c) La troisième génération des Droits de l'Homme comprend les droits de solidarité et s'est développée sur une période récente s'étendant à partir de la fin du XXème siècle.

En conséquence, comme l'a fait remarqué Kenneth Minogue, les droits de l'homme appartiennent à tous les hommes de toutes les époques et ne sont ni exclusifs, ni attachés à une charge18(*). Les droits de l'homme appartiennent à un homme tout simplement parce qu'il est un être humain, qu'il soit de sexe masculin ou de sexe féminin. Ainsi, les femmes et les hommes ont des droits inaliénables et dans les mêmes proportions. A chaque fois, dans le cadre de cette étude sur la situation des femmes en Haiti, que la mention des droits de l'homme est faite, nous faisons allusions à des droits fondamentaux appartenant aussi bien aux haïtiens qu'aux haïtiennes. D'ailleurs les violences exercées à l'égard des femmes constituent une forme de discrimination et de violation des droits de l'homme19(*).

2. Droits des femmes

Nous lisons à travers la Déclaration de Vienne que : « Les droits fondamentaux des femmes et des fillettes font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne20(*)». Donc, si les droits de l'homme regroupent les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine en général, l'on se demande pourquoi parler des droits de la femme en particulier? Les femmes en fonction de certaines caractéristiques particulières font l'objet d'un ensemble de prérogatives spécifiques qui sont attachées à leur personne. En plus des droits applicables au bénéfice de tous les individus, il faut distinguer aussi l'ensemble des mesures juridiques prises à travers les différentes instruments en vue de permettre aux femmes de jouir leurs droits, de favoriser par ailleurs la promotion des femmes en les aidant à se structurer comme des personnes autonomes capables de gérer leurs propres corps et, de façon générale, toutes les dimensions de leur vie21(*). Ainsi, Les droits des femmes désignent les libertés appartenant intrinsèquement aux femmes et filles de tous les âges, qui peuvent être institutionnalisés ou supprimés d'une manière illégitime par la loi ou la coutume dans une société particulière22(*).

Ainsi, en réponse, les droits des femmes font partie de la notion plus générale de droits de l'homme dont ils se distinguent par l'activisme qui entoure les réclamations spécifiques des femmes. En ce sens, s'il n'y avait aucune discrimination entre individus de sexe masculin et ceux de sexe féminin, on n'aurait pas besoin de parler de la notion de « droits des femmes », ce supplément n'aurait en fait aucun sens. Par rapport à la condition féminine dans le monde entier et particulièrement en Haiti, il est essentiel de prendre des mesures juridiques spécifiques en faveur des femmes afin de les protéger contre les violences sexistes.

3- Sexe, Genre et Sexospécificité

Abordons d'abord le mot sexe qui se définit comme l'ensemble des caractéristiques physiques qui permettent de différencier le mâle de la femelle, l'homme de la femme23(*). Pour le concept genre, il est plus difficile d'y apporter une définition, mais l'on sait que ce mot tire son origine de l'anglais « gender »24(*). Selon Brigitte Biche, le mot genre est devenu incontournable dans les textes internationaux des droits de l'homme et évoque l'organisation sociale de la différence entre les sexes et celle de leurs rapports25(*). Pour elle, penser genre, c'est penser que les rapport sociaux entre les hommes et les femmes, sont déterminants dans tout processus social. Ainsi, si on dit genre plutôt que de parler des rapports sociaux de sexe c'est uniquement parce que l'anglais est la langue la plus utilisée dans les textes internationaux : « Or, le mot sex y a un sens beaucoup plus restrictif que le mot français sexe et les anglophones ne peuvent l'utiliser sans laisser planer la confusion entre rapports sociaux de sexe et rapports sexuels [...]26(*)». Donc, il est souvent difficile d'établir la distinction entre sexe et genre, même si la différence existe belle et bien : l'emploi du mot sexe fait référence aux différences physiques distinguant les hommes et les femmes, alors que le genre fait référence aux différences non anatomique, c'est-à-dire psychologiques, mentales, sociales, économiques ou autres27(*). En Haiti, les associations féministes admettent plus ou moins la différence biologique existant entre les haïtiens et les haïtiennes. Par contre, elles se montrent de plus en plus préoccupées par les rapports sociaux de sexe entre les hommes et les femmes qui sont toujours beaucoup plus favorables aux premiers. Ce constat est aussi fait par Save the Children International, cité dans une étude sur les filles des rues en Haiti : «  les rôles et les responsabilités assignés à chacun des sexes ne sont pas égaux, si bien que les hommes et les garçons ont plus de contrôle sur les ressources et un accès plus grand au pouvoir et à la prise de décision que les filles et les femmes28(*) ».

Pour la notion de « sexospécificité », elle parait beaucoup plus rapprochée de celle de « genre ». La « sexospécificité » englobe la nature socialement attribuée aux distinctions entre femmes et hommes. Elle s'accentue sur les aspects des relations sociales qui sont attribués non pas en fonction de la différence de sexe mais sur ceux qui sont enracinés dans les cultures et les attitudes sociales, qui sont donc construits socialement et de ce fait, sont modifiables avec le temps29(*). Aussi, dans le souci de protéger les droits des uns et des autres, l'on fait souvent des considérations basées sur des approches « sexospécifiques ». En ce sens, il s'agit de faire en sorte que les besoins différenciés des femmes et des hommes, ainsi que les obstacles spécifiques auxquels ils se heurtent, soient pris en considération dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques et des mesures visant à améliorer la situation des citoyens. Une définition du terme « sexospécificité » est donnée par l'Onusida de la façon suivante : « ce que signifie le fait d'être un homme ou une femme, et comment ce fait définit les opportunités, les rôles, les responsabilités et les relations30(*) ». Ce qu'il faut surtout retenir dans cette définition, c'est la signification accordée au fait d'être un homme ou une femmes dans une société donnée par opposition à la détermination chromosomique de l'individu à sa naissance31(*). Par ailleurs, la « sexospécificité » façonne les opportunités qui s'offrent à chacun dans la vie, les rôles qu'il peut être amené à jouer et les types de relation qu'il peut avoir32(*).

Nous parlons de « sexospécificité » dans ce travail, en fonction de la position des féministes haïtiens qui ont toujours expliqué les difficultés des femmes haïtiennes à travers des « rôles sexospécifiques33(*) » que la société haïtienne assigne aux hommes et aux femmes. Ils dénoncent des attitudes culturelles liées au patriarcat permettant aux hommes d'exercer le pourvoir ainsi que de l'emprise sur les femmes. Au niveau des familles et de la société, il est presque généralement admis que les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes capacités. Certaines tâches sont essentiellement destinées au sexe jugé fort, c'est -dire aux hommes et d'autres à celui jugé faible, c'est- à -dire aux femmes. Donc, selon les organisations féministes, un tel état d'esprit est souvent à la base de violence et de discrimination à l'égard des haïtiennes.

4- Le Féminisme

Selon des idées tirées de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, le mouvement féministe appelé aussi « Féminisme » est un ensemble d'idées politiques, philosophiques et sociales né après l'âge industriel et qui se réclame de mouvements plus anciens ou d'autres combats menés dans d'autres contextes historiques ; et qui a ensuite pu être repris à leur compte par les hommes et les femmes partout ailleurs dans le monde34(*). Par ailleurs, ce mouvement est empreint de théories sociologiques, de mouvements politiques et de philosophies s'intéressant à la situation des femmes en particulier dans leur contexte social, politique et économique. Comme mouvement social, le Féminisme s'est attaché à promouvoir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. Le Féminisme est une lutte menée pour et particulièrement par les femmes, bien qu'elle ait été également activement supportée par des hommes afin d'abolir l'oppression dont les femmes ont été, et sont encore, victimes au quotidien dans les sociétés où la tradition établit des inégalités fondées sur le sexe. Le Féminisme analyse la condition féminine dans l'histoire et dans le monde contemporain en suivant la réflexion initiée par Simone de Beauvoir, l'une des premières féministes qui revendiqua en France l'égalité des droits entre hommes et femme35(*).

De nos jours, avec la mobilisation de plus en plus intense de tous les secteurs des communautés nationales et internationales en faveur du respect des droits fondamentaux des femmes et de l'égalité des sexes, le mouvement féministe est en pleine extension. En Haiti, depuis la chute du régime de Jean Claude Duvalier, les femmes haïtiennes ne cessent de lutter contre ce qu'elles appellent «  la violence masculine à l'égard des femmes », elles expriment de plus en plus leur volonté de ne pas être constamment dominées par les hommes. Ainsi, dans la section suivante, l'accent sera mis sur le « féminisme haïtien », notamment sur l'historique et le bilan de ce mouvement.

B- LE MOUVEMENT FEMINISTE EN HAITI

Comme c'est le cas pour les femmes des grands pays, il n'y a pas longtemps depuis que les femmes haïtiennes ont la jouissance de certains droits qui étaient réservés seulement aux hommes. On arrive jusqu'à affirmer que l'inégalité des droits entre la femme et l'homme a été la règle pendant des millénaires dans presque toutes les sociétés36(*). Aujourd'hui, les haïtiennes sont de plus en plus déterminées à faire respecter leurs droits fondamentaux. Les femmes haïtiennes ont exprimé la volonté de jouir de leurs droits depuis le lendemain de l'indépendance de la jeune république noire, mais ce n'est au milieu du XXe siècle que l'on pourrait parler véritablement des droits humains en faveurs des femmes. Donc, à travers cette section, nous allons nous pencher sur le mouvement féministe haïtien, ses réalisations ainsi que la perception des observateurs de l'existence de ce mouvement dans le pays.

1- Survol historique du mouvement féministe

Les avis sur le début du mouvement féministe haïtien sont partagés. Si pour certains, ce mouvement commence à partir de la création de l'association  « Ligue Féminine d'Action Sociale ( LFAS) » en 1934, pour d'autres ce mouvement date des premiers jours de l'indépendance en se référant à la motivation libertaire de 180437(*). Les associations de femmes haïtiennes affirment être les descendantes directes des mains féminines qui ont construit le pays pendant deux siècles et auxquelles on rend hommage au cours des fêtes nationales annuelles. Elles font allusion à des femmes telles que Claire Heureuse Dessalines, Sanite Belair, Cécile Fatima, Pierrette Jolibois, Marie Jeanne, Suzanne Louverture et autres considérées comme des femmes courageuses qui ont milité aux côtés de leurs maris pour le respect des droits et libertés fondamentaux des haïtiens et des haïtiennes. Les associations féministes rendent également hommage aux nombreuses femmes combattantes telle que Victoria Mantou, dite « Toya », héroïne de l'indépendance aux côtés de Toussaint L'Ouverture, Jean Jacques Dessalines et Henri Christophe38(*).

L'histoire du mouvement des femmes haïtiennes est marqué, selon les féministes, par des efforts pour changer la mentalité patriarcale, par la lutte pour l'obtention progressive de l'égalité au niveau légal afin de promouvoir une société dans laquelle les individus sont effectivement libres et où ils ne sont plus prisonniers d'une condition définie sur base de leur genre. La recherche d'une citoyenneté complète pour la femme en Haïti, qui a commencé avec les héroïnes fondatrices du pays, a été reprise en 1934 avec la création de la Ligue féminine d'Action Sociale considérée, en termes de structure, comme la première organisation féministe du pays. Cette organisation qui luttait en vue d'amener l'Etat haïtien à reconnaître le droit à la femme de voter et d'être candidate à des fonctions politiques, droits qui n'ont pu être exercés pour la première fois qu'en 195739(*).

Après cette première conquête légale, le mouvement féministe est entré en clandestinité avec l'instauration de la tyrannie de la famille Duvalier en 1964. Le 3 avril 1986, après la chute du président Jean Claude Duvalier, les femmes haïtiennes ont organisé une manifestation historique pour réorganiser le mouvement dans le pays en protestant principalement contre la féminisation de la pauvreté et l'articulation entre la répression sociale généralisée et une plus grande violence à l'égard des femmes. A l'occasion de cette nouvelle impulsion du Féminisme haïtien, les femmes haïtiennes ont réalisé d'impressionnantes manifestations à la capitale, ainsi que dans les principales villes de province du pays, notamment, à Cap-Haïtien et aux Gonaïves. Des femmes, issues de toutes les couches sociales et économiques, revendiquent le droit d'être actrices de la refondation sociale, de la reconstruction nationale et elles ont clamé leur désir de vivre dans une société où la condition féminine ne serait plus caractérisée par la discrimination et la violence, selon les termes d'une militante féministe haïtienne, Madame Danielle Magloire40(*). Cette militante de l'organisation « ENFOFAM41(*) » ajoute qu'avec la dictature les organisations de femmes, tout comme les autres mouvements sociaux revendicatifs, n'avaient pas pu s'exprimer librement, mais les idéaux du féminisme s'étaient suffisamment enracinés pour permettre une résurgence. Ces idéaux avaient été portés, aux environs des années 1930, par la Ligue Féminine d'Action Sociale (LFAS) qui s'était spécifiquement attachée à la conquête des droits civils et politiques. En mémoire de cette journée historique, le 3 avril a été proclamé, en 1996, Journée nationale du mouvement des femmes haïtiennes42(*).

Présentement, le mouvement féministe haïtien est en pleine expansion. Ce mouvement se caractérise par son ampleur, l'éventail des problématiques posées et une présence certaine au niveau international, notamment dans les Amériques et les Caraïbes. C'est une véritable mosaïque, formée par des organisations qui, tout en étant de différentes tendances, partagent une même aspiration : « changer le sort défavorable fait aux femmes43(*) ». Il se signale par sa vigueur, la continuité de sa présence et surtout sa crédibilité, selon une auto-évaluation des leaders féministes44(*). Aujourd'hui, quasiment dans tous les départements du pays on trouve des associations de femmes. Parmi les plus actives, nous citons : la CONAP qui réunit plus de vingt organisations regroupant des femmes haïtiennes. Aux côtés de la CONAP, on trouve (Enfofam), « Kay Fanm », « Solidarité Famn Ayisyen », « Fanm Solèy leve » et autres45(*). Les Associations de femmes de tous les coins d'Haiti revendiquent une reformulation de la Constitution haïtienne et des lois du pays. Selon Myriam Merlet, une autre influente militante féministe du pays, la « législation du pays a ignoré les haïtiennes depuis la formation de l'Etat 46(*)». En outre, ces organisations se sont, entre autre, évertuées d'une part, à lutter pour inscrire la problématique des femmes dans l'agenda politique national et, d'autre part, à indexer le phénomène grandissant de la féminisation de la pauvreté ce, en mettant en lumière les effets de la condition féminine dans les situations socio-économiques défavorables de la grande majorité des femmes47(*).

2- Bilan du mouvement féministe haïtien

Tout le monde est conscient de la nécessité pour les femmes haïtiennes de s'associer en vue de mieux revendiquer l'exercice et la jouissance de tous leurs droits. Le mouvement féministe haïtien a un rôle crucial à jouer dans le combat contre la violence et la discrimination à l'égard des femmes, ainsi que l'idéal d'égalité des droits entre les haïtiens et les haïtiennes tant souhaité. Ces derniers jours, les femmes organisées sont de plus en plus présentes sur le terrain. Elles dénoncent les violations de leurs droits, protestent contre la discrimination, revendiquent des droits, réclament leur participation dans tous les domaines de la vie nationale. Il s'agit de signes très positifs qui donnent l'espoir que demain sera meilleur pour les femmes. Car la mobilisation des femmes et des hommes est d'ailleurs l'un des éléments essentiels à la lutte contre la violence et la discrimination à l'égard des femmes. Cependant, en terme de bilan du mouvement féministe en Haiti, depuis sa résurgence au cours des années 1980, les avis sont très partagés. Pour certains observateurs, la situation de la majorité des femmes demeure inchangée en dépit des multiples manoeuvres des leaders féministes et par conséquent se montrent très critiques vis-à-vis des grandes organisations féministes particulièrement. En même temps, il y en d'autres qui estiment que grâce au travail des militantes de ces organisations, des progrès sont constatés dans la condition féminine en Haiti et il y a de plus en plus d'espoir en ce qui concerne l'aboutissement du processus devant conduire au respect des droits fondamentaux des femmes.

Tour à tour, nous considérons à travers les paragraphes suivants les positions exprimées à l'égard du mouvement féministe haïtien :

a) Habituellement, les opposants au mouvement féministe sont des femmes paysans, commerçantes, des habitants des bidonvilles, des « employés domestiques » et même des organisations de femmes peu influentes. Pour cette catégorie de femmes, les dirigeantes des grandes associations féministes ne travaillent que dans l'intérêt d'un clan48(*). Les leaders influents du mouvement féministe haïtien exploitent la misère des femmes pour régler leurs affaires personnelles, expriment-elles. Les « gran zouzoune49(*) » du mouvement féministe sont accusées d'exploiter la misère des femmes pauvres, analphabètes et sous-éduquées pour accéder au pouvoir politique et accumuler des avantages divers50(*).

D'un ton modéré, Marie Frantz Joachin, elle-même militante féministe, révèle un manquement dans les actions du mouvement féministe haïtien. Il y a certes des dénonciations des cas de violence et de discrimination à l'égard des femmes, mais les inégalités entre les hommes et les femmes se maintiennent. Ainsi, Madame Joachin pense que : «  le mouvement féministe devra s'atteler, dans les années à venir, à relever des défis majeurs notamment en ce qui concerne les droits sociaux, économiques et culturels des femmes qui ont été délaissés [...]51(*) ». Le mouvement féministe haïtien devra en d'autres termes, changer de paradigme et aurait à gagner en orientant aussi ses actions vers les droits sociaux, économiques et cultures, l'une des garanties de la prise en compte des droits des femmes dans leur globalité52(*). Elle poursuit que : « deux décennies après, en dépit de certains acquis notamment en matière de violence faite aux femmes [...] et la mise en place d'une structure étatique pour porter les problèmes des femmes à un haut niveau de l'échiquier politique, les inégalités persistent »53(*).

b) Pour une autre catégorie de gens et même pour les autorités étatiques, le bilan est tout à fait appréciable. L'Etat haïtien, particulièrement, est conscient de l'importance du mouvement des femmes et a fait l'éloge de ses réalisations. Dans sont rapport à l'occasion du 10e anniversaire de la déclaration et du programme d'action de Beijing, le Ministère à la Condition Féminine estime que: « le mouvement a pu poser la question des rapports sociaux de sexe dans les différents espaces de la société et ce faisant, attester de son caractère hautement politique. Ainsi, grâce aux interventions menées sur différents fronts, le mouvement a su faire comprendre et accepter que les droits des femmes, outre le fait d'être invisibles et imprescriptibles, font partie intégrante des droits de la personne54(*) ».

D'autres démarches importantes des associations féministes sont à signaler, notamment celle qui a rapport avec la lutte pour l'abrogation des lois contraires aux instruments juridiques internationaux ratifiés par Haiti. La militante féministe Marie Frantz Joachin a fait remarquer que la lutte pour le changement des lois discriminatoires est portée par toutes les associations féministes55(*). Cette lutte s'exprime principalement dans les moments d'ouverture démocratique où les institutions fonctionnent, où le droit à la parole est garanti. De l'avis de la Madame Joachin: «  la démarche la plus significative entreprise par le mouvement féministe à cet effet reste les séances de travail avec les parlementaires de la 46ème législature en 1998 sur la dépénalisation de l'adultère, la décriminalisation conditionnelle de l'avortement, la révision du code pénal sur les lois relatives aux agressions sexuelles et le changement du statut des travailleuses domestiques dans le code du travail56(*)». On a mentionné aussi, comme aspect positif, le travail de lobbying accompli par le mouvement féministe pour inciter le parlement haïtien à ratifier la « Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme».

* 14 Encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Droits_de_l'Homme

* 15 Sylvie GRUNVALD, Initiation à la Formation « Ethique des droits de l'Homme », terminologie générale.

* 16 Ibid.

* 17 AIDH: http://www.droitshumains.org/enseign/tousles/index.html

* 18 Laqueur Walter et Rubin Barry, Anthologie des Droits de l'Homme, Nouveaux Horizons, Manille, 1998, p.30.

* 19 Nations Unies, Etudes approfondies de toutes les formes de violence à l'égard des femmes, rapport du Secrétaire Général, 2006, p.16.

* 20 Article 18, Déclaration de la Conférence de Vienne, 25 juin 1993.

* 21 Encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Droits_des_femmes

* 22 Ibid.

* 23 Dictionnaire Hachette Encyclopédique, ed. 2001, p. 1734.

* 24Encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_sexuel

* 25 Brigitte Biche, Pour une pratique de l'Approche genre dans le développement, Forum Echos du Cota, p. 3.

* 26 Ibid.

* 27 Encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_sexuel

* 28 Centre D'Appui Familiale /Save the children /HSI, Défis du Présent et Rêves d'avenir : Plaidoyer pour une Responsabilité Sociale/Etude sur la Situation et la Condition des filles de la rue et des filles dans la Rue de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, 2003, pp.12-13.

* 29 Fareda Banda et Christine Chinkin, Minorités, Peuples Autochtones et Sexospecificité, Rights Group International, 2006, p.7.

* 30 Sexospécificité et VIH/SIDA, Coll. Meilleures pratiques d'ONUSIDA, 2000, p. 3.

* 31 Ibid.

* 32 Ibid.

* 33 Rôles respectifs que les sociétés assignent aux femmes et aux hommes.

* 34Encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9minisme

* 35 Ibid.

* 36 Guy Lagelée et Gilles Manceron, la Conquête mondiale des droits de l'homme, Unesco, 1998, http://www.droitshumains.org/Femme/Drts_Femme.htm

* 37 Evandro Bonfim, Les femmes haïtiennes, gardienne de la tradition libertaire du pays (traduit par Anne Vereecken pour le Réseau d'information et de Solidarité avec l'Amérique latine/RISAL ; Source : ADITAL : http://www.adital.org.br ) / article publié sur le site : / http://www.penelopes.org/article.php3?id_article=5023 , mars 2004

* 38 Ibid.

* 39 Claude MOISE, l'Evolution du droit de la femme à travers l'histoire constitutionnelle d'Haiti de 1804 à 1987, dans (Haiti: la constitution de 1987 et les droits de l'Homme, Actes du colloque Internationale MICIVIH-PNUD sous le patronage du Président de la République), Port-au-prince, 28-29 avril 1997, p.116.

* 40 Danielle Magloire, Les Haïtiennes dans la tourmente de la crise économique, Nouvelle Image d'Haiti, Mars 2003- No. 15, p.2.

* 41Une organisation féministe haïtienne fondée en 1987 dont le but est de défendre les droits des femmes.

* 42 Ibid.

* 43 Ibid.

* 44 Ibid.

* 45 D'autres organisations existent partout à travers les 10 départements géographiques du pays, nous ne citons que celles qui sont les plus connues et qui se trouvent dans la capitale haitienne. 

* 46 Myryam Merlet , cité dans l'article «  les femmes haïtiennes, gardiennes de la tradition libertaire du pays ».

* 47 Danielle Magloire, Loc.cit.

* 48 Certaines femmes que nous avons questionnées et des membres des organisations de province et de la capitale tels REFEJUS, ODEFAT (Organisation pour le Développement des femmes truviennes), etc.

* 49 Ce terme créole fait allusion aux femmes instruites de la classe moyenne et de la bourgeoisie haïtienne. Ces femmes là sont des privilégiées qui ne connaissent pas le sort de la majorité des haïtiennes.

* 50 Témoignage de membres d'organisation de femmes (Regroupement des Femmes pour la Justice Sociale)

* 51 Marie Frantz Joachin, Mouvement féministe haïtien: Esquisses de Bilan et perspectives, 7 mars 2007.

Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article5743

* 52 Ibid.

* 53 Ibid.

* 54 MCFDF., Loc. cit., p.20.

* 55 Marie Frantz Joachin, Loc.cit.

* 56 Ibid.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld