b) La taille du ménage
L'étude de la relation entre la taille du ménage
et la scolarisation des enfants basée sur les théories
économistes de fécondité, montre que les ménages
sont supposés réaliser un arbitrage entre le nombre d'enfants et
l'investissement moyen par enfant. Il existe une interaction entre
quantité et qualité des enfants (quantity-quality trade off)
entraînant une relation négative entre l'éducation et le
nombre d'enfants. Plus le nombre d'enfants est élevé, moins sont
disponibles les ressources en moyenne par enfant.
Dans les pays en développement de l'Afrique
subsaharienne, cette relation négative a montré ses limites car
plusieurs études ont montré que dans le contexte socioculturel
négroafricain, « la quantité et la qualité des
enfants en matière de scolarisation sont tout à fait compatibles
et que la quantité peut même favoriser la qualité »
(Wakam, 2002a). On constate ainsi une différenciation entre l'Asie du
sud-est et l'Afrique subsaharienne due essentiellement à l'organisation
des systèmes familiaux. D'après Kobiané (2002),
l'existence des réseaux de solidarité familiale en Afrique
subsaharienne permet souvent l'accueil des personnes extérieures au
ménage ou l'envoi de certains membres du ménage dans d'autres
unités résidentielles, et cela a pour effet de réduire la
pression du nombre d'enfants sur les ressources disponibles. Les ménages
d'accueil sont généralement plus économiquement
aisés
et disposent des moyens pour la scolarisation des enfants
accueillis. Par ailleurs, d'après Wakam (2002a), les ménages
moins aisés économiquement ne sont pas les seuls à
supporter les frais de scolarisation des enfants accueillis, une partie de ces
frais sont financés par d'autres membres du ménage de la famille
étendue.
Les études de Marcoux (1995) et Wakam (2003, 2002a) ont
montré que la scolarisation des enfants est positivement associée
au nombre de femmes adultes du ménage et négativement à
celui des d'hommes adultes. Cela s'explique d'après Wakam (2003) par le
fait que la présence des femmes adultes déchargerait les filles
scolarisées des travaux domestiques, les hommes adultes seraient en
partie les époux de certaines filles de 15-24 ans qui ne
fréquentent pas et ils augmenteraient par leur présence et leur
nombre, le travail domestique des enfants et notamment des filles, ils
emploieraient les jeunes enfants comme aides familiaux. Par contre Marcoux
(1995) émet deux hypothèses : d'une part, la présence de
ces hommes ne participant pas aux activités domestiques du
ménage, contribue nécessairement à augmenter la lourdeur
des tâches ; Or la participation des enfants notamment des filles est
très importante dans les activités domestiques. D'autre part, ces
hommes font parties des groupes d'âges les plus actifs et par
conséquent, peuvent souvent occuper des emplois où la
contribution des enfants, pour certaines activités, permet
d'améliorer le rendement à un coût très bas. De ce
fait, les enfants de ces ménages seraient plus exposés au risque
d'être sollicités pour contribuer aux activités
économiques des hommes.
c) Le sexe du chef de ménage
En Afrique subsaharienne, les ménages sont
dirigés dans la plupart des cas par des hommes qui en sont les
principaux piliers financiers. Les ménages dirigés par les femmes
sont susceptibles d'être pauvres du fait même des circonstances
dans lesquelles les femmes deviennent chefs de ménage
(décès du conjoint, divorce, polygamie, etc.). On s'attend
à ce que la scolarisation des enfants soit plus faible dans les
ménages des femmes que dans ceux des hommes. Contrairement à
cette attente, plusieurs études -- notamment celle de Clevenot et Pilon
(1996) portant sur sept pays de l'Afrique subsaharienne-- ont montré que
les enfants sont mieux scolarisés quand le chef de ménage est une
femme. La littérature évoque quelques raisons parmi lesquelles :
les femmes seraient plus garantes d'une meilleure allocation des ressources au
sein des ménages ; le soutien que les uns et les autres attendent en
retour de
leurs enfants pour leurs vieux jours, aussi une femme chef de
ménage est épaulée dans la scolarisation des enfants par
ses frères et parents. C'est dans ce sens que certains auteurs se sont
interrogés sur l'origine des ressources des femmes chefs de
ménage pourtant économiquement vulnérables. Wakam (2002a)
affirme que la scolarisation différentielle des enfants selon le sexe du
chef de ménage en faveur des femmes, pourrait être due d'une part,
au soutien économique apporté aux enfants par leurs pères
et d'autre part, à celui apporté « aux femmes par leurs
partenaires sexuels et les autres membres de la famille élargie »,
car en Afrique subsaharienne, si la procréation est l'oeuvre de deux
personnes, l'éducation des enfants incombe à toute la
société, ou tout au moins à la famille élargie.
C'est la raison pour laquelle en Afrique, les familles ne sont pas
nucléaires et abritent entre autres personnes des enfants scolarisables
qui ne sont pas ceux du chef de ménage ayant pour corollaire
l'inégale chance de fréquentation des enfants.
2.2 HYPOTHESES ET SCHEMA CONCEPTUEL
A partir de la revue des théories, nous avons émis
certaines hypothèses à tester dans la suite de notre
étude.
2.2.1 Hypothèse Générale
:
Notre hypothèse de base est qu'il existe dans les
familles des inégalités entre les sexes en matière de
scolarisation des enfants au Tchad. Ces disparités reflètent
l'effet conjugué des facteurs d'offre et de demande scolaire, lesquels
sont eux-mêmes tributaires de plusieurs facteurs opérant au niveau
individuel, au niveau du ménage, et au niveau du contexte
communautaire.
2.2.2 Schéma conceptuel
La scolarisation des enfants dépend de plusieurs
facteurs d'offre et de demande scolaire. La liste et l'influence de ces
facteurs peuvent être résumées par le schéma
conceptuel ci-dessous.
Niveau Individuel
Schéma Conceptuel
Offre scolaire
Facteurs culturels
Niveau Contextuel
Facteurs démographiques
Facteurs historiques et politique éducative
Niveau
du ménage
Contraintes et motivations familiales
Caractéristiques individuelles et familiales
Demande scolaire
Scolarisation Différentielle selon le
sexe
2.2.3 Hypothèses Spécifiques:
S'agissant de l'offre,
H1 : Les disparités entre sexes en
matière de scolarisation sont plus importantes en milieu rural qu'en
urbain.
S'agissant de la demande :
H2 : les disparités entre sexes en
matière de scolarisation sont plus prononcées dans les
ménages de bas niveau de vie que dans ceux de niveau de vie
élevé, dans les ménages dont le chef est moins instruit
que dans ceux dont le chef est plus instruit et dans les ménages
dirigés par les hommes que dans ceux dirigés par les femmes.
H3 : les disparités entre sexes en
matière de scolarisation augmentent avec l'âge des enfants.
H4 : les disparités entre sexes en
matière de scolarisation sont plus importantes dans les régions
du Nord (à dominance musulmane et à faible offre scolaire) que
dans ceux du Sud (à dominance chrétienne et à forte offre
scolaire).
2.2.4 Définition des concepts
La définition des concepts mérite d'être
faite afin de préciser le sens que nous leur donnons dans
l'étude.
La scolarisation : se définit par la
fréquentation scolaire d'un établissement scolaire, public ou
privé au cours d'une période donnée.
La scolarisation différentielle selon le sexe :
La scolarisation est dite différentielle lorsqu'elle n'est pas
accessible aux enfants de la même manière selon leur sexe.
Offre scolaire : est l'ensemble des ressources
scolaires nécessaires à l'organisation de l'enseignement. Il
s'agit notamment des ressources matérielles (locaux, manuels,
matériels
didactiques et autres équipements), humaines (personnel
enseignant et non enseignant) et institutionnelles (progrès scolaires,
encadrement et législations).
Politique éducative : C'est l'ensemble
des mécanismes d'action et d'interventions de l'Etat ou de la
société dont l'objectif est l'amélioration du
système éducatif.
Facteurs culturels : Ce sont les variables
relatives aux normes et valeurs sociétales propres à chaque
région et qui réglementent les attitudes et comportements des
individus, et donc susceptibles d'avoir une influence sur la scolarisation des
enfants.
Caractéristiques individuelles et familiales
: Ce sont les caractéristiques relatives aux enfants, aux
ménages et aux chefs de ménage.
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MET/O'DOL OgIQtEs
3.1 SOURCES DES DONNEES UTILISEES
Les sources classiques de données pour l'étude de
la scolarisation sont: les statistiques scolaires, les recensements et les
enquêtes.
Les statistiques scolaires sont
généralement très limitées car hormis l'âge
et le sexe des enfants, elles fournissent très peu des indications sur
les caractéristiques individuelles et familiales des
élèves: âge, statut familial, lieu de naissance,
co-résidence ou non des enfants avec leurs parents, ethnie, religion,
caractéristiques démographiques et socioéconomiques du
chef de ménage, structure du ménage, conditions d'habitat, etc.
(Pilon, 1995). De ce fait, elles s'avèrent inadaptées pour
l'étude des déterminants familiaux de la scolarisation.
Les recensements et enquêtes ont le
mérite de combler les insuffisances des statistiques scolaires. En
effet, utilisant le ménage comme unité de collecte, ils
comportent généralement des informations sur l'éducation
(fréquentation scolaire, niveau d'instruction, dernière classe
suivie, etc.), sur les caractéristiques individuelles et familiales des
l'enquêtés. "Malheureusement, on ne peut que constater la modestie
des résultats publiés en matière de scolarisation à
partir des recensements ou d'enquêtes démographiques" (Pilon,
1996). Or, "ces données d'enquêtes et de recensements offrent de
grandes possibilités d'analyse, pouvant répondre, entre autres,
à certains aspects de la problématiques du genre" (Idem).
Une enquête spécifique avec un volet qualitatif
serait nécessaire voire indispensable pour bien comprendre et expliquer
le phénomène des disparités entre sexes en matière
de scolarisation au Tchad.
Dans cette étude, nous nous contenterons d'exploiter
les données existantes, disponibles et récentes de la
Deuxième Enquête Démographique et de Santé du Tchad
(ED S-II) réalisée en 2004 au cours de laquelle 5 369
ménages ont été effectivement enquêtés dont
80,4% dirigés par les hommes et 19,6% par les femmes. Sur les 27 879
personnes
dénombrées, 14 364 étaient de sexe
féminin et 13 515 de sexe masculin et 12 746 personnes de 6 à 24
ans.
L'enquête a utilisé quatre types de questionnaires:
- Le questionnaire ménage;
- Le questionnaire individuel femme;
- Le questionnaire individuel homme;
- Le questionnaire communautaire.
Les informations recueillies sont destinées
essentiellement à l'étude des comportements relatifs à la
santé de la reproduction. Toutefois, certaines données de
l'enquête ménage dont nous nous servons ici, collectées
auprès des individus âgés de 6 à 24 ans, permettent
au-delà de l'offre scolaire, d'étudier les déterminants
familiaux de la scolarisation
Mais avant toute utilisation, il convient d'évaluer la
qualité desdites données.
3.2 EVALUATION DE LA QUALITE DES DONNEES
Une condition nécessaire à l'étude des
phénomènes sociodémographiques est la collecte des
données. De leur qualité dépend la fiabilité des
résultats. Cette qualité peut-être compromise dans les pays
en développement notamment dans les pays africains pour plusieurs
raisons:
- Un bas niveau d'instruction des enquêtés, dans
un contexte culturel de l'oralité est souvent à la base de la
mauvaise déclaration de l'âge. En effet, les personnes sans
instruction sont nombreuses en Afrique, et elles n'ont pas une nette
idée de l'âge métrique et situent par conséquent mal
ces évènements démographiques, notamment les naissances
dans le temps.
- Le faible taux des réponses aux questions posées
aux enquêtés.
- Le biais lié à la méthodologie même
de la collecte des informations.
Nous évaluerons successivement la qualité des
données sur l'âge, l'importance des nonréponses et
examinerons les biais liés à la méthodologie de
l'enquête.
3.2.1 Qualité des données sur
l'âge
L'âge est une variable fondamentale dans l'analyse des
phénomènes démographiques en ce sens qu'il constitue le
critère essentiel de sélection et de différentiation des
individus. Bien que d'une importance capitale, les informations sur l'âge
sont souvent mal collectées car en l'absence des documents officiels et
compte tenu du faible niveau d'instruction de l'enquêté (e), la
seule solution bien souvent, reste l'estimation de l'âge de
l'enquêté par celui-ci, par l'enquêteur ou par les deux de
concert. De ce fait, nous nous intéressons dans un premier temps
à la qualité des données sur l'âge de l'ensemble de
la population enquêtée en examinant les rapports de
masculinité et en calculant l'indice combiné des Nations unies et
l'indice de Whipple. Dans un second temps, nous évaluerons la
qualité des données sur l'âge des individus de 6 à
24 ans et des chefs de ménages en recourant à l'examen des
rapports de masculinité et à la méthode graphique.
3.2.1.1 Qualité des données sur
l'âge de l'ensemble de la population enquêtée.
La procédure AGESEX du logiciel PAS donne des rapports
de masculinité et l'Indice Combiné des Nations Unies ; et le
logiciel EXCEL permettent de calculer l'Indice de Whipple.
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