Chapitre II: Endettement excessif et performance
économique
A la veille du troisième
millénaire, plusieurs voix se sont élevées pour appeler
à une annulation totale de la dette extérieure des pays pauvres,
employant l'argument selon lequel cet endettement constituerait un poids
insupportable qui nuirait à leur développement économique.
Si la question de l'annulation totale est récente, celle du fardeau de
la dette l'est moins. En effet, il y a longtemps que les économistes ont
discuté les conséquences négatives du poids de
l'endettement. Il est clair que si l'endettement fournit des ressources
à une économie, le service de la dette qui en découle la
prive d'une partie de ses ressources. Lorsque le fardeau de la dette est
très important, cette réduction de ressources peut conduire
à une réduction de l'investissement et de la croissance (debt
overhang au sens large).
II.1 La théorie de
l'endettement
Cette partie est consacrée aux concepts et
théories de l'endettement. Le premier titre définit la logique de
l'endettement et le second titre présente les explications de
l'endettement.
II.1.1 La logique de l'endettement
public
En général, les gouvernements disposent de trois
moyens pour financer leurs dépenses: les impôts et taxes,
l'endettement et le seigneuriage (la «planche à billets »). La
dette publique est essentiellement un mécanisme qui permet de reporter
dans le temps la perception d'impôts pour le financement des
dépenses publiques. Plusieurs considérations peuvent justifier le
recours à l'endettement. Traditionnellement, le financement par
endettement était privilégié par les gouvernements pour
les dépenses d'immobilisation (en accord avec le principe de
bénéfice intergénérationnel introduit à la
section précédente). Plusieurs organismes gouvernementaux sont
d'ailleurs toujours soumis à cette règle. Le recours à
l'endettement se justifie alors par le fait que les immobilisations produisent
des bénéfices sur plusieurs années. La politique en
matière d'endettement public qui découle de cette «
règle traditionnelle » de financement des immobilisations est la
suivante : financer par endettement les nouvelles acquisitions de capital fixe
et prévoir le remboursement progressif du coût d'acquisition au
cours de la vie utile de ce capital4(*). Une version de l'utilisation
«contracyclique» de l'endettement public se retrouve dans les
idées keynésiennes sur le recours aux déficits publics
pour stimuler l'économie en période de récession. La
dichotomie entre la théorie keynésienne et sa transcription dans
la réalité est toutefois bien connue, la théorie
prévoyant des surplus en période d'expansion. Le cas du Burkina
Faso ne font pas exception à la règle : les déficits
budgétaires enregistrés en période de faible croissance
économique n'ont pas été réduits de façon
considérable pendant période d'expansion ou croissance
économique moyenne.
II.1.2 La théorie de
l'endettement
Dans les pays en développement la quasi-totalité
de la dette a été utilisée pour financer les services
publics, voire des déficits budgétaires conjoncturels, dont les
rendements futurs sont par essence incertains, par nature non
échangeables et par voie de conséquence peu susceptibles
d'assurer le remboursement de la dette à échéance. En
l'occurrence, et ce à la suite de Brooks et al. (1998), les facteurs
à l'origine de la croissance explosive et significative de la dette
publique extérieure de la plupart des pays en développement sont
de cinq ordres, au moins et le Burkina Faso n'échappe pas à cette
règle. Il s'agit essentiellement :
v des chocs exogènes tels que la dégradation des
termes de l'échange ou de mauvaises intempéries qui affectent
plus particulièrement les pays dont la concentration des exportations
porte sur deux ou trois produits agricoles ou miniers ;
v de l'insuffisante «soutenabilité» de
politiques d'ajustement macro-économiques, qui entrave une
réaction appropriée aux dits chocs ;
v de la politique d'endettement et de ré-endettement
basée de façon prédominante sur des prêts non
concessionnels ;
v de la gestion laxiste de la dette par les pays
donateurs ;
v de l'instabilité politique des pays débiteurs
due aux guerres civiles ou aux troubles sociaux.
C'est donc de la conjonction des facteurs externes et internes
qu'il faut rechercher les déterminants de l'incidence négative du
poids de la dette extérieure sur la croissance en Afrique
Subsaharienne.
Dans l'analyse économique, il y a
principalement deux courants qui s'affrontent sur les théories
économiques, à savoir les keynésiens et les
néoclassiques. Cependant, aucune théorie économique n'a
encore établi de façon formelle l'existence d'un plafond optimal
de dette publique. Chacune d'elles développe des argumentations
très divergentes visant à démontrer que les
déficits publics sont terriblement néfastes, incroyablement
bénéfiques ou sans importance...
Selon la conception keynésienne, les gouvernements
doivent, dans certains cas, stimuler l'économie par des augmentations
des dépenses publiques ou par des diminutions de taxes; les
déficits publics sont donc une solution permettant
d'accélérer la reprise économique en cas de crise. En
effet, concernant la théorie sur la dette extérieure et la
croissance, les keynésiens pensent que l'endettement n'occasionne des
charges ni pour les générations futures ni pour des
générations présentes du fait des investissements qu'il
génère. Le modèle de l'Etat selon les keynésiens,
tire ses fondements dans la demande globale et sur ses effets multiplicateurs
et accélérateurs, caractéristique fondamentale de leur
théorie. Dans cette approche, l'endettement
entraînant la relance de la demande provoque par l'effet
accélérateur une hausse plus que proportionnelle de
l'investissement, qui à son tour incite une hausse de la production. Le
déficit budgétaire menant par ses flux successifs à
augmenter le stock de la dette produit l'expansion du cycle économique
par la demande et l'investissement autonome. Ainsi, le déficit auquel
correspond l'emprunt stimule la demande et ne permet d'alléger le
coût de son remboursement que seulement et probablement en situation de
sous-emploi des ressources productives.
Par contre les classiques ou néoclassiques
considèrent l'endettement comme un impôt futur et l'imputent
à l'Etat, une connotation négative car selon eux, l'endettement
public défavorise l'accumulation du capital et la consommation des
générations présentes et futures. En fait les citoyens,
selon Ricardo voient dans l'emprunt un impôt différé dans
le temps et vont se comporter comme s'ils sont contraints de payer un
impôt ultérieurement pour rembourser cet emprunt peu importe le
décalage intergénérationnel. Autrement,
les comportements des agents économiques sont guidés par une
anticipation à la hausse des impôts. Toutefois, une réserve
peut être introduite selon la nature ou la qualité des
dépenses (dépenses de transferts et d'investissement)
financée par l'emprunt. Barro (1974), reprenant le
théorème d'équivalence attribué à Ricardo a
montré que la dette publique était équivalente à
l'impôt en supposant que les agents économiques anticipent
rationnellement les politiques gouvernementales. Il conclut que la dette n'a
pas d'impact sur l'économie et donc qu'une dette publique est toujours
soutenable. Autrement dit une politique de déficit budgétaire
financée par l'emprunt reste sans effet sur l'activité
économique dans la mesure où les agents ne sont pas victimes de
l'illusion fiscale.
Ces deux approches, aux conclusions radicalement
opposées, illustrent à quel point les débats liés
à l'opportunité du financement par emprunt ou par impôt et
à l'impact de l'endettement sur l'activité économique sont
complexes. Le théorème de Barro est moins soutenable à
plusieurs égards car il suppose l'existence d'un altruisme
intergénérationnel des ménages5(*), un marché financier
parfait et l'absence de contrainte de liquidité chose inobservable pour
les deux dernières hypothèses en pratique. Les keynésiens
ne prennent pas en compte l'accumulation des arriérés due
à l'inefficacité de l'investissement ou de l'utilisation de la
dette (l'hypothèse est que toute dette est bien utilisée). Dans
la situation des pays en développement surtout des pays africains la
dette est parfois mal gérée si bien qu'en réalité
elle devient un poids pour les générations futures. Les avantages
et les inconvénients de chaque mode de financement dépendent
grandement du contexte économique, social et politique en vigueur, au
sein des pays concernés, à un moment donné. Actuellement,
l'équilibre budgétaire prôné par la conception
classique est assurément à la mode: aux Etats-Unis, plusieurs
états ont adopté une règle visant à rendre
obligatoire l'adéquation des dépenses aux recettes; au sein de la
zone euro, les pays se sont engagés à respecter le pacte de
croissance et de stabilité. Pour les pays en développement de la
zone franc, l'application effective depuis 2000 de critères de
convergences de l'UEMOA, dont l'objectif est la maîtrise de
l'évolution des charges salariales, la constitution d'une épargne
par les administrations publiques, la réduction des déficits
publics, la réalisation d'un solde primaire de base positif et
l'élimination des arriérés de paiement, est soutenue par
une analyse néolibérale. L'idée de l'équivalence
ricardienne a été testée dans les pays en
développement en particulier par Montiel et Uqhual (cité par
Raffinot. M, 1998) sur un échantillon de 16 pays en
développement. Pour ces pays l'évidence empirique ne montre pas
le caractère opérationnel de cette théorie puisque le
financement par emprunt extérieur de la majorité de ces pays
s'est traduit par des effets d'éviction. L'épargne externe se
substitue à l'épargne interne entraînant une baisse de
l'investissement domestique. On constate que l'analyse keynésienne a
permis d'intégrer les finances publiques dans l'activité
économique générale. Romer (1992), Barro et Gordon (1994)
ont montré que l'intervention de l'Etat permet la croissance
économique du fait des externalités positives des dépenses
publiques (fournitures d'infrastructures, dépenses de santé,
d'éducation,..) sur la productivité du secteur privé. Le
budget de l'Etat est devenu un instrument privilégié de
politiques économiques, une arme essentielle dans la régulation
que les pouvoirs publics tentent de mettre en oeuvre. Par conséquent
nous privilégierons dans cette étude l'approche
keynésienne de l'endettement qui semble suivre la logique des pays en
développement.
I.2.L'impact de l'accumulation de la dette sur les
agrégats
Les effets indésirables d'une dette extérieure
excessive peuvent se mesurer à l'aune de leurs impacts sur la croissance
et sur l'efficacité des politiques macroéconomiques.
I.2.1 Les effets sur la croissance
Deux facteurs principaux sont responsables de ces effets : le
surendettement et l'érosion de la confiance envers l'efficacité
des politiques du pays débiteur.
I.2.1.1 Le surendettement
On entend couramment par surendettement l'existence d'un
encours important de dette extérieure ayant des conséquences
négatives sur l'investissement et la croissance. Les investisseurs
s'attendront à une hausse des impôts actuels et futurs pour
permettre le nécessaire transfert des ressources à
l'étranger. La réduction anticipée du rendement
après impôts des investissements privés et l'utilisation
d'une part croissante de l'épargne intérieure aux fins du service
de la dette ont pour effet d'évincer l'investissement intérieur
et de décourager l'investissement étranger. Ces effets peuvent
également motiver la fuite des capitaux, les propriétaires
cherchant à protéger la valeur de leurs avoirs en profitant
d'occasions d'investissement plus alléchantes à l'étranger
(Deppler et Williamson, 1987; Ajayi, 1996). De même, la
monétisation du fardeau financier plus lourd que représente la
dette au moyen du financement bancaire nuirait à la croissance en
causant de l'inflation et en affaiblissant la monnaie. Les salaires
réels et la richesse réelle diminueraient, et la production
chuterait en dessous de son niveau potentiel.
Le surendettement risque également de décourager
les réformes (Claessens et al. 1997). La restructuration
économique (par exemple, libéralisation du commerce,
privatisation, réforme budgétaire) a des répercussions
politiques et entraîne des coûts économiques connexes
(prenant par exemple la forme d'un ralentissement économique), ses
avantages ne se matérialisant que plus tard. Si les décideurs aux
prises avec un surendettement viennent à anticiper que les
créanciers étrangers chercheront à s'approprier une partie
des bénéfices de la réforme économique en exigeant
à long terme des remboursements plus importants, tout en laissant
l'économie subir les coûts des ajustements à court terme,
ils seront moins enclins à entamer des réformes, ce qui nuira
à la croissance (Corden, 1989; Claessens et al. 1997). De plus, dans la
mesure où les investisseurs potentiels préfèrent attendre
que les rendements soient suffisants pour compenser les risques posés
par l'investissement ou le rapatriement des capitaux, ils auront tendance
à ne réagir que lentement à toute réforme
significative (Dornbusch, 1990). L'effet possible de désincitation des
réformes économiques risque d'être plus sérieux pour
les pays à faible revenu très endettés où les
distorsions structurelles profondes et la gestion macroéconomique
inadéquate (combinées à un accès limité aux
marchés étrangers des capitaux privés) font
déjà obstacle à une réforme soutenue (Ndulu, 1995;
Elbadawi, 1996). Il est ainsi possible d'affirmer qu'au-delà d'un
certain niveau, l'accumulation des dettes extérieures décourage
l'investissement et ralentit la croissance.
Les faits d'expérience confirment les effets
négatifs du surendettement sur la croissance. En utilisant une analyse
de régression transversale pour 99 pays en développement mettant
en rapport l'endettement, l'investissement et la croissance, Elbadawi (1996) a
déterminé que le cumul des dettes passées (situation
comparable au surendettement) nuit à la croissance. Ses conclusions
rejoignent celles de Borensztein (1990) concernant l'expérience des
Philippines, où l'encours de la dette extérieure a eu un
important effet négatif sur l'investissement et découragé
l'investissement privé. De telles observations ont souvent
été invoquées à l'appui d'une stratégie de
réduction de la dette visant à réactiver la croissance des
pays à faible revenu en renforçant les perspectives
d'investissement du secteur privé. Warner (1992) a toutefois
observé que les dettes très lourdes des années 80 n'ont eu
un effet négatif sur l'investissement que dans 2 des 13 pays très
endettés : l'Argentine et le Nigeria. Le déclin de
l'investissement dans les autres pays était attribuable à une
détérioration des termes de l'échange et à la
monté des taux d'intérêts mondiaux. Cohen (1993) et Diwan
et Rodrik (1992) sont arrivés aux mêmes conclusions.
I.2.1.2. La confiance des bailleurs de fonds
Si une hausse du ratio service de la dette/exportations pousse
les marchés à conclure que le pays débiteur ne pourra
vraisemblablement pas assurer le service de sa dette dans un avenir
prévisible, les investisseurs privés risquent de chercher
à réduire leur exposition en retirant rapidement leurs fonds. Une
telle réaction engendrera une pénurie de liquidités,
à mesure que l'accès aux marchés internationaux des
capitaux devient plus limité, et réduira ainsi l'investissement
sous les niveaux normaux. Lorsqu'une proportion sans cesse croissante de
l'épargne intérieure est imposée aux fins du remboursement
de la dette, les contraintes imposées de l'extérieur sur les
liquidités peuvent limiter sensiblement l'investissement et la
croissance. Dans quelles circonstances de tels retraits sont-ils
provoqués? Le phénomène est étroitement lié
à l'évaluation faite par les marchés de la qualité
de la politique économique et de l'aptitude des pouvoirs publics
à la mettre en oeuvre. Lorsque la confiance règne, le pays peut
emprunter des fonds supplémentaires pour amortir les effets du processus
d'ajustement nécessaire à la réduction du ratio service de
la dette/exportations et ainsi éviter un déclin brutal de la
croissance. Si la méfiance s'installe, le resserrement du crédit,
même s'il est causé par des événements ou des chocs
exogènes, risque de nécessiter un ajustement important pour faire
face au déficit des transactions courantes et aux sorties de capitaux
qui en découleront probablement, simplement pour établir les
bases du rétablissement d'un apport normal de capitaux.
Il y a longtemps que les économistes ont discuté
les conséquences négatives du poids de l'endettement. Il est
clair que si l'endettement fournit des ressources à une économie,
le service de la dette qui en découle la prive d'une partie de ses
ressources. Lorsque le fardeau de la dette est très important, cette
réduction de ressources peut conduire à une réduction de
l'investissement et de la croissance (debt overhang au sens large). Ce fardeau
que représente le service de la dette peut également
réduire les ressources actuelles du pays (crowding-out). Les
études théoriques sur le rapport entre la dette extérieure
et la croissance sont largement centrées sur les effets négatifs
du surendettement : l'accumulation par un pays d'une dette si
élevée qu'il risque de ne plus être capable de rembourser
les emprunts passés, ce qui a un effet dissuasif sur les
créanciers et investisseurs potentiels.
IB
Eo
EB
EB
EB*
EB*
eo
e1
0
A2
A1
Ao
Dépenses, A
Taux de change, E
Figure 1. Les effets des emprunts
extérieurs sur
l'évolution du solde
intérieur et extérieur
La figure1 fournit une illustration graphique des effets d'un
endettement extérieur excessif sur la croissance. On y présente
en abscisse les dépenses intérieures (l'absorption) et en
ordonnée la valeur du taux de change, définie de telle sorte
qu'un mouvement vers le haut représente une appréciation. La
droite qui représente l'évolution du solde intérieur (IB)
est affectée d'une pente positive, ce qui signifie que des
dépenses intérieures plus élevées exigeront une
appréciation plus forte de la monnaie qui permettra d'infléchir
la demande intérieure et d'éviter ainsi l'inflation. Inversement,
la droite qui représente l'évolution du solde extérieur
(EB) est affectée d'une pente négative puisque le compte des
transactions courantes ne restera inchangé en conditions d'augmentation
des dépenses que si l'augmentation des importations causée par
la hausse des dépenses est compensée par l'augmentation des
exportations induite par un taux de change plus concurrentiel. Au niveau
d'équilibre initial E0 associé au taux de change
e0 et au taux d'absorption A0, le solde extérieur
atteint une valeur telle que les apports en capitaux permettent de financer le
déficit des transactions courantes. Supposons qu'une augmentation du
coût des emprunts induite par l'accumulation des dettes contraigne les
autorités à supprimer tout emprunt supplémentaire ou que
les créanciers, préoccupés par la situation d'endettement,
refusent d'accorder de nouveaux crédits. Dans ce cas, la courbe EB
glissera vers la gauche pour devenir EB*, sous l'effet de la contraction des
fonds disponibles pour financer le déficit des transactions courantes.
Cette nouvelle position exigera un taux d'absorption moindre, pour un taux de
change fixe donné. Si l'ajustement doit prendre la forme d'une
compression des dépenses, il deviendra nécessaire de
réduire les dépenses à A2, ce qui imposera au
système un fardeau secondaire d'ajustement (A0 -
A2), une mesure de l'effet négatif sur la croissance. D'autre
part, si l'ajustement combine une restriction des dépenses à la
dépréciation de la monnaie, la réduction du taux
d'absorption (A0 - A1) sera un peu plus faible,
traduisant un impact moins dur sur la croissance.
II.2.2 Endettement public et performances
macroéconomiques
Il est utile de faire une distinction entre les
conséquences d'une nouvelle accumulation de dette extérieure et
les conséquences d'une dette extérieure existante importante sur
l'efficacité des politiques macroéconomiques. L'accumulation de
dette extérieure (notamment aux fins des dépenses
intérieures) dans des conditions de taux de change fixe tend à
affaiblir la régulation monétaire en influant directement sur la
masse monétaire. Cet effet s'observe en particulier dans les pays
débiteurs qui ne disposent pas des moyens appropriés pour
stériliser l'impact des entrées de capitaux sur la masse
monétaire. Même si les effets sur la masse monétaire et sur
le revenu finiront à terme par renverser la tendance initiale à
l'expansion monétaire, ce processus de correction découle de
l'expansion monétaire elle-même, et perturbe la stabilité
à court terme du taux de change. L'ampleur de cette perturbation
dépend du cadre temporel et de l'intensité des flux par rapport
à la taille de l'économie. Ainsi, pour maîtriser
entièrement les conséquences des emprunts extérieurs sur
l'expansion monétaire, il faudrait renoncer à l'engagement en
faveur d'un taux de change fixe ou imposer des limites aux mouvements de
capitaux.
Un endettement élevé peut également nuire
à la politique monétaire, en particulier lorsqu'on procède
au refinancement d'une dette extérieure importante ou à la
correction d'un taux de change désaligné. La présence de
tels facteurs signifie que des variations du taux de change peuvent avoir des
incidences importantes sur le bilan des entreprises et des
sociétés financières.
En particulier, une dévaluation de la monnaie peut
rendre ces entreprises techniquement insolvables sous l'effet de la hausse de
la valeur de la dette extérieure en monnaie nationale. Cette solution
est parfois nécessaire et utile, en particulier dans les pays où
les entreprises se sont mises en situation financièrement
vulnérable pour avoir compté sur une monnaie
surévaluée. Dans la mesure où ces entreprises utilisent
des facteurs importés, leurs coûts d'exploitation risquent d'avoir
été réduits artificiellement par cette
surévaluation. La dévaluation de la monnaie met un terme à
ce processus et impose une discipline économique salutaire. Toutefois,
les autorités craignent les effets possibles de cette mesure sur les
entreprises nationales et leur réticence à pousser ces
dernières à la faillite pourrait les conduire à surseoir
à la correction du déséquilibre du taux de change. C'est
ainsi que l'existence d'une dette extérieure importante limite
l'application des politiques macroéconomiques.
Une dette extérieure importante réduit
également la souplesse de la politique budgétaire. Comme il est
impossible de réduire les paiements d'intérêts, en
particulier dans les situation où on procède à une
correction du taux de change, l'ajustement a un impact plus sérieux sur
les dépenses intérieures, y compris celles effectuées pour
les biens non échangeables, ce qui provoque du chômage. Compte
tenu des difficultés inhérentes à la mobilisation des
recettes et à la réduction des salaires, les corrections
prendront vraisemblablement la forme d'un gel des salaires, d'une hausse de la
dette intérieure, ou d'une activation de la planche à billets,
nuisant ainsi sérieusement à la compétitivité
nécessaire pour améliorer l'aptitude à assurer le service
de la dette. La contradiction entre l'amélioration de la
compétitivité et le maintien d'un budget équilibré
est plus sérieuse en conditions d'endettement public élevé
(Dornbusch, 1993). Ainsi, l'existence d'obligations importantes en
matière de service de la dette tend à perpétuer la
surévaluation de la monnaie et les déficits budgétaires
importants.
C'est pour corriger ces effets que la théorie s'est
préoccupée du lien étroit qui existe entre endettement et
performances économiques. Premièrement, le paiement du service de
la dette (dans le présent comme dans le futur) peut réduire
l'investissement (courant et futur) et par la suite la croissance
économique. Pour Peter Wickam « la croissance est
tronquée dans le présent, si le fardeau de la dette affecte le
flux courant de ressources disponibles pour le pays ; dans le futur un
taux élevé de ressources destinées au paiement du service
de la dette décourage l'investissement.» Deuxièmement, le
fardeau de la dette comme paiement de son service ainsi que son
reéchellonnement peut affecter l'environnement politique en vigueur et
pervertir les politiques économiques.
* 4 En pratique, cette
« règle traditionnelle » suggère au
gouvernement de s'endetter annuellement à concurrence du montant de ses
investissements en capital fixe, les paiements prévus au titre des
investissements passés (i.e. l'amortissement) faisant automatiquement
partie des dépenses courantes par l'entremise du service de la dette.
* 5 On parle d'altruisme
intergénérationnel des ménages lorsqu'ils se
préoccupent du bien de leurs descendants.
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