Introduction Générale
Le fardeau de la dette publique, malgré les
allègements récents, constitue une entrave au
développement des pays pauvres avec la coexistence de plusieurs facteurs
déterminants tels que la faiblesse du niveau de l'épargne, la
situation critique de la balance des paiements ainsi que les faibles taux de
croissance économique. L'émergence, dans ces pays de
sérieux problèmes de service de la dette extérieure au
cours des années 80, a mis en lumière les conséquences
potentiellement catastrophiques d'un excès d'emprunts pour leurs
économies. Ainsi l'inaptitude à appliquer une politique
d'endettement compatible avec la capacité de service de la dette
perturbe les mouvements des capitaux, ce qui peut nuire à la croissance
et à la stabilité de l'économie, notamment dans un
contexte d'une augmentation massive de la proportion des capitaux
privés. Une gestion cohérente de la dette publique doit s'appuyer
sur des politiques macroéconomiques appropriées et sur des
emprunts extérieurs prudents.
Au Burkina Faso, le retournement des conjonctures
économiques au début des années 80, dû à
l'aggravation du déficit de la balance des paiements et
l'accélération de la croissance de la dette, a
entraîné une situation critique entre 1994 et 1996 essentiellement
au niveau de la capacité réelle de l'économie à
faire face à la demande du financement extérieur ainsi qu'au
niveau de la soutenabilité de ses dettes. L'encours de la dette totale
rapporté au PIB1(*),
de 26,8% en 1990 est passé, sous l'impact de la dévaluation,
à 72,6% en 1994 pour retomber à 38,4% en 2005. Cependant on
remarquera qu'avec l'initiative en faveur des pays pauvres très
endettés (IPPTE) ce ratio se situe en dessous de 50% depuis 2002. Quant
au service de la dette rapporté aux exportations, il a connu
sensiblement la même évolution que l'encours passant de 16,4% en
1990 à 30,1% en 1994, puis 20,7% en 2005. Ces données indiquent
que les capacités d'investissements de l'Etat sont réduites et
cette situation accroît sa dépendance à l'égard des
financements extérieurs.
Dans la théorie de l'endettement, certains
économistes comme J. Sachs (1988) et P. Krugman (1995) pensent que
l'emprunt extérieur a un effet positif sur la croissance jusqu'à
un certain seuil; au-delà de ce seuil, son effet devient négatif.
Ce seuil est estimé à environ 50 % du PIB pour la valeur nominale
de la dette extérieure et à 20-25 % du PIB pour le niveau
estimé de sa valeur actuelle nette (VAN). Ainsi avant ce seuil, les
emprunts supplémentaires accroissent la probabilité de
remboursement de la dette; au-delà de ce seuil, les chances que les
créanciers soient remboursés diminuent. En revanche, D. Cohen
(1996) montre empiriquement que la dette (ainsi que le nombre de
rééchelonnements) a pesé sur la croissance dans les pays
en développement. Cependant, ce résultat général
n'est pas obtenu pour tous les pays de l'échantillon, notamment en ce
qui concerne les pays africains. L'impact de l'endettement sur la
réduction de la croissance semble non significatif pour le Burkina Faso
(objet du présent travail), négligeable pour le Kenya,
l'île Maurice, le Rwanda, l'Afrique du Sud, le Zaïre, le Zimbabwe et
le Mali. Dans deux autres cas, l'impact de la dette sur la croissance est
même positif (Ghana et Tanzanie).
En définitive, les faits ne confirment pas
entièrement la théorie du surendettement, mais la plupart des
modélisations des facteurs déterminants de la croissance
présupposent que le niveau de la dette influe sur la croissance à
la fois directement (en dissuadant les gouvernants d'entreprendre des
réformes structurelles) et indirectement (en décourageant
l'investissement). Il faut noter que peu d'études
économétriques ont évalué l'impact direct du stock
de la dette sur l'investissement dans les pays à faible revenu.
Geske Dijkstra et Niels Hermes (2001), passent en revue un
certain nombre de travaux sur l'hypothèse du surendettement et arrivent
au constat que les analyses empiriques ne sont pas concluantes. Par ailleurs,
peu d'études donnent une idée claire du niveau du ratio de la
dette au PIB à partir duquel l'impact du surendettement se fait sentir.
Par contre, Catherine Pattillo, Hélène Poirson et Luca Ricci
(2002) étudient 93 pays en développement durant la période
1969-98, ils confirment solidement l'hypothèse d'une relation entre
l'encours de la dette extérieure et la croissance. Les auteurs
constatent que l'incidence de la dette extérieure sur la croissance du
PIB par habitant commence à être négative à partir
du moment où la valeur actuelle nette (VAN) de la dette dépasse
160-170 % des exportations et 35-40 % du PIB. Leurs simulations
suggèrent que le doublement du niveau de la dette ralentit la croissance
annuelle par habitant d'environ 1/2 à 1 point de pourcentage. Dans une
étude complémentaire de 2004, Patillo et al. ont appliqué
un modèle de comptabilisation de la croissance à un groupe de 61
pays en développement durant la période 1969-98 et ont
constaté que le doublement du niveau moyen de la dette extérieure
a pour effet de réduire de près d'un point la croissance tant du
capital physique par habitant que de la productivité totale des facteurs
de ces pays. En d'autres termes, si l'encours de la dette est
élevé, il pèse sur la croissance en ralentissant aussi
bien l'accumulation de capital que la progression de la productivité
totale des facteurs. En théorie, le service de la dette
extérieure (qui comprend les intérêts et le remboursement
du principal) -- par opposition à l'encours de la dette -- peut en outre
influer sur la croissance en évinçant les investissements
privés ou en modifiant la composition des dépenses publiques.
Enfin, selon Oxfam International (2001), la charge élevée du
service de la dette est l'un des principaux obstacles à la satisfaction
des besoins humains de base dans les pays en développement. Mais
relativement peu d'études empiriques ont testé ces
hypothèses en évaluant l'effet du service de la dette sur
l'investissement privé ou sur la composition des dépenses
publiques, et les données empiriques à cet égard ne sont
pas concluantes.
A la suite de l'accumulation des créances
extérieures d'un grand nombre de pays à faible revenu tout au
long des années 70 et 80, la conjugaison de faibles niveaux de
croissance, de prix des produits de base en baisse et d'autres chocs
économiques ont abouti à ce que le fardeau de la dette atteigne,
pour beaucoup de pays, des niveaux insoutenables. La mise en oeuvre d'une
initiative de réduction de la dette des pays pauvres très
endettés (IPPTE) par le Fonds Monétaire International (F.M.I) et
la Banque mondiale induit à porter une attention particulière sur
la question la dette de ces pays ainsi que la notion de la
soutenabilité2(*) de
la dette. Le programme de réduction de la dette des pays les plus
pauvres adopté en 96 repose sur l'évaluation de la
soutenabilité de la dette des pays et seuls les pays dont la dette est
« insoutenable » pourront bénéficier des
mesures prévues à cet effet. Cette initiative, en faveur des
PPTE, fournit une assistance conditionnelle se rapportant à des
politiques économiques d'ajustement et quelques critères de
performance afin de permettre aux pays éligibles de
bénéficier d'un allégement de l'ordre de 80% de la valeur
actualisée nette (VAN) de la dette multilatérale, et ainsi rendre
la dette à un niveau soutenable. Et avec les ressources qui devraient
être remboursées au titre du service de la dette, les pays
éligibles devront alors élaborer des stratégies dans un
document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP)
pour éradiquer la pauvreté et relancer la croissance
économique. On pourrait cependant dire que le lien entre endettement et
croissance n'est pas univoque. Les revenus tirés de la croissance
permettent le désendettement, mais peuvent susciter aussi de nouveaux
emprunts. Ce cercle vertueux peut cependant devenir vicieux lorsque
l'endettement est excessif.
La question fondamentale qui se pose dans cette recherche est
aussi bien de savoir le lien qui existe entre l'endettement et la croissance
économique du Burkina Faso.
La recherche va porter principalement sur la notion de
soutenabilité de la dette extérieure ainsi que le seuil
d'endettement compromettant les performances économiques. Il s'agira de
déterminer le lien qui existe entre la dette publique et la croissance
économique et dégager le seuil d'endettement optimal dans le cas
du Burkina Faso.
L'étude se fixe comme objectif général
d'arriver à une meilleure connaissance de la dette publique en
répondant à cette question : Analyser le rôle
de la dette publique sur la croissance économique du Burkina Faso. A cet
objectif général se rattachent les objectifs spécifiques
suivants :
Ø Etablir un effet non linéaire de la dette sur
la croissance ;
Ø déterminer un seuil critique au-delà
duquel la dette publique influe-t-elle négativement sur les performances
économiques du Burkina Faso.
Dans cette étude le cadre temporel retenu pour
l'analyse est la période 1970 à 2005 du fait qu'elle constitue la
période au cours de laquelle a surgi le problème de la dette dans
les économies africaines. Pour atteindre les objectifs de l'étude
les hypothèses suivantes seront testées :
Ø La dette extérieure du Burkina Faso a une
relation non linéaire avec le taux de croissance réelle du
PIB ;
Ø Le service très important de la dette
extérieure en évinçant les ressources destinées
à l'investissement public, constitue un frein à la croissance
économique.
Pour ce faire nous retenons certaines variables
décisives de la croissance économique pour les pays africains
auxquelles nous ajoutons des variables de contrôle que sont la dette
extérieure en valeur nominale, le ratio du service de la dette sur les
exportations. A cet effet nous utiliserons des données secondaires
issues des statistiques de la Direction de la Dette Publique (DDP) du Burkina
qui est la structure chargée de collecter et de traiter les
données relatives à l'endettement du pays. En raison de l'absence
de certaines variables surtout à long terme dans leurs statistiques un
examen de la base des données de la Banque mondiale nous sera d'un
apport certain.
Tout au long de ce travail nous allons tenter de
répondre à notre problématique à savoir
l'endettement public et ses implications sur les performances
économiques notamment la croissance économique du Burkina Faso.
Dans un premier chapitre, il s'agira de définir les concepts de base
ainsi que les conditions financières et la soutenabilité de la
dette extérieure. Dans un second chapitre nous allons passer en revue la
théorie de l'endettement excessif et ses conséquences sur la
croissance afin de pouvoir analyser le cas de la dette publique du Burkina
Faso. Enfin dans le dernier chapitre, il sera question de faire une analyse
empirique pour vérifier nos hypothèses et faire des propositions
en termes de recommandations de politiques économiques en vue d'une
meilleure gestion de la dette publique.
* 1 Données brutes de la
Direction de la Dette Publique du Burkina Faso.
* 2 Pourtant, les travaux de
nombreux auteurs parlent de soutenabilité de la dette (debt
sustainability) alors qu'ils envisagent uniquement cette
soutenabilité dans l'intérêt des créanciers,
c'est-à-dire en mettant en évidence les cas pour lesquels une
réduction de la dette extérieure est favorable aux
créanciers ou en déterminant les conditions permettant aux
créanciers d'être assurés d'un remboursement
maximum. Raffinot [1998] envisage quant à lui la
soutenabilité de la dette comme le fait qu'un ratio
déterminé (type stock de la dette/PIB) tende vers une limite
finie, ce qui permet à un pays, s'il paie régulièrement
les intérêts de sa dette, de continuer à recevoir des
financements extérieurs. Pour Loser [2004], la dette extérieure
est soutenable lorsque le poids du service de la dette ne freine pas la
croissance. Nous considérons pour notre part que tous ces travaux
renvoient à une approche en termes de solvabilité, terme que nous
utiliserons dans la suite de ce texte.
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