La responsabilité civile du créancier professionnel en matière de sûretés( Télécharger le fichier original )par Arnaud Silvère Yansounou Faculté de droit de La Rochelle - Master II Recherche Droit Privé 2005 |
3°) La preuve de l'exigence d'une disproportion manifesteLa Cour de cassation, du moins l'interprétation de l'arrêt du 08 Octobre 2002 a contrario, ne dénie pas aux cautions dirigeants de sociétés le droit d'agir en responsabilité contre le créancier professionnel. Elle subordonne cette action à des conditions très strictes, ce qui aura pour conséquence de rendre son exercice exceptionnel, alors que le principe de proportionnalité était de plus en plus invoqué par les cautions actionnées par les établissements de crédit. Cette décision du 08 Octobre 2002 impose aux cautions qui souhaiteraient engager la responsabilité du créancier professionnel des preuves particulièrement difficiles à rapporter, ne serait-ce qu'en raison de leur caractère parfois négatif : elles doivent démontrer la connaissance, par les établissements de crédit prêteurs, de leur situation patrimoniale et les facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération entreprise par l'emprunteur. L'un des éléments de la démonstration est relatif à la caution et l'autre au crédit octroyé. Les cautions sont tenues de démontrer que l'établissement de crédit créancier bénéficiait, sur leur situation patrimoniale, d'informations qu'elles même ignoraient. La charge de la preuve pèse désormais sur elles. Cette preuve se dédouble : négativement, elles devront démontrer leur ignorance d'un fait et, positivement, la connaissance de ce fait par autrui. Pratiquement, une telle preuve sera quasiment impossible à rapporter. Il faut également que les banques détiennent des informations non connues des cautions sur leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles , en l'état du succès escompté de l'opération entreprise par le débiteur principal. La notion de succès prévisible d'une opération de crédit est difficile à cerner, ne serait-ce que parce que les circonstances économiques et la situation financière de l'entreprise sont susceptibles de beaucoup évoluer entre la période précontractuelle, la signature de la convention de crédit et la fin de son exécution. Là encore, une double démonstration de la part de la caution sera nécessaire, son ignorance, par elle-même, et sa connaissance par le banquier. Désormais, les cautions dirigeantes auront maintenant beaucoup plus de mal à se dégager de leurs engagements, à partir du moment où le contrat de cautionnement aura été régulièrement formé. La Cour de cassation calque une nouvelle fois la situation des garants sur celle des débiteurs principaux, lorsque ces derniers bénéficient d'un crédit, dans le sens de leur responsabilisation. Ils sont tenus de respecter leurs engagements. Le cautionnement y regagne en cohérence, car il permet à nouveau de préserver les intérêts du bénéficiaire de la caution. Dans l'ensemble des arrêts68(*) qui leur ont succédé et qui ont refusé de faire application du principe de proportionnalité, la Cour de cassation a toujours relevé la qualité de dirigeant de la caution comme dans l'arrêt Nahoum lui-même. Ainsi, il a été jugé que la responsabilité de la banque pour octroi abusif de crédit ne pouvait être engagée que si elle disposait d'informations que les cautions, en dépit de leur qualité, ignoraient. Tandis que la Chambre commerciale mettait la dernière main à l'élaboration d'une jurisprudence nuancée, la loi du 01 Août 2003 est venue remettre en cause toute l'évolution jurisprudentielle antérieure. En effet, la loi du 01 Août 2003 (article L. 341-4 du Code de la consommation) précise que les droits du créancier professionnel ne seront restaurés que s'il démontre que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation malgré la disproportion initiale de l'engagement. Cette « exception de proportionnalité » confine ou paradoxe : non seulement le créancier professionnel n'est pas le mieux placé pour apporter pareille preuve, mais cette démonstration suppose virtuellement la réussite de l'opération garantie et l'inutilité du recours ! Cependant, les juges sont très réticents à appliquer la loi du 01 Août 2003 aux instances en cours avant le 07 Août 2003, date d'entrée en vigueur de la loi. Ainsi, dans un arrêt du 22 Octobre 2004, la Cour d'appel de Paris a affirmé son refus de reconnaître à cette loi un effet rétroactif et de ce fait, a fait application de la jurisprudence Nahoum. * 68 Cass. com., Sté générale c/ Boutes : en l'espèce, les cautions avaient à la fois les qualités d'actionnaires et de dirigeants de la société. Elles avaient donc nécessairement connaissance de la situation de cette dernière. |
|