II- Que faut-il attendre des évolutions
d'Internet ?
61 Anarchiste américain
Cette partie, plus libre sera notamment constituée des
divers éléments recueillis au cours des entretiens ou bien des
tendances diverses auxquelles appartiennent les différents
théoriciens et chercheurs qui ont écrit sur Internet et les
différents acteurs.
La première tendance à laquelle on
s'intéressera relève de l'antiaméricanisme. Cette tendance
relayée par une partie des médias en France et à
l'étranger a sans doute cristallisé une partie de l'opinion et
permis aux états de se positionner dans une logique d'opposition
relativement stérile. En effet, si l'intention des Etats-Unis a pu
être de donner une indépendance totale à l'ICANN, il n'en
est désormais plus rien. Cependant, il faut bien voir que les
modèles actuels de gestion, de gouvernance paraissent
complètement inadéquats face à une ressource telle que
celle-ci. Au cours de l'entretien, Mme INNE a pu ainsi admettre que
malgré leurs revendications fortes, les gouvernements n'avaient pas de
proposition viable ou de plan de transition. La position de Mr POUZIN
paraît à cet égard beaucoup plus intéressante car
malgré ses critiques sur le gouvernement américain et sur
l'ICANN, ses revendications linguistiques ont la qualité technique
suffisante pour être écoutées et de plus, cet enjeu,
très politique n'est pas celui, inabordable en tant que tel d'une
gouvernance globale. A cet égard, le peu d'articles que j'ai
trouvé à propos d'Internet dans les périodiques
français de Relations Internationales et les possibles fautes ou
à tout le moins, le manque de précision qui y a été
décelé montrent bien l'incapacité latente à
maîtriser totalement le sujet.
Mr BREHAM a pu faire établir une liaison entre certains
« espaces » d'Internet et les zones d'autonomie temporaire
décrites par Hakimbey61. L'émergence de telles zones
de liberté où la notion d'Etat devient quelque peu floue,
lointaine et éloignée permet sans doute de comprendre la remise
en question de nos sociétés que l'on peut y trouver. Cette
allusion engendre plusieurs remarques, la première est que cela peut
constituer une explication aux phénomènes de répression
que l'on peut observer dans les pays à régime autoritaire. La
seconde se retrouve dans la référence relativement persistante
qu'a pu faire Mr POUZIN à l'Etat. En effet, sa proposition par exemple
de considérer le routage et le service DNS en fonction d'une
répartition territoriale par états est sans doute
intéressante mais elle remet
« dans le jeu » l'Etat alors qu'il est aujourd'hui
relativement absent même si les problématiques actuelles et les
enjeux y font clairement référence.
Au final, on peut établir trois tendances de
pensées et de positionnement face à Internet. Ces trois «
modes » de pensées sont le fruit d'un travail de réflexion
beaucoup plus transversal des éléments que j'ai pu réunir
et ne constituent pas une analyse en tant que tell e.
Le premier mode de pensée est celui qui a
présidé à la création d'Internet. Il s'agit d'une
conception universitaire de la ressource et c'est notamment celle de la plupart
des ingénieurs et universitaires qui ont participé au projet.
C'est aussi celle qui a conduit J. POSTEL à écrire certaines des
conditions des RFC, notamment sur la non-appartenance et le caractère de
ressource commune d'Internet. C'est encore cette vision qui lui a dicté
sa gestion particulière des CCTLD en son temps. Des auteurs comme
Laurence LESSIG développent bien cette vision et insistent bien sur
cette notion de bien commun appartenant à tous. Dans cette vision,
l'ICANN, bien que lié au gouvernement ne doit pas être
considéré comme la « bête noire » de la
démocratie à propos d'Internet. C'est donc une vision très
idéaliste d'Internet et les conséquences paraissent cependant
incertaines quant à la suite à donner. Une chose reste certaine :
la volonté sans faille qu'Internet garde ce potentiel de liberté
et de créativité qu'il a. On peut peut-être y voir aussi la
volonté d'un certain statu-quo.
Le second mode de pensée est plus «
économique ». Ses premières conséquences se sont
produites lors du contrat signé par Network Solutions à propos de
la gestion du .com. Il existe, comme le montre LESSIG, une certaine tendance
aux Etats-Unis à vouloir faire gérer le plus possible toutes les
ressources « délicates » par le secteur privé.
Hérité entre autres, sans doute, de la peur d'un certain
absolutisme et d'une présence trop importante de l'Etat, cette vision
prône que le meilleur avenir pour Internet se trouve dans une gestion
plus importante de la ressource par le secteur privé. Evidemment, les
profits que l'on peut envisager d'une gestion d'Internet par ce biais sont
énormes et l'on comprend mieux ainsi les objectifs de cette vision. Par
ailleurs, il n'est pas certain que cela n'entraîne pas une
réduction du potentiel d'Internet, notamment si des personnes morales
privées ayant plus d'intérêt dans un système sans
Internet (les majors de la musique, du DVD...) participent à la gestion
de la ressource.
Le dernier mode de pensée est celui que l'on pourrait
nommer « public » ou encore « étatique ». Si on peut
le considérer comme le « paradigme » montant, les
conséquences qui en sont issues sont encore assez rares. Les questions
de souveraineté, de sécurité, de
dépendance ont une telle importance pour les
états que leurs protestations et revendications de plus en plus
importantes à participer à la gestion d'Internet ne peuvent
continuer longtemps sans avoir des conséquences. En effet, il ne faut
pas oublier les dernières innovations de la Chine en matière
d'Internet, les SMSI et la volonté de l'ONU de se saisir du
problème et la volonté partagée par tous les états
de se voir confier la gestion et le contrôle d'Internet, que ce soit
personnellement ou bien alors au sein d'une structure qu'ils contrôlent
parfaitement en tant qu'Etats. Si l'ONU reste une organisation où les
Etats ont le pouvoir, leur présence à l'ICANN ne leur apporte pas
de pouvoir de décision. Cependant, il est évidemment certain que
la gestion par l'ONU d'Internet ne saurait garantir une meilleure
sécurité sur Internet tout en garantissant le maintien du
potentiel d'Internet. Au final, cette vision, à priori une des plus
raisonnables, pourrait cependant apporter la fin d'Internet tel qu'il existe
aujourd'hui.
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