Conclusion
Au Tchad, comme dans beaucoup de pays d'Afrique
sub-saharienne, les banques refusent la plupart des demandes émanant de
petites et moyennes entreprises d'origine nationale.
Deux séries de raisons expliquent ce
phénomène. Premièrement, les banques ne peuvent pas
orienter toutes les ressources collectées en raison de ratios de
liquidité et de solvabilité à respecter. Cette
première raison s'explique aussi par l'importance des créances
douteuses qui immobilisaient une part importante des liquidités, et du
fait du refinancement de la Banque Centrale désormais accordé
uniquement aux signatures de bonne qualité.
Deuxièmement, en prenant en compte la nature des
demandes, les banques n'orientent pas toutes les ressources qui restent
à leur disposition après la prise en compte de cette
première série de contraintes. Elles écartent les demandes
sur lesquelles elles ne peuvent évaluer le risque en raison du manque
d'informations fiables, et de demandes trop risquées.
Le rôle des banques commerciales dans le financement du
développement reste toutefois limité, compte tenu du fait
qu'elles n'ont ni les moyens, ni la volonté de s'attaquer au financement
de certains secteurs stratégiques de l'économie tchadienne
notamment le secteur des PME / PMI.
En effet, les banques privilégient à juste titre
la rentabilité (opérations de services, apportant de
substantielles commissions) au détriment du financement du
développement, le risque accompagnant de tels financements étant
incompatibles avec le rendement attendu du capital.
La plupart des banques commerciales tchadiennes sont
aujourd'hui saines, la solvabilité et la liquidité ayant
été restaurées et des marges confortables étant
dégagées. Cependant, d'importants progrès restent à
accomplir en matière de gestion bancaire dans des domaines tels que la
stratégie commerciale, la gestion des ressources humaines,
l'organisation de la fonction engagement, la gestion des risques ou encore le
contrôle de gestion.
Les banques commerciales tchadiennes et
particulièrement la SGTB sont dans l'incapacité de cerner
correctement le risque et la performance des PME. Cette incapacité
relève pour une part d'une méthodologie d'analyse
financière. Ce type d'analyse a une pertinence limitée dans le
cadre des pays africains, notamment au Tchad.
Nous voudrions souligner aussi une nouvelle approche du risque
et de la performance qui implique corrélativement un changement radical
du comportement des agents des banques. Elle suppose, en effet, que
l'entreprise soit évaluée à partir de sa
réalité de terrain non sur la base de seules données
comptables retraçant plus ou moins fidèlement la
réalité.
Cette démarche est nécessaire, en particulier
pour repérer les diverses possibilités de financements auxquels
peuvent avoir recours ses clients, la valeur des biens utilisés par les
entreprises, la structure des cycles d'exploitation. Ce n'est que par la
connaissance intime des situations qu'il pourra répondre utilement aux
besoins des clients potentiels et mieux cerner les risques
présentés par ceux-ci.
La recherche a montré que la mise en place des
capacités et la compétitivité dépendent de facteurs
externes à la société.
Ainsi le contexte extérieur est d'abord défini
par le type de réseau ou de groupe auquel les sociétés
appartiennent. Il est maintenant bien reconnu que l'entreprise « solitaire
» est condamnée et la qualité des relations avec d'autres
producteurs, fournisseurs et clients est essentielle pour l'apprentissage et la
compétition, tel qu'exprimé dans l'expression
«efficacité collective » (Schmitz 1995).
De ce fait, le rattachement des PME au système
financier formel doit constituer un facteur d'intégration des
entreprises à des structures économiques mieux organisées,
il doit progressivement acculturer les chefs d'entreprises à des
comportements de gestion, qui sont ceux d'un système orienté vers
la recherche d'une croissance à moyen terme, plutôt que vers la
réalisation exclusive de profits à court termes dans le cadre
d'une multiplicité de micro activités.
En revanche, l'appartenance à un groupe facilite la
mobilisation des ressources financières et humaines, l'entreprise d'une
personne est un tremplin pour une autre, des échelles sont construites
qui permettent à la petite entreprise de progresser. C'est un processus
au cours duquel des entreprises se créent mutuellement souvent à
leur insu et quelquefois intentionnellement des possibilités
d'accumuler des capitaux et des compétences.
Les groupes et réseaux constituent donc le contexte
externe immédiat dans lequel les PME opèrent. Les avantages du
regroupement sont largement reconnus : la concentration spatiale et sectorielle
des sociétés génère des externalités,
favorise la coopération inter sociétés et constitue une
occasion d'appuyer effectivement les politiques.
Le regroupement peut être particulièrement
significatif au Tchad parce qu'il facilite la croissance à petits pas
faisables. Les petits montants de capitaux, les qualifications et les talents
des entrepreneurs peuvent être exploités.
Il a été souligné cependant que les
regroupements n'enregistrent une croissance industrielle que là ou ils
sont reliés effectivement à des marchés assez importants
par des réseaux commerciaux et lorsqu'il y a une confiance dans les
relations inter sociétés. La recherche montre que si les
regroupements contribuent au processus d'industrialisation en Afrique,
l'expérience n'en est pas moins diverse (McCormick, 1999). D'un
côté, des cas comme le groupe métallurgique à Suame
et le groupe des vêtements d'Afrique du Sud dans l'ouest du Cap ont
généré des externalités positives pour les PME,
notamment l'accès aux marchés, le partage du marché du
travail et d'importantes retombées technologiques. De l'autre
côté, des cas tels que le groupe des vêtements de Nairobi
dans les Eastlands et le groupe métallurgique à Kamukunji
présentent de très faibles liens intersectoriels et très
peu de retombés technologiques.
D'une manière générale, nous disons que
l'accès au financement demeure un problème majeur pour les PME.
Les entrepreneurs doivent, pour la plupart, compter uniquement sur leurs
propres économies et sur l'argent emprunté à des amis et
à des parents. Dans certaines villes du Tchad, les institutions
financières n'existent pas; dans d'autres, elles sont souvent
inefficaces, leur personnel étant peu motivé et n'ayant pas les
qualifications requises. Il est généralement difficile pour les
PME d'obtenir des prêts, en raison notamment des garanties
demandées. Les programmes de micro-financement lancés par les ONG
et les organismes d'aide ont constitué une source de financement
alternative. Ces programmes se sont fortement développés au cours
des dernières années mais le petit montant des prêts ne
permet pas aux PME de mettre en place une capacité technologique et
d'être compétitives.
Le rôle de l'Etat et des bailleurs de fonds
apparaît donc déterminant pour la création d'institutions
spécialisées et de structures d'appui qui viendraient
compléter le paysage financier tchadien.
Les chambres de commerce pourraient ainsi être
dotés de moyens humains et financiers supplémentaires pour
conseiller et appuyer les opérateurs économiques locaux, des
sociétés de cautionnement mutuel pourraient être mises en
place tandis que le mutualisme pourrait constituer une solution pour aider le
secteur informel à se structurer.
Parallèlement, des banques de développement
pourraient être instituées pour accompagner les investissements
longs.
Les nouveaux instruments financiers (titres de créances
négociables, émissions obligataires...) et des outils tels que le
capital investissement pourraient aider à dynamiser et à
moderniser le cadre de l'intermédiation financière au Tchad.
Nous pouvons donc imaginer une nouvelle restructuration du
secteur bancaire qui consistera pour les banques commerciales à se
spécialiser uniquement sur le secteur des PME/PMI. C'est seulement de
cette manière que les banques s'intéresseront au
développement des PME. Par ailleurs, d'autres banques pourraient se
spécialiser dans le financement des grandes entreprises. Et pour jumeler
les deux options, l'Etat mettra un marché des capitaux où chaque
opérateur pourrait chercher librement un financement au niveau des
offreurs dudit marché.
|