Politique fiscale et Investissement: le cas de Madagascar( Télécharger le fichier original )par Vola Marielle RAJAONARISON Université Paul Cézanne - Aix Marseille 3 - DEA Finances Publiques et Fiscalité 2004 |
§2- La récente politique de détaxation en 2003La détaxation est une action fiscale qui consiste à exonérer de certaines taxes certains biens d'importation dans le but de favoriser la décision d'investissement. Cette décision a fait couler beaucoup d'encre à l `époque où elle a été rendue publique puisque à un moment où il s'agissait à tout prix et par tout les moyens de relancer l'économie , une stratégie visant à augmenter les recettes fiscales aurait été plus logique. A - Analyse de la détaxation Comme son libellé l'indique, la loi n° 2003-026 du 27 août 2003 portant sur la détaxation des tarifs douaniers et fiscal prévoit l'exemption de tous droits et taxes à l'importation ainsi que d'autres taxes d'une liste détaillée de biens et de marchandises. L'objet de cette loi, qui se remarque par son caractère très succinct, se résume dans ses trois premiers articles : elle consiste à exempter de tous droits et taxes à l'importation à savoir les Droits de Douane (DD), la Taxe d'Importation (TI), les Droits d'Accises (DA), la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), la Taxe Statistique à l'Importation (TSI) et le Droit de Timbre Douanier (DTD), les biens d'équipement et autres marchandises d'environ 380 articles. L'article 2 de la même loi, prévoit également l'exemption à la TVA et/ou à la TST de la vente locale des biens d'équipement visés à l'article premier. L'importation des biens d'équipements est également exemptée du paiement d'acompte IBS ou d'IRNS au cordon douanier. Les biens et marchandises concernées117(*) sont comptabilisés dans huit catégories de produits qui vont de la catégorie Bâtiments et travaux publics à la catégorie tissus et fils textiles et synthétiques en passant par l'agriculture et l'élevage, le transport, l'industrie, l'informatique ainsi que les machines et appareils à usage domestique. La détaxation qui est prévue pour 2 ans ( à compter du 01 septembre2003) s'inscrit dans le cadre des incitations temporaires à l'investissement. Consistant à renoncer à une source de recettes fiscales, l'objectif de telle mesure est d'inciter délibérément les entreprises à s'équiper et de permettre à ceux qui désirent de s'investir de ne pas être bloqué par une fiscalité lourde. Mais comme la taxation des importations est une source de revenus extrêmement importante pour l'Etat, une politique qui a pour conséquences de la réduire mérite notre attention. Le tableau sur la structure des recettes fiscales malgache montre l'importance des recettes totales provenant des différentes taxes sur les importations (plus communément appelées taxes aux frontières). Les taxes aux frontières se sont fortement accrues entre 1995 et 2001 en passant de 634 milliards à 1.452 milliards de francs malgaches (avec un pic de 1591 milliards en 2000). Le même tableau montre qu'elles représentaient 49,9% des recettes fiscales du gouvernement dont 12 % (348 milliards de FMG) provenaient des droits de douane (DD) et des taxes d'importation (TI) ; 24,8 % (722 milliards de FMG) provenaient de la TVA sur les produits importés et 9,3 % (272 milliards de FMG ) provenaient des taxes sur les produits pétroliers (TUPP). Ces chiffres montrent également que la perception des taxes à la frontière fait preuve d'une plus grande efficacité que la perception des impôts indirects nationaux. Par ailleurs, les exonérations de droits de douane, taxe d'importation, taxe sur la valeur ajoutée et droit d'accises pour un nombre de marchandises importées réduisent le taux réel des recettes provenant des taxes commerciales (ou le taux « liquidé » selon la terminologie officielle du gouvernement malgache) en dessous de leur valeur théorique. Le taux « liquidé » représente le ratio des recettes réellement perçues sur la valeur CAF des importations. Le « taux théorique » représente le ratio de recette perçue sur la valeur des importations si les taxes concernées ont été appliquées sans aucune exonération. La différence entre les deux taux que les économistes appellent « exonération implicite » représente pour l'Etat des « dépenses fiscales » qu'il faut combler. Les dépenses fiscales ne sont pas des dépenses au sens ordinaire du terme. C'est une technique fiscale qui consiste à recourir à des mesures fiscales dérogatoires . La perte d'impôt correspondante vient diminuer les recettes fiscales et ont la même incidence financière que les dépenses budgétaires d'ou cette expression de dépenses fiscales118(*). La question se pose de savoir quelle catégorie d'importateurs est visée par cette mesure de détaxation ? B - Pertinence de la décision L'une des premières raisons avancées par les autorités est de permettre aux ménages malgaches sous équipés d'avoir la possibilité d'améliorer leur confort. L'intention est louable en soi mais fait quand même émettre quelques réserves. D'un côté, le problème est que la situation financière dans laquelle les ménages malgaches se trouvent leur permet difficilement d'investir dans des biens d'équipement. Certes, la réduction des prix de ces biens d'équipements peuvent aider une frange de la population à s'équiper, mais pour la majorité, même le prix détaxé est encore inabordable. D'un autre côté, si l'intention était de viser les paysans pour qu'ils s'équipent en machines et outillages agricoles, l'intérêt est réduit pour diverses raisons : d'abord, les biens immobiliers agricoles de la majeure partie des paysans malgaches sont, la plupart du temps, constitués de terrains à superficie. Leur exploitation ne nécessite a priori pas la mobilisation d'engins mécaniques comme les tracteurs et les machines-ouitls. Nous n'avançons nullement l'idée qu'il ne faut pas viser loin et envisager un mode d'exploitation plus intensif, encore moins refuser la modernité, mais la réalité montre que les paysans malgaches n'en sont pas encore à ce stade de besoins. Une autre remarque, plus économique cette fois ci, concerne les effets inattendus (ou pas) de cette détaxation sur les industriels locaux. Comme la détaxation favorise l'importation, les entreprises qui importent leurs intrants devront être favorisés. Or, une hausse de l'importation augmente forcément la demande en devises et une trop grande demande entraîne la chute de la monnaie nationale. La fluctuation de la monnaie nationale a pour effet pervers de faire monter le prix des intrants qui se retrouve davantage plus élevé qu'à son niveau avant la détaxation. Le souci des industriels locaux est que cette situation risque de les tuer à petits feux. Ils se retrouvent victimes de cette politique : les uns avouent leur impuissance face aux produits importés qui entrent à des prix défiants toute concurrence, d'autres voient leur coût de production augmenter à une vitesse vertigineuse avec la flambée des prix des intrants. Le point qui suscite la curiosité porte aussi sur les mesures techniques d'accompagnement (entre autres le dédouanement des matières premières et des intrants) promises par les pouvoirs publics pour rééquilibrer les droits et taxes frappant ces matières premières et ces intrants nécessaires à l'industrie locale et la détaxation des produits finis qui tardent à venir. Les tensions entre les représentants des industriels locaux et le gouvernement ont abouti à la promulgation de la loi 024/2004 du 03 juin 2004 modifiant et complétant la loi sur la détaxation des tarifs douaniers et fiscal. Des révisions ont été proposées par le gouvernement et la loi d'aménagement propose de lever la suspension de la TVA sur certains produits comme les appareils électroménagers, le ciment, les bougies, les tubes tuyaux et accessoires en matière plastique, les ficelles et cordages et les tissus de fibres de sisal. Une telle « versatilité » laisse planer le doute quant à la maturité et la pertinence de cette décision de détaxation prise sans doute de façon trop précipitée, sans tenir compte de ses conséquences sur le terrain. La catégorie qui pourrait profiter de cette situation est doute les entreprises exportatrices, ce qui ne correspond pas forcément à l'objectif initial. De plus, la dévaluation engendrée accidentellement par la situation n'entraîne pas forcément l'augmentation de la commande sur le marché mondial. L'avantage se tourne donc en faveur des investisseurs étrangers. En effet, ces derniers bénéficient de ces mesures à double titre : s'ils sont en amont, l'exonération temporaire de taxe leur permet largement de s'équiper ou de se ré équiper à moindre frais. S'ils sont en aval, les produits finis qu'ils importent entrent sans payer de taxes. De plus, leur avantage réside aussi dans l'amélioration de leur pouvoir. L'attente est certes la promotion des investissements privés étrangers mais la question se pose de savoir si avec tous les investisseurs du monde qu'on souhaite voir se bousculer à ses portes au détriment des industriels nationaux asphyxiés par ces mesures, Madagascar peut espérer avoir une économie saine. * 117 Les marchandises concernées sont entre autres, toute catégorie confondue : matériels servant à l'industrie du papier et imprimerie matériels pour industrie textile, machines outils, chaudières et appareils auxiliaires pour chaudière, machines à coudre type industriel, matériels pour laboratoire photographiques, séchoirs pour produits agricoles, matériels agricoles (herses, faucheuses, moissonneuses, machines à traire et appareils laiterie...), tracteurs, motoculteurs, outillages agricoles, matériels d'excavation, de levage, de terrassement, tracteurs à chenille, appareils de topographie, articles d'équipements pour la construction, ouvrages de menuiserie, pièces de charpente, bétonnière et appareils à mélanger ou à malaxer, camions, matériels roulants utilitaires, équipements informatiques, appareils électroménagers et audiovisuels, intrants, consommables pour la confection, matériaux de construction, (notamment: ciments, tubes, tuyaux et accessoires de tuyauterie en plomb, en zinc, en alu, en cuivre, en acier, en nickel, en fonte, en matière plastique...) * 118 G. Orsoni, op.cit. |
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