) ...au timide retour de l'approche libérale
En marge de ces courants planificateurs, les années 70
et 80 ont également été celles des politiques
d'ajustements structurels, d'inspiration plus libérale, conduite
conjointement par le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque
Mondiale. On notera toutefois que ces deux institutions sont
marquées par des vocations différentes : la première
a une approche monétaire, c'est-à-dire qu'elle est le
dernier bailleur de fonds des pays surendettés auxquels
elle octroie des subsides conditionnés par la mise en oeuvre
de réformes structurelles : c'est la banque de la dernière
chance.
LES DUNES DU TEMPS.
Surprenante saison
à qui saurait y croire
Quand débarquent en chantant l'antre et le violon
Je ne saurai jamais à quelle ombre me
fier
sans crainte du retour
et des haleines de frissons
Entrent alors dans le
centre et la
périphérie
une intrépide étoile et un hôte à
salons chantournés de bonheur et tenaillés de suif
Source : FMI
A rebours, la Banque Mondiale ou BIRD (Banque Internationale pour
la Reconstruction et
le Développement) accorde aux pays en développement
qu'elle préfère appeler pays les
moins avancés des préts à taux
préférentiels à l'appui de projets
spécifiques, dans les secteurs de l'éducation, de
l'agriculture, de l'industrie, etc.
Souvent perçues par les « altermondialistes
» comme le bras armé des politiques capitalistes d'aide
au développement, ces deux institutions font toutefois davantage
l'objet
de nombreuses critiques de la part des libéraux, qui ne
voient dans le FMI et la BIRD que des outils étatiques et
bureaucratiques d'ingérence économique internationale, qui
ont tendance à masquer l'emprise exagérée des
gouvernements en place sur les activités économiques dans
les pays pauvres en faisant payer les pays contributeurs, voire à faire
porter la responsabilité des politiques pratiquées dans le
Tiers-Monde aux remèdes capitalistes eux-mémes ! C'est ainsi
que l'on peut lire dans le Rapport sur le
dOveloppement du monde 2000-2001 de la Banque mondiale que
« la croissance n'est pas tout, elle n'est pas suffisante pour favoriser
le dOveloppement ». L'influence du mouvement
« antimondialisation » sur la BIRD devient alors
patente, méme si, dans le méme temps, et nous venons de le
voir, les PAS (Programmes d'Ajustement Structurel) sont plutôt de
bonnes recommandations économiques : viser l'équilibrer
budgétaire, combattre l'inflation, réduire les taux de change
excessivement élevés, permettre la concurrence, ouvrir les
marchés, déréglementer et réduire les
dépenses militaires au bénéfice de l'éducation et
de
la santé, par exemple. Mais on peut tout de méme
affirmer que les conseils fournis par les deux institutions en question ont
également su se révéler tout à fait
désastreuses : inaction lors de la crise financière asiatique
entre l'été 1997 et le début de l'année 2000 ou
hausses des prélèvements imposées par le FMI à la
Thaïlande en septembre 1997 qui ont contribué
à aggraver la situation ; car en général, il
suffit à un pays pauvre de simplement promettre
au FMI des réformes pour obtenir des enveloppes
gigantesques, pratique dangereuse qui permet à des potentats locaux de
se maintenir au pouvoir et de préserver leurs régimes corrompus.
Les octrois du FMI ou les préts de la Banque Mondiale ne font donc la
plupart
du temps que reporter sine die des réformes
libérales que les pays en développement devraient
paradoxalement mettre en oeuvre de toute urgence. C'est ce cercle vicieux que
décrit Andrei Illarionov, économiste libéral russe,
aujourd'hui conseiller du président Poutine : « Les 25
milliards de dollars que le FMI et la Banque Mondiale ont prOtOs à la
Russie au cours des annOes 1990 ont fortement contribuO à
retarder l'adoption d'une stratOgie Oconomique cohOrente et ont rendu
les autoritOs moins disposOes à mettre en oeuvre des rOformes
difficiles mais nOcessaires... L'Olite politique russe est aujourd'hui
convaincue que la Russie recevra une aide financière
internationale, quelle que soit sa
politique Oconomique. »
Ces deux institutions n'échappent donc pas aux
recommandations de formalisation économique qu'elles devraient se
contenter de formuler à leurs interlocuteurs des pays en
développement : elles doivent insister auprès des
dirigeants du Tiers-Monde pour qu'ils garantissent des droits
démocratiques, la liberté, et la propriété
à leur population, sans jamais en théorie se méler des
détails de leurs décisions politiques et économiques.
A côté de ces instances mondiales bancaire et
monétaire, on peut effectuer le constat d'un méme recours
à une approche pseudo-libérale des questions de
développement tant
au niveau de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé)
que des politiques communautaires de l'Union Européenne. Cette situation
de flou n'est d'ailleurs propice qu'à multiplier le nombre de
mécontents, puisqu'à nouveau libéraux et «
altermondialistes » reprochent à ce libéralisme timide
d'étre, respectivement, velléitaire pour les premiers, et
excessif pour les seconds. Force est toutefois de constater que l'OMS ne semble
pas avoir pour priorité la lutte contre les
épidémies qui accablent les pays pauvres, puisqu'elle
consacre fréquemment une part majoritaire de son budget à la
lutte contre le tabagisme, tandis que c'est la Fondation Bill Gates qui,
chaque année, octroie au Tiers-Monde plus d'argent que l'OMS pour
lutter contre les maladies dont sont victimes les enfants pauvres.
On estime pourtant qu'en y consacrant entre 0,4 et
20% de son budget, l'OMS pourrait éviter environ 90% des
décès qui surviennent dans les pays du Sud à la suite de
maladies qu'elle pourrait éradiquer ; c'est pourtant le PDG de Microsoft
qui s'en charge.
Concernant les politiques communautaires, il s'impose
également de constater que la PAC (Politique Agricole Commune) a des
effets protectionnistes profondément néfastes sur le Sud et
inhibiteurs sur le développement des pays pauvres. En effet, cette
politique sacrifie
la production agricole du Tiers-Monde sur l'autel de
l'intérét propre des agriculteurs européens (et
notamment français) ; car c'est bien là l'effet des taxes
imposées par la PAC aux importateurs européens pour les
dissuader d'acheter des produits agricoles extra- communautaires, qui
sont bien souvent moins chers qu'en Union Européenne lorsqu'ils
proviennent des pays en développement. Mais ce n'est hélas
pas la seule conséquence négative, puisque cette politique
prend en outre la forme de subventions aux agriculteurs communautaires
indexées le plus souvent sur la production, si bien que la
PAC conduit immanquablement à des surplus que l'UE contribue à
écouler sous forme de subventions à l'exportation versées
une fois encore aux producteurs européens qui finissent donc
par exporter leurs reliquats partout dans le monde, et a
fortiori dans les pays en
développement, à des prix subventionnés
défiant toute concurrence.
C'est le cas par exemple du sucre34, dont le
cours européen est de 500€/tonne contre
150€/tonne pour l'industrie sucrière
sud-africaine. Sans PAC, l'Afrique du Sud écoulerait donc
très aisément auprès de l'Europe les fruits de sa
production. Mais la PAC impose une taxe à l'importation de
0,40€/kg, soit un cours africain rectifié et taxé pour les
importateurs européens de 550€/tonne. C'est donc le cours
européen du sucre qui l'emporte empéchant l'Afrique du Sud de
vendre sa production pourtant meilleur marché aux
Européens ; pis encore, comme nous l'avons vu, les sucriers de
l'UE reçoivent une subvention à la production qui conduit
à des excès qui seront écoulés sur le marché
mondial, et notamment sud-africain, à un prix subventionné
à hauteur de 0,38€/kg par exemple, soit un prix de vente
sur le sol africain de 120€/tonne : d'abord empéchée
d'exporter vers l'UE, l'Afrique du Sud est désormais invitée
à importer le sucre espagnol, antillais ou allemand !
Comme l'a dit l'économiste suédois Eli F. Heckscher
: «Ou bien un secteur d'entreprise
est profitable et il n'a pas besoin de la protection d'un tarif ;
ou bien il ne l'est pas et il ne mOrite pas d'Otre protOgO par un tarif.
»
Et c'est aussi ce cercle vicieux de la PAC que racontent Thomas
W. Hertel et Will Martin en
1999 : « Le meilleur moyen de gaspiller les fonds est de
financer une politique agricole de grande ampleur. Les pays riches
inondent les fermiers d'argent par leurs politiques de protectionnisme,
de subventions et de crOdits à l'exportation. Les politiques agricoles
des
29 pays riches de l'OCDE coûtent aux contribuables et aux
consommateurs de ces pays la somme faramineuse de 360 milliards de dollars.
Avec cette somme, on pourrait payer un
vol autour du monde aux 56 millions de vaches OlevOes dans ces
pays une fois par annOe,
et ce, en classes affaires. Et chacune aurait encore 2 800$
d'argent de poche à dOpenser dans les magasins hors taxes des escales
aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. »
Aussi avons-nous dressé le constat d'échec des
politiques planistes et centralisées d'aide
au développement et le bilan plus que mitigé de
l'action des institutions mondiales (OMS, FMI, BIRD, etc.). Incidemment, nous
avons exploré les effets défavorables du protectionnisme
agricole européen sur les pays en développement. Cette
parenthèse permet enfin de conclure avec Friedrich Hayek35
qu' « Une autoritO internationale peut
contribuer OnormOment à la prospOritO Oconomique si elle
se contente de maintenir l'ordre
34 On s'attachera au raisonnement et non aux
valeurs absolues des taxes et cours mondiaux du sucre, à suivre
en direct de la bourse de Chicago par exemple pour ces derniers.
La CNUCED (Conférence des
Nations Unies sur le Commerce et le Développement)
estime néanmoins à 700 Mds US $ la perte de
croissance des pays en développement par manque
d'accès au marché des pays riches...
35 In la Route de la servitude (1944)
et de crOer les conditions dans lesquelles les peuples
puissent se dOvelopper eux- mOmes. » C'est pourquoi, l'exigence
de formalisation économique prend au niveau institutionnel
mondial la forme de missions de réforme structurelle des
pays en développement. Les bras de la Banque Mondiale qui
apparaissent alors suffisamment armés pour initier cette
démarche sont le CGAP, précédemment
évoqué, et l'IFC (International Finance Corporation).
En effet, dans des pays en général marqués
par l'autoritarisme actuel ou passé, le rôle à
la fois des instances onusiennes liées à la
question du développement et de la lutte contre
la pauvreté et des gouvernements des Etats
pauvres concernés doit impérativement se limiter à
donner des feux verts et incitations aux initiatives locales et
relayer l'appui international pour surmonter les obstacles institutionnels.
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