CHAPITRE SECOND
L'AIDE AU DEVELOPPEMENT DANS LE MONDE :
DU RIDEAU DE FUMEE AUX CHOIX D'AVENIR
A. 60 ANS DE POLITIQUES D'AIDE AU DEVELOPPEMENT
) Des trois méthodes dirigistes et
anticapitalistes...
Loin de la définition que Sen donne de
l'équité lorsqu'il écrit que « le dOveloppement,
c'est le processus d'expansion des libertOs rOelles dont jouissent les
citoyens », les diverses politiques d'aide au développement mises
en oeuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans un contexte
marqué par la décolonisation en Afrique et en Asie, se sont
toutes - consciemment ou inconsciemment - accompagnées de
dirigisme et de dogmatisme, flirtant souvent avec l'anticapitalisme primaire
et débouchant toujours sur des échecs retentissants que
leurs responsables se sont systématiquement
ingéniés à camoufler, les faisant passer avec
cynisme pour les insupportables conséquences de la
« dictature du marché », expression synonyme
de « mondialisation capitaliste » dans la bouche de tous ses
opposants29.
Historiquement, on identifiera trois grandes théories
d'aide au développement.
A partir de 1944 et jusqu'au début des années
60, le monde pénètre dans l'ère de l'aide internationale
extOrieure reconnue comme nécessaire dans le nouvel ordre
économique mondial établi par les Accords de Bretton Woods
(1944). Ainsi, le 20 janvier 1949, dans son discours sur l'état de
l'Union, le président des USA, Harry Truman, utilise pour la
première fois le terme de « développement » pour
justifier l'aide aux « pays sous-développés » dans
le cadre de la lutte contre le communisme et de la doctrine
Truman. Il déclarera étre du devoir des pays du Nord
capitalistes, qualifiés de « pays développés
», de diffuser leurs technologies et assistance aux pays
qualifiés de « sous-développés », pour
qu'ils se rapprochent du modèle de société
développé occidental. Cette première perspective d'aide
au développement ne tardera pas à devenir
une approche ouvertement keynésienne de financement des
investissements, qui sera marquée par les contre-effets habituels de ce
planisme économique. Nous ouvrons ici une parenthèse pour dresser
le bilan critique de cette politique d'APD (Aide Publique au
Développement).
Premièrement, l'APD a toujours été
aveugle aux différences entre bénéficiaires qu'elle a de
tous temps qualifiés de PVD (Pays en Voie de
Développement) ou de PED (Pays En Développement) ou de
PMA (Pays les Moins Avancés). Or, on retrouve indistinctement
dans cette catégorie dictatures et démocraties,
zones de guerre et marchés en voie
29 On retrouve cette thèse majeure chez J.
Norberg, in Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste (2001).
d'expansion, pays de l'extréme pauvreté
souffrant de famines chroniques et pays progressant constamment vers
le rang des pays industrialisés.
Deuxièmement, le principal talon d'Achille de cette
aide est que les transferts de fonds soient publics, c'est-à-dire
que les 1000 Mds US $ déversés par les donateurs du Nord sur
le Sud depuis près de 50 ans (près de 63 Mds US
$ pour la seule année 2002/2003 et les seuls 10 premiers donateurs)
soient des transactions effectuées d'Etat à Etat : c'est ce que
Jean-François Revel a toujours déploré : que l'APD
soit une aide de gouvernement à gouvernement, « qui se raconte
des histoires de gouvernement » 30, toujours au
détriment
du peuple. Il s'en est indéniablement suivi un
gaspillage colossal d'argent public des contribuables occidentaux,
facilement détourné localement au profit de l'administration
ou
de l'armée des pays pauvres31. Il est ainsi
devenu de notoriété publique que la présence
prolongée au pouvoir de chefs tels que Mugabe
au Zimbabwe, Arap Moi au Kenya et Mobutu au Zaïre à la
téte d'une fortune d'environ 4 Mds $, n'était due qu'à
l'octroi de ces fonds de développement en provenance
d'Occident. On a méme parlé d' « Etats vampires
»32 pour désigner ces appareillages étatiques
mafieux. C'est particulièrement vrai
de l'aide offerte par la Suède qui a d'abord
favorisé les dictateurs socialistes : Castro aurait
ainsi amassé 1 Md $ pendant que le PIB de Cuba se
contractait du tiers. Ce sont donc très souvent la nomenklatura au
pouvoir et - comme en Côte d'Ivoire - les caisses de
stabilisation qui bénéficiaient des largesses de l'Occident.
L'APD était devenue un transfert
de l'argent des riches de pays riches vers les riches des pays
pauvres...
Troisièmement, l'esprit méme de l'APD est
une vraie « malOdiction »33 : celle d'une
planification centralisée déclinée sur le mode d'une
approche volontariste, c'est-à-dire interventionniste, du
développement. C'est l'époque du slogan
élaboré par François Perroux et mis en pratique par
Gérard Destanne de Bernis : la priorité donnée
aux
« industries industrialisantes » ; c'est le
triomphe de la conception du développement comme processus
matériel et automatique, reposant sur l'allocation de
ressources collectives d'assistanat et conduisant immanquablement au blocage de
l'esprit d'entreprise,
du progrès démocratique et de la politisation
salutaire des décisions. Ces illusions frapperont davantage encore
des pays comme l'Algérie, le Mexique, le Gabon, le Nigeria
ou l'Angola qui auront eu le tort de croire que leurs ressources
pétrolières leur garantiraient
30 In Commentaire, Eté 1992
31 C'est ce qu'on retrouve dans Banquiers
aux pieds nus de J.-M. Servet, professeur d'économie du
développement à Genève et référent sur les
questions de finance solidaire au BIT (Bureau International du Travail) et de
microfinance à la CDC (Caisse de Dépôts et
Consignations).
32 On trouvera davantage de détails dans
Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, de J. Norberg (2001).
33 terme qu'utilise Pascal Salin, professeur
d'économie à Paris-Dauphine, pour fustiger l'APD
la prospérité. Quant aux autres pays du Sud qui
succomberont aux sirènes de l'enveloppe occidentale, ils feront le
méme faux pas dont le Nord est entièrement comptable ; car
le développement n'est pas affaire de transfert de fonds mais bien de
création de richesses,
qui seule assure que l'on sait calculer le coût du capital
et donc la rentabilité d'une activité, calculs rendus impossibles
dès lors que les capitaux arrivent par miracle et que le risque
n'est plus supporté par personne.
Les flux mondiaux d'APD...
Dans les années 60, une double tendance est à
l'oeuvre qui prendra d'abord la forme de l'hypothèse de la
spOcialisation primaire dont le contenu est aussi connu sous le nom de TSP
(Thèse de Singer-Prebisch), c'est-à-dire la théorie,
popularisée en France par Léopold Sédar Senghor, de la
dOgradation des termes de l'Ochange, selon laquelle il y a baisse
inéluctable du prix des produits de l'agriculture et des
matières premières des pays du Tiers-Monde face aux
produits manufacturés des pays industrialisés. Cette
approche a donné lieu à un courant de revendication du Sud en
faveur d'un nouveau partage mondial des richesses et à un
mouvement venant du Nord, déconnecté de la
réalité, qui encourageait les pays en développement
à appliquer des politiques d'autosuffisance mettant l'accent sur les
besoins des pauvres en leur faisant croire qu'il n'est nul besoin de profit
pour amorcer son développement et nul besoin d'échanges
commerciaux pour créer
de l'emploi. Ensuite, les années 60 furent celles de la
théorie très interventionniste de la
croissance dOsOquilibrOe conçue par Hirschman et
prétendant que la pauvreté était due à
l'insuffisance en équipements collectifs des pays en
développement. Aussi cette thèse prit- elle la voie d'un
industrialisme forcé faisant la part belle aux politiques
inflationnistes, dont
les sectateurs des idées de Hirschman mirent un certain
temps avant de comprendre qu'en dépréciant la valeur de la
monnaie, elles détruisaient les épargnes modestes des pauvres
gens sans atteindre ni les terres, ni les propriétés, ni les
entreprises, qui n'ont donc subi aucune dévaluation. C'est ce qu'on
a d'ailleurs observé dans l'Allemagne brisée des
années 20 et ce que l'Argentine a évité en 1989 dans la
région de Buenos Aires en prenant
le contre-pied de ce type d'approche : le nombre de pauvres y est
rapidement passé de 35
à 23% de la population locale.
Enfin, dans les années 70, les hypothèses et
théories considérant le capitalisme comme
un impérialisme ont fleuri avant d'étre peu
à peu démenties.
D'abord, la thèse dite « des dObouchOs
extOrieurs » qui consiste à affirmer que le capitalisme
requiert la quéte permanente de « toujours plus de
débouchés » s'est révélée
fondamentalement contredite par l'exemple ex-ante du fordisme qui a su
élargir la consommation populaire en guise de
débouché ou la réalité ex-post des
échanges internationaux qui se révèlent étre plus
significatifs entre pays développés qu'entre ceux-ci
et le Tiers-Monde, démontrant par là que la
thèse en question n'interfère pas dans le
développement des pays en retard.
Ensuite, la théorie du pillage des matières
premières du Tiers-Monde par les pays
importateurs du Nord a été mise à
mal par la brillante démonstration qui établit que
l'évolution technique à l'oeuvre dans les pays
industrialisés allait dans le sens d'économies substantielles et
croissantes dans la consommation de matières premières par le jeu
des gains en productivité inhérents au progrès. En marge
de cette thèse, on retrouve celle qui affirme que la pauvreté
du Tiers-Monde est le fruit amer du colonialisme. Cela est faux. Qu'on
considère la Suisse qui figure parmi les pays les plus riches
de la planète sans jamais avoir été une puissance
coloniale ; qu'on s'intéresse aux cas de l'Australie, de
Hong-Kong, des Etats-Unis, du Canada, de la Nouvelle-Zélande ou de
Singapour qui furent pendant de très longues périodes des
colonies et qui n'en sont pas moins devenus quelques unes des puissances
économiques de la planète ; qu'on s'ouvre enfin aux tristes
exemples de l'Afghanistan, du Libéria ou du Népal, qui comptent
parmi les pays les moins avancés sans jamais avoir subi l'emprise
d'un quelconque empire colonial, pendant que d'autres Etats sont
devenus les Tigres et Dragons asiatiques ou les Lions (Île
Maurice,
Ghana, Botswana) que l'on sait !
Enfin, cette décennie fut marquée par la
théorie de l'exploitation de la main d'oeuvre pauvre par le Nord et des
surprofits, développée par Amin auprès de l'Ecole
latino-américaine qui élabora la thèse de la
dOpendance (sous l'influence des Furtado et Cardoso) contre la
domination des élites et l'invasion du capital étranger. Dans les
faits, cette politique dite de
« dOconnexion socialiste » se solda par les
échecs dont souffrent encore la Guinée, la
Birmanie, l'Algérie, la Tanzanie ou les
ex-dictatures communistes d'Ethiopie et du
Cambodge.
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