La lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme( Télécharger le fichier original )par Sydney Adoua Université d'Orléans - Master 2 2004 |
II) Les limites de la luttecontre le terrorisme« Nous avons eu le tort de boxer selon les règles du Marquis de Queensberry. Avec ces gens-là (les terroristes), on ne peut pas » (70). Ces propos inquiétants du président de la Commission sur le renseignement de la Chambre des Représentants, le républicain Porter Goss reflète bien l'état d'esprit dans lequel sont plongés nos démocraties au lendemain des attentats du 11 septembre. Ces propos résument une conception qui semble être largement partagée, et selon laquelle le respect des droits de l'homme serait à l'origine de la vulnérabilité des démocraties face à la menace terroriste. Selon Porter Goss les attentats du 11 septembre sanctionne une défaillance de la société démocratique (« societal failure »), société fondée sur la prééminence du Droit, la liberté et le respect des droits de l'homme. Le terrorisme a toujours constitué une menace pour les démocraties, ses valeurs sont une négation de la démocratie. Avant les Attentats du 11 septembre 2001, un large consensus existait au sein des Etats sur la prééminence du modèle démocratique et sur l'impérieuse nécessité de respecter les droits de l'homme et ceci quelles que puissent être les circonstances. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, quelque chose a changé. En effet, de plus en plus de voix s'élèvent pour remettre en cause le modèle démocratique et pensent qu'il faut changer les règles du jeu démocratique. Au lendemain des attentats de Londres du 7 juillet 2005, le Premier ministre britannique Tony Blair s'est engagée à prendre de nouvelles mesures plus radicales pour lutter contre le terrorisme. « Personne ne doit douter du fait que les règles du jeu ont changé. Les conditions de notre sécurité nationale ont changé. Nous pouvons les remettre en question et, si nécessaire, nous pouvons amender la loi sur les droits de l'homme (71) », a affirmé Tony Blair (72). Le discours de Tony Blair au lendemain des attentats du 11 septembre est des plus inquiétants. Les mesures préconisées par le Premier ministre britannique au lendemain des attentats du 7 juillet, marquent un virage important dans un pays où les droits de chaque individu sont protégés par l'Habeas Corpus. 70) Crowley (J), « Sécurité et liberté : une nouvelle donne (Triomphe des sécuritaires), in Critique internationale n°14, janvier 2002, p.29. 71) Human Rights Act de 1998, loi britannique qui intègre la Convention européenne des droits de l'homme dans le droit interne anglais. 72) Discours de Tony Blair du 24 juillet 2005, disponible sur le site de l'AFP, http://www.afp.com Les propos du Premier ministre britannique doivent ils être interprétés comme le prélude à une suspension du droit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ? C'est la question que se pose les défenseurs des droits de l'homme tant le discours du Premier ministre britannique apparaît comme une véritable remise en cause des droits de l'homme. Selon le Premier ministre les attentats sont la preuve qu'il est temps de définir des exceptions à l'application courante des droits de l'homme. Il a en outre annoncé l'adoption d'une nouvelle loi anti-terroriste d'ici la fin du mois de septembre, il a précisé que si cette loi fait l'objet d'opposition parlementaire il demanderait la modification de la loi sur les droits de l'homme (Human Rights Act de 1998). L'adoption de la loi « Human Rights Act » de 1998 qui a pour objet de rendre la Convention européenne des droits de l'homme directement applicable par les tribunaux britanniques, représentait une formidable avancée dans le combat pour le respect des droits de l'homme. Le « Human Rights Act » de 1998 est une charte des libertés individuelles qui donne une force obligatoire à la Convention européenne des droits de l'homme dans le droit interne anglais, écossais et nord-irlandais. La Convention sert désormais de principe pour l'interprétation du droit interne et permet au juge, lorsque l'interprétation est divergente, de faire une déclaration de non conformité qui entraîne une modification du droit interne par le Parlement. L'éventuelle modification de cette loi ne sera pas sans conséquence sur la forte tradition de respect des droits de l'homme qui caractérise le Royaume-Uni. Les mesures annoncées par le Premier ministre au lendemain des attentats du 7 juillet et qui seront contenues dans la nouvelle loi anti-terroriste sont très inquiétantes, notamment les trois mesures suivantes : 1) Le gouvernement britannique dressera une liste de sites Internet, de librairies et de centres religieux extrémistes. Les étrangers qui leur seront liés pourront être expulsés sur décision du ministre de l'intérieur. 2) Le gouvernement va étudier les possibilités d'étendre la période de garde à vue des suspects de terrorisme avant leur inculpation. Il va également examiner la possibilité de mettre en place une nouvelle procédure judiciaire qui va permettre des pré-procès. 3) Une base de données internationale doit être mise en place par les ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur pour interdire de séjour et expulser les personnes « dont les activités ou les points de vue constituent une menace pour la sécurité de la Grande- Bretagne ». Toutes ces mesures ont un point commun, elles donnent de grands pouvoirs à l'administration sans assortir ce pouvoir d'une quelconque responsabilité. Pourtant il est clair qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Sur quelle base légale le ministre de l'Intérieur expulsera t-il les étrangers qui seront suspectés d'avoir un quelconque lien avec les terroristes ? Ces étrangers bénéficieront-ils du droit de recours prévu par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ? (73). Qui fixera la durée de la période de garde à vue des présumés terroriste et est-il normal que de simples suspects soient détenus par la police pour une durée indéterminée ? Durant les pré-procès, les présumés terroristes auront-ils droit à un procès équitable comme l'exige l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? (74). Pour l'instant toutes ces questions fondamentales restent sans réponse, et il semblerait que le gouvernement britannique ne veuille pas trouver de réponses à ces questions. En effet ces mesures qui ne mentionnent à aucun moment les conditions dans lesquelles la responsabilité de l'administration pourra être engagée sont de très mauvais augures. Elles semblent vouloir dire que désormais, pour les britanniques, la responsabilité de l'administration n'existe pas lorsqu'il faudra prendre des mesures pour lutter contre le terrorisme. L'idée que tout ordre juridique véritable suppose que les sujets de droits engagent leur responsabilité lorsque leurs comportements portent atteinte aux droits des autres sujets de droit, est à la base même de la notion d'Etat de droit (75). Comme le dit si bien Alain Pellet : « La responsabilité est l'un « des signes » de l'existence du droit » (76). Le droit est le corollaire de la responsabilité, on ne peut définir le droit sans la responsabilité et on ne peut définir l'Etat de droit sans le droit. Le doyen Vedel a merveilleusement exprimé cette idée, lorsqu'il a dit en voyant les déportés des camps de concentration au lendemain de la deuxième guerre mondiale : « Je ne sais toujours pas ce qu'est le droit, mais je sais désormais ce qu'est un Etat sans droit » (77). 73) « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale ». 74) « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle... ». 75) Daillier (P), Pellet (A), Droit International Public, LGDJ, Paris, 6e édition, 1999, pp. 740-741 76) Pellet (A), « La responsabilité des dirigeants pour crime international de l'Etat quelques remarques sommaires au point de vue du droit international », in SOS ATTENTATS Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, op cit., p.403. 77) Beignier (B), Bléry (C), Manuel d'introduction au droit, PUF, Paris, 1e édition, 2004, p.15 Le plus grave, c'est qu'une partie de la presse britannique semblent penser que pour vaincre le terrorisme le Royaume-Uni devrait cesser de s'inscrire dans une tradition séculaire de respect des droits de l'homme. Au lendemain de l'annonce par le Premier ministre britannique des mesures anti-terroristes, le Daily Telegraph affirmait « Si Tony Blair pense ce qu'il dit, il est en train de tirer les premiers coups de feu dans une bataille sans doute tardive contre le monde judiciaire qui dans le passé a agité les droits de l'homme pour terrasser la législation anti-terroriste » (78). Cette loi anti-terroriste britannique, si elle venait à être adoptée telle qu'elle a été exposée compléterait un arsenal de lois anti-terroristes dont la compatibilité avec les droits de l'homme était déjà plus que douteuse. Ces lois ont défrayé la chronique au moment de leur adoption, il s'agit de la loi « Antiterrorism, Crime and Security Act » du 14 décembre 2001 et de la loi « The Prevention Security Act » du 11 mars 2005. La loi « Antiterrorism, Crime and Security Act » de 2001 constitue une réponse législative aux attentats du 11 septembre 2001 qui ont frappé les Etats-Unis d'Amérique. Elle fût adoptée suite au souhait, formulé par le Conseil de sécurité des Nations unies, que tous les Etats prennent des mesures de prévention des attentats terroristes (79). La loi « Antiterrorism, Crime and Security Act » de 2001 demeure critiquée pour diverses raisons, et avant tout pour avoir été adoptée dans l'urgence, avec peu de temps pour débattre de son contenu. Les dispositions de la loi de 2001 s'écartent tellement du droit commun normalement applicable, que le Royaume-Uni a jugé nécessaire de déroger à la Convention européenne des droits de l'homme. La loi antiterroriste de 2001 permet la détention illimitée, sans inculpation, d'un étranger suspecté de se livrer à des activités terroristes. L'article 21 permet de l'incarcérer indéfiniment grâce à un certificat émis par le ministre de l'intérieur. Cet acte est établi sur la base d'une « conviction raisonnable » que la présence d'une personne sur le territoire du Royaume-Uni représentait « un risque » pour la sécurité nationale et qu'il y a « une suspicion raisonnable » qu'elle soit un terroriste international (80). Les mots « conviction raisonnable », « risque pour la sécurité nationale », « suspicion raisonnable » montrent bien le caractère subjectif de ces mesures. 78) Informations disponibles sur le site de l'AFP, http://www.afp.com . 79) Résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001) du Conseil de sécurité de l'Onu. 80) Loi « Antiterrorism, Crime and Security Act » de 2001, disponible sur le site du gouvernement britannique, http:// www.legislation.hmso.gov.uk/acts/acts2001. Cette loi fait entrer l'étranger suspecté de terrorisme par le gouvernement anglais dans un système global de non droit. Désormais la suspicion devient source d'incrimination au mépris du sacro saint principe de la présomption d'innocence. Le 22 décembre 2004, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe Monsieur Terry Davis, a demandé l'abrogation immédiate de la loi antiterroriste britannique de 2001. « La législation antiterroriste du Royaume-Uni doit être changée de manière urgente. Nous ne gagnerons pas la guerre contre le terrorisme si nous minons les fondations de nos sociétés démocratiques » a-t-il affirmé (81). Cette prise de position du Secrétaire général intervient après que la Cour d'appel de la Chambre des Lords se soit prononcée sur la détention illimitée, sans inculpation et sans procès d'étrangers et d'activités terroristes. La cour d'appel a qualifié que ses dispositions violent la Convention européenne des droits de l'homme (82). La loi « The Prevention of Security Act » du 11 mars 2005 est une modification de la partie IV de « L'Antiterrorism Crime and Security Act » du 14 décembre 2001 (83), dont les dispositions spécifiques venaient à expiration le 14 mars 2005. Cette loi remet en cause la notion d'Habeas Corpus. Elle s'attaque à la séparation formelle des pouvoirs, en donnant au ministre de l'Intérieur des prérogatives de magistrat et réduit quasiment à néant les droits de la défense. Elle consacre également la primauté du soupçon sur le fait, puisque des mesures de restrictions de liberté, pouvant conduire à l'assignation à résidence, pourront être imposées aux individus en fonction de ce que le ministre de l'Intérieur pense qu'ils pourraient faire. Comme le dit le sociologue Jean-Claude Paye : « cette loi tourne délibérément le dos à l'Etat de droit et installe une nouvelle forme de régime politique » (84). Afin de justifier cette loi lorsqu'elle était débattue au parlement, le Premier ministre Tony Blair a brandit la menace terroriste. Il a affirmé : « Cette loi est réclamée par la police et les services de sécurité. La repousser, c'est mettre en danger la sécurité de notre pays » (85). Personne et pas même le Premier ministre britannique peut raisonnablement penser que l'insécurité juridique peut garantir la sécurité d'un Etat. 81) Propos du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe disponible sur le site d'information en ligne, http://www.statewatch.org/news. 82) Résumé du jugement de la Cour d'appel de la Chambre des Lords disponible sur le site d'information en ligne, http://www.statewatch.org/news/dec/hol-gov-resp-164.pdf. 83) La partie IV est celle qui est relative au droit d'asile et à l'immigration. 84) Paye (J-C), « The Prevention Security Act Britannique du 11 mars 2005 », in RTDH n° 63/2005, p.635 85) Rassetti (J), « Blair revoit sa copie antiterroriste », in Journal « Le Soir » du 9 mars 2005 pp 4-5. La loi antiterroriste britannique du 11 mars 2005, autorise le ministre de l'Intérieur britannique d'interdire à une personne l'utilisation de son téléphone mobile, de limiter son accès à Internet, de l'empêcher d'avoir des contacts avec certaines personnes. Elle peut également l'obliger à être chez lui à certaines heures et limiter son accès à un emploi ou à une occupation (86). Ces mesures pourraient éventuellement se comprendre si elles s'appliquaient à l'endroit des personnes dont l'appartenance à des réseaux terroristes ne fait l'ombre d'aucun aucun doute. Malheureusement ce n'est pas le cas car ces mesures s'appliquent aux personnes soupçonnées de participer à des activités terroristes. Ce qui est plus grave c'est que ces soupçons n'ont besoin d'aucune base légale, ils se font sous « l'inspiration » du ministre de l'Intérieur qui n'est malheureusement pas aussi infaillible que celle du Saint-Esprit. Le ministre de l'Intérieur a déclaré lorsqu'il présentait la loi antiterroriste de 2005 que : « les mesures de contrôle peuvent être prises sur la base d'un avis fondé par les services de sécurité qu'il y a une suspicion raisonnable qu'un individu est ou a été concerné par le terrorisme » (87). Les interrogations que suscitent ce genre de propos sont les suivantes : qu'est ce qu'une suspicion raisonnable ? Cette « suspicion raisonnable » ne serait elle pas en réalité une « suspicion sécuritaire » qui conduirait à arrêter tous ceux qui ont le tort d'avoir un faciès qui ferait « suspecter raisonnablement » que la personne est d'origine musulmane (donc terroriste potentiel) ? Peut-on construire un système d'incrimination sur la base de simples soupçons ? Cette loi est fondamentalement contraire aux droits de l'homme car elle remet en cause la présomption d'innocence. En effet, raisonner en termes de soupçons reviendrait à dire : « Monsieur nous avons décidé que vous êtes un terroriste. Nous ne disposons pas encore des preuves, mais nous allons les chercher. En attendant que nous les ayons trouvé vous resterez en détention le temps qu'il faudra ». Ce raisonnement substitue la présomption de culpabilité à la présomption d'innocence. Désormais on déclarera d'abord une personne coupable et ensuite on cherchera les preuves, alors que la logique, le bon sens, voudrait que l'on fasse l'inverse. Le droit pénal est un droit dont les conséquences sont assez sérieuses pour la vie des personnes pour que l'on s'interdise d'adopter ce genre de raisonnement. 86) Article 1 § 3 de la loi, disponible sur le site du Ministère de l'intérieur, http://www.homeoffice.gov.uk/docs4/terrorism_bill.pdf. 87) Propos du ministre de l'Intérieur disponible sur le site du ministère de l'Intérieur, op cit. La législation antiterroriste britannique compte parmi les plus sévères des démocraties occidentales et la compatibilité de ces dernières avec les droits de l'homme pose de sérieux problèmes. L'adoption d'une nouvelle loi antiterroriste en novembre 2005, si elle se fait dans le même contexte que les précédentes constituerait un grave danger pour les droits de l'homme. Ce ressentiment négatif par rapport aux droits de l'homme, ce vent de remise en cause des droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n'est pas l'apanage du Royaume-Uni. L'endroit où cette remise en cause se fait le plus sentir est bien évidemment aux Etats-Unis. Avant les attentats du 11 septembre 2001, les américains étaient fiers de leur système pénal. Grâce à une jurisprudence audacieuse tout au long du 20e siècle, les individus ont bénéficié d'une protection juridique contre l'Etat. Les agents du pouvoir répressif (l'administration fédérale, les agents de police) étaient contraints de respecter les règles constitutionnelles énoncées par la Cour suprême fédérale. On était jugé conformément à la garantie de « due process of law ». Le « due process of law » est une clause qui est contenue dans les 5e et 14e amendements de la Constitution fédérale de 1787. Le 5e amendement, adopté en 1791, qui s'applique au gouvernement fédéral prévoit notamment : « Nul ne sera privé de vie, de liberté ou de propriété sans le bénéfice dues par le droit (without due process of law ». Le 14e amendement, adopté en 1868, s'applique aux Etats de l'union ; il dispose « Aucun Etat (...) ne privera aucune personne de vie, de liberté ou de propriété sans le bénéfice des protections dues par le droit (without due process of Law) » (88). A la suite des attentats du 11 septembre, on assiste à une redéfinition de l'équilibre qui doit exister entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux. Cette redéfinition se fait au détriment de la liberté. Après les attentats de New York, le Congrès des Etats-Unis à très rapidement promulgué une loi anti-terroriste importante : « The USA Patriot Act ». Le Président des Etats-Unis et le ministre de la justice ont eux aussi édicté une série de décrets (Executive Orders) et de règlements ayant pour but la répression et la prévention du terrorisme. 88) Zoller (E), « Due process of Law et principes généraux du droit », in Mélanges en l'honneur de Benoît Jeanneau, Les mutations contemporaines du droit public, Dalloz, Paris, 2002, p.235 Ce dispositif législatif comporte de très importantes restrictions des libertés civiques, cela ne s'était plus produit aux Etats-Unis depuis la deuxième guerre mondiale. Ce dispositif a suscité de vives controverses en raison de leurs effets sur les libertés fondamentales. Il provoque un débat passionné aux Etats-Unis sur l'équilibre entre droits et libertés fondamentales et exigences de la sécurité nationale. Ce débat est plus élaboré en Europe, où plusieurs pays connaissent depuis longtemps le problème du terrorisme. Les Etats-Unis qui ont toujours été très fiers de la primauté qu'ils accordaient à la liberté individuelle, mais qui n'avaient jamais jusqu'alors connu d'attentats terroristes de grande ampleur découvrent ce débat. La loi « Patriot Act » a été promulguée hâtivement après un débat parlementaire restreint. L'observation du sénateur Leahy exprime le sentiment d'un bon nombre de sénateur, lorsqu'il affirme ; « Despite my misgivings, I acquiesced in some of the Administration's proposals to move the legislation forward... I do believe that some of the provisions... will face difficult tests in the courts, and that we in Congress have to revisit these issues at some time in the future when the present crisis has passed » (89). Cette loi de 166 pages, divisée en dix parties dont chacune traite d'un sujet différent retreint un certain nombre de droits fondamentaux. Les principaux droits impliqués sont le droit au respect de la vie privée (« privacy », surtout au sens du 4e Amendement en permettant un très haut niveau de surveillance des citoyens et des étrangers avec un contrôle judiciaire minimal), le « due process of Law » (5e Amendement) et la liberté d'expression et d'association (1er Amendement) (90). La question fondamentale qui se pose lorsque l'on examine cette loi est la suivante : « jusqu'à quel point l'Exécutif peut-il limiter des droits et libertés sans contrôle législatif ou judiciaire, au nom de ses pleins pouvoirs en matière militaire et étrangère ? » 91. La récente réélection triomphante du Président Georges W. Bush et l'élaboration d'une nouvelle loi qui généralise le recours aux mesures dérogatoires, faisant ainsi de l'Etat d'exception, un Etat qui est « exceptionnellement illimité » ne laisse rien présager de bon (92). Le Canada qui n'a pas voulu rester en retrait par rapport aux mesures adoptées par son 89) Vroom (C), « Etats-Unis, Lutte contre le terrorisme et protection des droits fondamentaux », in AIJC, XVIII-2002, p.162. 90) Vroom (C), op cit., p.163 91) Vroom (C), op cit., p.163 92) Loi antiterroriste « Domestic Security Enhancement Act of 2003 » ce nouveau texte est connu sous le nom de « Patriot II » puissant voisin, a également adopté une loi antiterroriste (la loi C-36), qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à sa compatibilité avec les exigences de respect des droits de l'homme. La loi antiterroriste « C-36 », vient modifier plus d'une vingtaine de lois dont le « Code criminel », « la Loi sur les secrets officiels », « la Loi sur la preuve et « la Loi sur l'accès à l'information ». La loi antiterroriste est entrée en vigueur le 24 décembre 2001 (93). La loi antiterroriste canadienne autorise l'arrestation sans mandat, si le policier a des motifs raisonnables de soupçonner (et non de croire, la nuance est importante quand on connaît le caractère hautement subjectif du soupçon) que ceci est nécessaire pour éviter la mise en exécution d'une activité terroriste. Il est généralement admis que le critère de « motifs raisonnables » vient justement limiter le critère, beaucoup plus large et vague de « soupçons », assimilés jusqu'ici par les tribunaux aux rumeurs, aux informations non confirmées dont la fiabilité est douteuse. Ces deux notions sont comme le disait Madame Lucie Lemonde, des « antagonismes contraires » (94). La loi « C-36 » autorise également la tenue d'enquêtes sans mandat précis, la détention préventive pour fin d'interrogatoire, sur la base de simples soupçons, sans inculpation d'aucune infraction criminelle. Cette loi, on le voit bien, constitue une réponse largement excessive et injustifiée aux attentats du 11 septembre. Elle représente une grande menace pour les droit et libertés fondamentales des personnes et elle ne semble pas être une réponse appropriée aux attentas du 11 septembre. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, la liste des Etats qui au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 ont adopté des lois qui violent les droits de l'homme afin de lutter contre le terrorisme ne cesse de s'allonger. Le terrorisme réussira t-il à faire ce que les deux guerres mondiales n'ont pas pu faire, à savoir provoquer une remise en cause et peut être une négation des droits de l'homme ? Doit-on reprocher à nos sociétés d'avoir les défauts de ses qualités, c'est-à-dire d'être fondée sur la liberté ? N'est ce pas au nom de la liberté et de la primauté de l'homme sur la barbarie que des millions d'hommes ont donné leurs vies pour vaincre le nazisme ? 93) Crépeau (F), Jimenez (E), « L'impact de la lutte contre le terrorisme sur les libertés fondamentales au Canada », in Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, op cit., p.249. 94) Lemonde (L), « L'impact des mesures anti-terroristes sur les droits et libertés », in site Internet de l'Université du Québec à Montréal, http://www.gric.uquam.ca. L'humanité est arrivée à la croisée des chemins, elle doit décider comme en 1944 s'il faut organiser la lutte contre cette nouvelle menace que constitue le terrorisme dans le cadre de l'Etat de droit ou si la fin justifie les moyens. La nature odieuse et particulièrement grave de certains actes terroristes, ne peut servir de prétexte à un Etat pour ne pas accomplir ses obligations internationales en matière de droits de l'homme. Un discours sécuritaire prédominant encourage le sacrifice des libertés et des droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme. Il n'y a aucune antinomie entre le devoir des Etats de protéger les droits des personnes menacées par le terrorisme et leur responsabilité de s'assurer que la protection de la sécurité ne sape pas les autres droits. Au contraire, protéger les individus des actes terroristes et respecter les droits de l'homme relèvent tous deux d'un même système de protection incombant à l'Etat. Les droits de l'homme laissent aux Etats une marge de flexibilité raisonnablement large pour lutter contre le terrorisme sans contrevenir aux obligations de ces derniers en matière de droits de l'homme. Lors de la 58e Session de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui s'est tenue à Genève du 18 mars au 26 avril 2002, le Directeur Général des Droits de l'Homme au Conseil de l'Europe, monsieur Pierre-Henri Imbert a fait la déclaration suivante. « Il peut être tentant de voir la lutte contre le terrorisme comme un objectif primordial en tant que tel et auquel les considérations de droits de l'homme doivent être subordonnés ». Une telle vue serait erronée et même potentiellement dangereuse. Lors du récent débat d'urgence au sein de notre Assemblée Parlementaire sur cette question, le Secrétaire Général Walter Schwimmer a insisté sur la nécessité d'éviter que les mesures anti-terroristes sapent la démocratie et les droits de l'homme. « Nous ne devons pas leur permettre de réussir avec notre propre aide. La lutte contre le terrorisme ne doit pas seulement être une lutte contre quelque chose, à savoir le terrorisme, mais aussi une lutte pour quelque chose: le respect des droits de l'homme. Il est faux de penser que nous devons sacrifier la protection des droits de l'homme en vue de combattre le terrorisme. Les deux peuvent et doivent aller de pair car leur objectif est de préserver et protéger les sociétés pacifiques et démocratiques. Concrètement cela signifie que le respect des droits de l'homme ne doit pas être considéré comme un obstacle à la lutte contre le terrorisme, mais comme formant partie intégrante de celle-ci » (95). 95) Intervention de M. Pierre-Henri Imbert, disponible sur le site Internet des Nations Unies, http://www.un.org/french/. La lutte contre le terrorisme ne devrait qu'en partie être considérée comme une question de sécurité. C'est également une question de valeurs. La police, les services de renseignements, l'armée, ont tous un rôle à jouer lorsqu'il s'agit de répondre à des menaces terroristes particulières. Mais le terrorisme relève aussi du domaine de la moralité publique. La nécessité de lutter contre le terrorisme trouve sa limite dans le respect des droits fondamentaux (A). Si certaines restrictions aux droits de l'homme peuvent être admises au nom de la lutte antiterroriste, l'adoption de mesures de dérogation est subordonnée au respect par les Etats de certaines conditions (B). |
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