Rapport de la Commission franco-allemande de
sécurité et de défense
(Approuvé par les ministres des Affaires
Étrangères et de la Défense, le 27 octobre 1986, au sommet
de Francfort).
I.
Conscients du caractère commun de leurs
intérêts de sécurité, la France et la
République fédérale d'Allemagne ont fait de leur
coopération en la matière un important volet du Traité de
1963. La mise en oeuvre complète des dispositions de celui-ci,
décidée en février 1982, a marqué une étape
nouvelle du développement de leurs relations bilatérales.
Depuis quatre années, en application de cette
décision, les quatre ministres des Affaires étrangères et
de la Défense se réunissent avant chaque sommet. Ces rencontres
régulières, spécifiquement consacrées à
l'examen des questions de sécurité d'intérêt commun,
ainsi que les travaux de la Commission permanente, et des trois groupes de
travail que celle-ci anime constituent une pratique institutionnelle sans
précédent dans l'histoire européenne.
Celle-ci marque l'accord des gouvernements des deux pays sur les
constatations suivantes
· Notre objectif commun est de consolider la paix et la
sécurité. La France et la République
fédérale d'Allemagne ont un intérêt conjoint
à dissuader toute agression et toute tentative d'intimidation en Europe.
Chaque pays y contribue au sein de l'Alliance en fonction de ses choix
nationaux.
· Les deux pays oeuvrent au renforcement de la
coopération européenne, notamment dans le domaine de la
sécurité, dans le cadre de la Coopération politique
européenne, de l'Union de l'Europe Occidentale et du Groupe
Européen Indépendant de Programmes. Ce faisant, ils concourent
à l'affirmation du rôle des Européens au sein de l'Alliance
et ainsi au renforcement de cette dernière.
Les deux pays s'accordent pour estimer que l'objectif de
l'Alliance demeure la Sécurité commune assurée par des
moyens militaires adéquats et une solidarité politique de ses
membres. Ceci leur permet de poursuivre le dialogue et la coopération
avec les pays de l'Est en vue de créer une situation plus stable. Dans
ce contexte, ils veillent à éviter que le dialogue établi
avec l'Est n'ait pour effet de donner à l'Union Soviétique un
droit de regard sur leurs options de défense.
Le développement de la coopération franco-allemande
ne peut pas ne pas tenir compte de l'évolution des relations Est-Ouest
et de ses incidences sur la sécurité de l'Europe.
La parité nucléaire qui s'est établie entre
les Etats-Unis et l'Union soviétique au cours des années 70 a
aggravé les conséquences des déséquilibres
existants au niveau européen, dans les domaines conventionnel et
chimique.
II.
La République fédérale d'Allemagne supporte
une part très importante de la charge de la défense de l'Europe
au sein de l'Alliance, notamment en matière conventionnelle et en tant
que pays d'accueil des forces et des installations nucléaires et
conventionnelles d'autres alliés. Avec elle, les Etats
intégrés dans l'organisation militaire de l'OTAN poursuivent,
depuis 1967, une stratégie fondée sur la doctrine de la
«riposte flexible» et la «défense de l'avant».
Ayant quitté l'organisation militaire
intégrée, la France maintient des forces conventionnelles
importantes. Celles-ci constituent une réserve opérationnelle
essentielle en Centre-Europe, dont les autorités françaises
peuvent décider la mise en oeuvre conformément aux engagements
d'alliance souscrits par la France.
La force nucléaire indépendante de la France est
maintenue, par un programme de modernisation adéquat, au-dessus du
niveau nécessaire de crédibilité, contribuant ainsi au
renforcement global de la dissuasion de l'Alliance, comme l'a reconnu la
déclaration d'Ottawa de 1974 et comme l'a confirmé le
communiqué de la réunion ministérielle de l'UEO à
Venise du 30 avril 1986.
La France, d'autre part, participe activement à de
nombreuses activités de l'Alliance essentielles pour la défense
commune et notamment celles relatives à l'amélioration de la
coopération en matière d'armement.
Une solidarité manifeste en matière de
sécurité constitue le fondement de la coopération
étroite entre la République fédérale d'Allemagne et
la France. C'est sur cette donnée que se fonde le développement
du dialogue sur la politique de sécurité. Tout en étant
conscients que leur sécurité commune est assurée dans le
cadre de l'Alliance, garante de la solidarité transatlantique, la France
et la République fédérale d'Allemagne savent que les
progrès réalisés dans leur coopération
bilatérale en matière de sécurité constituent une
étape nécessaire sur la voie de la réalisation de l'Union
européenne.
Depuis 1982, les efforts entrepris ont permis de bien marquer les
principales orientations de la coopération franco-allemande en
matière de sécurité et d'en afficher les perspectives
d'avenir.
Les deux pays partagent la même conception de la
sécurité de l'Europe fondée sur le principe de
l'équilibre des forces et le caractère indissociable du
conventionnel et du nucléaire pour dissuader toute agression. Les
décisions prises au sein de l'Alliance pour améliorer les forces
nucléaires et conventionnelles et les mesures adoptées dans ce
contexte par la République fédérale d'Allemagne, d'une
part, et les décisions nationales prises par la France pour renforcer
ses forces nucléaires et conventionnelles, d'autre part, concourent aux
mêmes objectifs.
Le Traité de l'Élysée prévoit que,
sur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités
compétentes des deux pays s'attacheraient «à rapprocher
leurs doctrines en vue d'aboutir à des conceptions communes».
C'est dans ce contexte que doit être
appréciée la portée de la déclaration du 28
février 1986 publiée a l'issue du 47eme sommet franco-allemand
dans laquelle : «le Président de la République
française se déclare disposé à consulter le
Chancelier de la République fédérale d'Allemagne sur
l'emploi éventuel des armes préstratégiques
françaises sur le territoire allemand» dont toutefois «la
décision ne peut être partagée».
Les deux pays sont déterminés à poursuivre
la relance de l'UEO. Ils coopéreront afin d'utiliser davantage cette
enceinte pour étudier de manière plus précise la menace
(par exemple l'évolution des systèmes offensifs et
défensifs) rapprocher les conceptions en présence et renforcer la
coopération dans le domaine de la sécurité. La prise en
compte de la dimension de la sécurité est en effet un
élément indispensable d'une politique ayant pour objectif I
`Union européenne.
Les deux pays étudient actuellement les effets possibles
d'une menace nouvelle que constituent les projectiles à charge classique
ou chimique, balistiques et non balistiques, des forces du Pacte de Varsovie.
S'ils l'estiment nécessaire, ils développeront un concept commun
de défense aérienne élargie qui pourrait constituer
l'amorce d'une coopération technologique de très haut niveau. Les
résultats de ces études pourront être utilisés sur
décision conjointe à l'occasion des travaux menés au sein
de l'Alliance.
La concertation stratégique doit tenir compte de tous ces
différents facteurs. L'analyse commune de la menace actuelle doit
comprendre tous les aspects et toutes les demandes qui concernent la
sécurité de l'Europe.
L'interopérabilité des forces, mais aussi des
procédures opérationnelles et logistiques, est déjà
devenue un objectif prioritaire. Des manoeuvres communes de grandes
unités permettant de tester le soutien à la défense vers
l'avant auront lieu en 1986 et 1987. Il est de l'intérêt commun
que le potentiel de combat du 2eme Corps d'armée français
stationné en grande partie en République fédérale
d'Allemagne et les forces conventionnelles françaises prévues
pour intervenir en Centre-Europe disposent de l'efficacité
opérationnelle la plus élevée possible. Elles doivent
pouvoir intervenir selon les modalités les plus rapides.
· Les plans de crise et la coordination des
décisions qu'ils impliquent pourraient également faire l'objet
d'exercices communs avec la participation de l'échelon gouvernemental
· Une information mutuelle sur les politiques de
planification des forces à court et à moyen terme pourrait
faciliter le rapprochement souhaité.
· Une importance particulière revient à
l'instruction commune des troupes et des cadres. La première pourrait
faciliter les contacts entre soldats du contingent. La seconde pourrait
commencer par l'envoi d'officiers de liaison et d'observateurs au cours des
différentes manoeuvres et surtout se poursuivre par des stages pour les
officiers des deux armées appelés à servir clans les
États-majors de haut niveau. A cet égard, un programme
d'intensification des échanges entre stagiaires suivant les cours de
l'enseignement militaire supérieur a été proposé et
doit être mis en oeuvre rapidement.
Toutes ces mesures supposent que nos deux armées
consentent un effort accru et continu pour développer et promouvoir la
connaissance de la langue de son partenaire
A travers la coopération bilatérale, la France et
la République fédérale d'Allemagne se donnent aussi pour
objectif le renforcement de leur coopération dans le domaine de
l'armement.
· L'objectif demeure de maintenir et de
développer la hase technologique de l'Europe occidentale dans un secteur
crucial pour la défense de celle-ci, en tenant compte des très
rapides progrès de la technologie. Il convient à cet égard
d'utiliser Tes possibilités de coopération clans tous les
domaines actuels de la recherche et de la technologie et d'améliorer les
efforts de réduction des coûts et des délais de
réalisation des équipements et systèmes d'armes que la
menace rend nécessaires.
· Comme l'avait prévu le Traité de
l'Elysée, les deux gouvernements doivent continuer de renforcer la
concertation dès le stade de l'élaboration des projets d'armement
et de la préparation des plans de financement. Il s'agit de
réaliser le plus tôt possible et par une approche globale,
l'harmonisation des besoins militaires dès leur expression
(«études de préfaisabilité»), et la
coopération franco-allemande en matière de sécurité
et de défense devrait faciliter ce processus de concertation. Par
ailleurs, la coopération devrait également tenir compte de
l'harmonisation - autrement dit de la juste appréciation - des
intérêts des deux pays et plus particulièrement de leurs
objectifs technologiques et économiques.
· La coopération franco-allemande doit aussi se
donner pour but de maintenir une industrie d'armement compétitive et
diversifiée en Europe de l'Ouest. Elle peut ainsi apporter une
contribution importante à l'effort des pays européens en vue de
leur propre défense tout en renforçant le pilier européen
dans l'Alliance. En effet, la France et la République
fédérale d'Allemagne considèrent que les efforts des deux
pays peuvent contribuer à dégager des solutions
européennes aux problèmes de I' Alliance.
· Le rapprochement des doctrines des deux pays y
contribuera largement.
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