II.2. Détoxication de
l'acide cyanhydrique dans l'organisme
Le cyanure est détoxiqué dans l'organisme par la
conversion en thiocyanate, un composé soufré ayant des
propriétés goitrigènes.
Les substrats essentiels pour la conversion du cyanure en
thiocyanate sont le thiosulfate et 3-mercapto-pyruvate dérivés
principalement de la cystéine, de la cystine et de la méthionine,
les acides aminés contenant du soufre.
La vitamine B12 sous la forme d'hydroxycolabamine influence
vraisemblablement la conversion du cyanure en thiocyanate.
L'hydroxycolabamine augmenterait l'excrétion par voie
urinaire de thiocyanate chez des animaux expérimentaux ayant
ingéré de petites doses de cyanure (Wokes et Picard, 1955; Smith
et Duchett, 1965). De 60 à 100% du cyanure injecté en
concentration toxique sont transformés en thiocyanate en l'espace de 20
heures et la transformation enzymatique représente plus de 80% de la
détoxication du cyanure (Wood et Cooley, 1956).
Le thiocyanate est largement distribué dans les
liquides du corps, y compris la salive, dans laquelle il peut facilement
être détecté.
Chez l'homme en bonne santé un équilibre
dynamique entre le cyanure et le thiocyanate est maintenu. Un régime
pauvre en protéines, particulièrement un régime dans
lequel les acides aminés soufrés font défaut peut
réduire la capacité de détoxication et rendre ainsi une
personne plus vulnérable à l'effet toxique du cyanure (15).
La consommation excessive de manioc comme source unique
d'énergie alimentaire et source principale de protéines, pourrait
donc accentuer la sensibilité à la toxicité du cyanure.
II.3. Maladies liées
à la toxicité du manioc (3).
Plusieurs maladies ont été associées aux
effets toxiques du manioc. Ceci a été confirmé dans
l'état pathologique de l'intoxication aiguë par le cyanure et dans
le goitre.
L'organisme peut sans danger détoxiquer à peu
près 20 mg de cyanure par jour, mais si ce niveau augmente pour
atteindre 30 mg, des symptômes d'intoxication aiguë apparaissent
chez la plupart des consommateurs, et commence alors
l'épidémie.
L'augmentation du thiocyanate, thiosulfate dans le sang bloque
l'iode et l'empêche d'entrer dans la thyroïde pour former les
hormones thyroïdiennes (T3 et T4). Ceci
entraîne donc le goitre dû à l'hypothyroïdie.
L'hypothyroïdie est une affection qui a des
répercussions directes sur la santé, l'intelligence et le
développement harmonieux de l'organisme humain.
Cette carence en iode empêche donc la production des
hormones thyroïdiennes notamment T3 et T4 dont les
actions multiples peuvent être classés en 2 groupes:
1. Action sur le développement de l'organisme
(croissance et différenciation).
- In utero, les hormones thyroïdiennes sont essentielles
pour la différenciation et la maturation des tissus foetaux.
- Après la naissance, ces hormones sont indispensables
à la croissance du squelette et d'à peu près tous les
organes, ainsi qu'au développement du système nerveux central.
Une insuffisance thyroïdienne commencée pendant la
vie foetale ou à la naissance (hypothyroïdie congénitale ou
hypothyroïdie néonatale) entraîne une hypotrophie des
neurones corticaux. Cela aboutit à l'insuffisance du
développement du cerveau et conduit aux lésions
définitives de celui-ci (crétinisme mental).
2. Régulation de l'activité métabolique
et action viscérale:
- Les hormones thyroïdiennes contrôlent le
métabolisme des glucides, des lipides, de l'azote et surtout, la
calorigènèse. Elles constituent un fantastique
accélérateur du métabolisme de l'organisme.
- Les hormones thyroïdiennes règlent la vitesse
des réactions enzymatiques par agénésie de la glande
thyroïde aboutit au nanisme et au crétinisme.
Le crétinisme est toujours présent dans les
régions où le goitre est endémique.
L'ingestion du cyanure présent dans les aliments
conduit à sa détoxication dans l'organisme grâce à
la production de thiocyanate. Le thiocyanate a la même taille
moléculaire que l'iode et intervient sur la dose d'iode par la glande
thyroïde (Bourdoux et al., 1978).
En cas d'ingestion de quantités importantes de manioc
insuffisamment traité, il peut y avoir une surcharge chronique de
cyanure conduisant à une élévation du niveau de
thiocyanate dans le sérum qui passe à 1-3 mg/100ml le niveau
normal étant d'environ 0,2 mg/100 ml. Dans de telles conditions, la
présence d'une excrétion accrue d'iode et d'une absorption
réduite d'iode par la glande thyroïde aboutit à un rapport
d'excrétion thiocyanate/iode (SCN/I) faible. Il semble que si ce rapport
dépasse trois, le goitre endémique apparaît (7). Ce
phénomène ne peut se produire que si la dose d'iode est
inférieure à 100 mg/jour.
Quand le rapport SCN/I est inférieur à deux, il
existe un risque de crétinisme endémique, état
caractérisé par une grave arriération mentale et des
anomalies neurologiques (Erman et al., 1983).
Des études réalisées en R.D.C. (ex.
Zaïre) ont montré que les habitants d'Ubangi, qui consomment de
grandes quantités de manioc séché au soleil mais non
fermenté, présentent un rapport SCN/I faible allant de deux
à quatre et sont atteints de goitre endémique et de
crétinisme.
Mais à Kinshasa la capitale, où les habitants
mangent de la pâte de manioc fermentée et séchée, le
rapport SCN/I passe de trois à cinq et les cas de goitre sont peu
fréquents.
Un faible rapport conduit à des quantités
anormales de l'hormone stimulant la thyroïde et à de petites
quantités de thyroxine (T4).
Ayangade et al. (1982) ont constaté que chez les femmes
enceintes, le niveau de thiocyanate dans le sang du cordon était
proportionnel à celui du thiocyanate dans le sérum maternel,
indiquant que le thiocyanate dans le lait maternel, ce qui indique que les
glandes mammaires ne concentrent pas le thiocyanate et les enfants nourris au
sein ne sont pas affectés.
Quand des suppléments d'iode sont donnés par
exemple, par l'adjonction d'iodure de potassium aux réserves locales de
sel, le goitre est réduit malgré une injection
élevée et continue de produits dérivés du
manioc.
Là où la ration de sel est modérée
ou variable, l'huile iodée, absorbée par voie orale, fournit une
protection pour un ou deux ans.
Dans la jungle amazonienne, certains indigènes
consomment jusqu'à 1 kg de manioc frais cuit par jour et jusqu'à
trois litres de bière de manioc fermenté, mais on n'a pas
signalé de cas de goitre ou de neuropathie ataxique. Ces tribus
consomment aussi d'énormes quantités de protéines animales
et de protéines de poisson et trouvent ainsi dans leur alimentation un
rapport important d'acides aminés soufrés et d'iode.
|