Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynospar Nataly Villena Vega Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001 |
2. L'image de l'étranger (du mot à l'image).Il est connu que l'image est une représentation verbalisée qui ne reflète pas la réalité mais un ensemble d'aspects basiques d'elle-même. Nous savons aussi que grâce à ces traits basiques l'homme peut la saisir de façon simplifiée, il s'investit d'une certaine assurance et agit en conséquence. L'image fait partie de la constitution d'une conception du monde. Cette conception étant assimilée par l'éducation et par la société, on peut affirmer que l'image est l'une des façons dont l'homme apprend. L'homme essaie ainsi de se former une image lucide et simplifiée du monde pour surpasser celui de l'expérience en essayant de la lui substituer31(*). L'image littéraire reprend et récrit ces interprétations verbalisées que l'homme fait sur sa perception de l'univers. Souvent légitimée ou réfutée, l'image littéraire peut servir à transmettre des idéologies parce qu'elle révèle les fonctionnements de la société Dans les deux oeuvres étudiées, nous verrons comment les images de l'étranger sont construites et combien elles répondent à des considérations sociales, historiques et idéologiques. 2.1 L'étranger, étymologie et institutions.Deux mots latins pour désigner l'étranger : « hospes » et « hostis ». La dualité est le signe de l'étranger. L'étranger est l'hôte et l'ennemi. Hospitalité et hostilité peuvent alors bien définir les sentiments à l'égard de l'Autre. L'étymologie des mots révèle trois acceptions : a) personne qui accueille, b) personne accueillie et dans ce dernier sens, c) étranger32(*). Plus tard, « hostis » acquiert une quatrième acception qui lui assigne la valeur d'« ennemi ». Curieux glissements sémantiques qui mettent en rapport direct celui que nous jugeons digne de notre hospitalité, celui que nous signalons comme étant différent par son origine lointaine et celui envers lequel nous éprouvons une franche hostilité. Emile Benveniste, écrit dans un article consacré au monde étymologique de l'esclave en latin et en grec : « [...] l'étranger est nécessairement un ennemi - et, corrélativement, [...] l'ennemi est nécessairement un étranger. C'est toujours parce que celui qui est né au dehors est a priori un ennemi, qu'un engagement mutuel est nécessaire pour établir, entre lui et EGO, des relations d'hospitalité qui ne seraient pas concevables à l'intérieur même de la communauté. Cette dialectique [...] joue déjà dans la notion de philos. [dans la Rome des premiers âges] Les rites, les accords, le traités, interrompent ainsi cette situation permanente d'inter-hostilité qui règne entre les peuples ou les cités. »33(*) Mais l'étymologie peut nous conduire encore à d'autres réflexions intéressantes. Le mot « extranjero » dérivé du latin exter (du dehors) et extra (hors de) établit un lien vers les catégories spatiales. Un étranger l'est donc parce qu'il s'est déplacé dans l'espace. Et si en latin « dehors » se dit extra et « près » se dit propre, l'extraneus devient l'im-propius et s'oppose à propius. La langue française, pour qui le propius est « le proche » ou « l'adéquat », lui accorde aussi l'acception de « propre », ce qui est en espagnol « limpio ». L'impropius est ainsi « l'inadéquat », « le non proche », « l'impropre », « el sucio ». L'étranger devient, grâce à ce réseau sémantique, « le sale ». La notion castillane « limpieza de sangre » comprend en soi la polysémie des mots « propre » et « impropre » et quand on parle de pureté de sang on pense immédiatement aux mots « casto »34(*) et « castizo »35(*), tous les deux dérivés du latin castus (pur, vertueux, chaste). Comme on peut l'observer, l'étymologie des mots liés à l'étranger est un point de départ intéressant pour la réflexion. L'analyse des conceptions occidentales sur l'étranger que le lexique latin et ses glissements sémantiques évoquaient peut nous permettre d'éclairer le sens présent du mot. 2.1.1 Inka Trail et Señores destos Reynos, deux textes imagotypiques.Daniel-Henri Pageaux a bien signalé que l'image est un langage parce qu'elle intervient dans un processus de communication (auteur et lecteur étant alors émetteur et récepteur). Le choix délibéré d'une image de l'étranger dans un contexte précis (dans ce cas-ci celui du Pérou contemporain), révèle les rapports qui existent entre le Je et l'Autre36(*). Dans notre étude, la fonction de l'image de l'étranger est donc celle de révéler les rapports entre le métis d'aujourd'hui, l'indigène et le visiteur étranger. L'image de l'étranger a, dans la terminologie de Barthes, une « fonction-signe ». Inka Trail et Señores destos Reynos sont des textes imagotypiques parce qu'ils peuvent être interprétés (décodés) par le public auquel ces oeuvres sont dirigées. Leur public lecteur connaît totalement ou partiellement le contexte culturel auquel les livres font référence. Il connaît aussi le vocabulaire utilisé et il peut facilement interpréter l'image de l'étranger. Le langage utilisé par les auteurs est susceptible de générer des réflexes sémantiques plus ou moins univoques. A l'aide de mots-clés, authentifiés par l'histoire, ces textes permettent un décodage plus ou moins immédiat et le message transmis par les images de l'étranger peut aussi avoir un contenu idéologique sous-jacent. « A un moment historique donné, et dans une culture donnée, il n'est pas possible de dire, d `écrire n'importe quoi sur l'Autre », nous dit Pageaux. * 31 Heyles, Katherine, La evolución del caos. El orden dentro del desorden en las ciencias contemporáneas, Barcelona, GEDISA, 1993. * 32 Meillet, A, Ernout, M., Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1959, pp.300-302. * 33 Benveniste, Emile, « L'hospitalité », dans Le vocabulaire des institutions indoeuropéennes, Paris : Minuit, 1969, volume I, livre I, section II, chapitre 7, p. 361. * 34 casto, ta. Dícese de la persona que se abstiene de todo goce sexual, o se atiene a lo que considera como lícito. // 2. Que no posee en sí sensualidad. CASTO AMOR DELEITE. // 3. Referido al estilo, castizo, puro. » (Diccionario de la Real Academia, volume I, p.436). * 35 castizo. adj. De buen origen y casta.// 2. Por ext., típico, puro, genuino de cualquier país, región o localidad. // Aplícase al lenguaje puro y sin mezcla de voces ni giros extraños. // Muy prolífico, referido a animales. » Ibid, p. 436. * 36 Pageaux, Daniel-Henri, La littérature générale et comparée, Paris : Armand Colin, 1994, p.62. |
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