Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynospar Nataly Villena Vega Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001 |
3.2 Typologie de l'étranger.Les images de l'étranger sont le résultat d'une mise en jeu d'éléments d'ordre pulsionnel, ce qui leur donne une certaine continuité et les met en relation. L'histoire des mentalités agit, selon Solange Alberto, dans des champs d'intérêts dominés par la sensibilité en opposition à ceux régis par la conscience. Le psychologique prévaut ainsi sur l'intellectuel tout comme ce qui est automatique et inconscient prévaut sur ce qui provient d'opérations mentales délibérées65(*). Les traits physiques fonctionnent en tant que marques des différences sociales, ils sont à l'origine des associations binaires du type blanc - beau ; foncé - laid ; homme supérieur - homme inférieur, mépris - haine. Les traits physiques sont importants par la forte valorisation dont ils sont objets dans le contexte socioculturel analysé.
L'opposition entre sauvage et civilisé est utilisée de façon à valider une position idéologique particulière. Alors que dans la plupart des oeuvres contemporaines qui ont comme thème la confrontation entre Espagnols et indigènes, celui-ci apparaît comme étant le moins civilisé, Nieto renverse cette idée en faisant apparaître l'étranger comme un être violent et sans contrôle. L'étranger, cruel, traître et assassin, est le sauvage, incapable de comprendre le natif et le fonctionnement de sa société tandis que ce dernier vit dans l'ordre, dans le respect de ses normes et de sa religion. Si le conquistador du XVème siècle commet des crimes impunément, le métis en fait autant avec les indigènes vers la moitié du XXème siècle. Le métis est à la fois sauvage et civilisé. Il peut aimer et admirer le monde de l'Autre mais il est aussi capable des pires atrocités. L'indigène d'aujourd'hui que Nieto caractérise est aussi le sauvage. Irréflexif, vengeur, il est également cruel. L'étranger venu d'autres pays est, pour Chanove, un porteur de nouveauté. Alors que le Je peut être machiste, profiteur et violent, l'étranger est libéré de ces tares. Nieto, pour sa part le présente comme un libertin, amant des excès, de sexualité débridée, consommateur de drogues et d'alcool. Ces caractéristiques sont communes aux personnages de Chanove, mais leur caractère négatif est fortement accentué dans Señores destos Reynos. L'étranger est toujours seul et souvent cette solitude peut le faire apparaître comme un sauvage, un « alien ». Dans un monde inconnu il ne peut qu'être artificiel. L'excentricité est sa marque. 3.2.1 Procédés d'inclusion - exclusion
Les procédés d'inclusion identifiés dans les livres analysés, ont la particularité de concerner plus la femme que l'homme étranger. La plupart des personnages étrangers rentrent dans le régime de non-personnes (en tant que personnes absentes de l'espace de l'interlocution). Mais lorsqu'ils arrivent à établir un rapport plus approfondi avec le natif, ils ont droit à des dialogues présentés dans des discours directs. Pourtant, au-delà de leur présence dans l'interlocution, l'homme étranger demeurera toujours un Autre, alors que la femme, souvent grâce à l'exogamie, pourra faire partie du monde du Je. L'étrangère est décrite initialement comme « la gringa », à ce stade, elle est objet de curiosité ou d'admiration. A mesure que la rencontre amoureuse avec l'homme natif se produit et que la routine s'établit, la femme étrangère est désignée par son prénom ou un substantif générique, elle est décrite de façon moins enthousiaste. Une fois que ses actions, réactions et dialogues s'avèrent être les mêmes que ceux d'une femme native et que l'adjectivation en rend compte, tout comme les femmes natives elle est qualifiée par les personnages masculins de façon péjorative (« la muy puta », « está loca », « hembra », « histérica »). 3.2.2 Relations hiérarchisées. a) Maître - esclave Le rapport conquistador-indigène est chez Nieto, une forme d'interaction sociale basée sur l'abus d'un côté et la terreur panique de l'autre comme un patron de domination total. Ce type de rapport, présent à l'époque de la Conquête, est reproduit dans la vie rurale contemporaine, dans la relation métis-paysan ou maître-esclave, sujet traité par Hegel dans sa Phénoménologie de l'esprit. Les personnages de Nieto, en tant qu'opprimés, répondent de deux façons : soit par la rébellion et la recherche de leur liberté, comme Cristóbal Túpac Amaru ou María Nieves ou par la complaisance et la résignation, comme la jeune Beatriz. De la même façon et dans le contexte contemporain, la première réaction apparaît dans la lutte des paysans contre les latifundistes et la deuxième dans la vie quotidienne où les indigènes sont au service du métis. Julia Kristeva écrit que « l'étranger perçu comme un envahisseur dévoile chez l'enraciné une passion ensevelie : celle de tuer l'autre, d'abord craint ou méprisé, puis promu du rang de déchet au statut de persécuteur puissant contre lequel un `nous' se solidifie pour se venger. »66(*) Dans la société contemporaine, tout indigène se sent plus ou moins étranger à sa propre terre. Kristeva explore la valeur métaphorique du terme étranger et affirme que l'indigène expérimente « une gêne concernant son identité sexuelle, nationale, politique professionnelle. Elle le pousse ensuite à une identification [...] avec l'autre. » Les nouveaux maîtres et les nouveaux esclaves, affirme-t-elle, ont une sorte de complicité sans conséquences pratiques. Toutefois cette complicité pousse l'indigène à se questionner sur son identité psychologique, sa véritable appartenance au lieu où il habite, son destin et son libre arbitre. « Ne sont-ils pas maîtres de l'avenir ? » est pour Kristeva la question ultime que l'indigène se pose. b) Homme conquistador - femme indigène Le sexe établit un rapport de domination. La femme, comme l'affirme Lévi-Strauss, a une nature ambiguë, elle peut être marchandise, valeur et symbole à la fois. Les rapports de couple que Nieto tisse dans la première partie de son livre sont empreints de conflits. Les unions entre conquistadores et indigènes ne sont pas des alliances matrimoniales, mais de simples rencontres sexuelles. La peur de l'endogamie, donc de l'inceste, pousse l'homme occidental vers l'exogamie. Cependant, lorsque celle-ci implique des groupes humains si différents, ethniquement et culturellement, elle devient une transgression et le fruit d'une telle union est regardé avec méfiance. Le métis est, chez Nieto, une sorte d'hybride, rejeté des deux côtés et indigne de confiance. Le rapport entre l'homme étranger et la femme native a aussi un caractère symbolique pour Nieto. L'entreprise de la conquête est celle de la domination d'une terre d'origine de caractère féminin (« madre tierra », pachamama). Tout comme le conquistador prend une femme native, l'Espagne s'empare des territoires nouveaux. c) Homme indigène (local) - Femme étrangère La distribution numérique des personnages fait qu'il y a une interaction importante entre les personnages natifs masculins et les personnages féminins étrangers. Le rapport de domination actuel que Nieto et Chanove laissent entrevoir est l'opposé de celui que Nieto établit entre les conquistadores et les femmes indigènes dans la première partie de son livre. Dans ce contexte, la figure du brichero67(*) apparaît. Comme Mark Cox l'a bien signalé, le brichero apparaît en tant que reflet symbolique des rapports économiques du Pérou avec des pays impérialistes. « Depuis longtemps on parle d'une économie postindustrielle ou d'une économie de services. Le brichero représente ce nouveau secteur de services qui continue à croître »68(*) dit Cox. Ce que le brichero offre, son produit, c'est l'amour exotique et mystérieux, intéressant seulement pour les femmes étrangères. Inka Trail rassemble une grande quantité de personnages masculins nationaux et de personnages étrangers féminins. * 65 Alberro, Solange, « La historia de la mentalidad: trayectoria y perspectivas », in, Historia Mexicana N° 166, Vol. XLII, N°2, 1992, p.334. * 66 Kristeva, Julia, op.cit., p. 33. * 67 Dans le prologue de « Cazadores de gringas », Eduardo Gonzáles Viaña décrir le brichero comme « une espèce d'indien proffesionnel dont l'attractif réside dans toute sa mimesis avec la couleur locale qui lui confère de l'exotisme et de la bonne fortune ». * 68 Cox, Mark, « De pishtacos a bricheros », p.1 |
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