2.3.3 L'écriture à
thèse.
La première partie de Señores destos
Reynos se rapproche de la littérature à thèse. Les
traits avec lesquels Susan Rubin Suleiman élabore sa définition
du « roman à thèse » d'un point de vue
théorique peuvent bien être généralisés pour
parler de littérature à thèse : la littérature
à thèse s'inscrit ainsi dans le canon réaliste, sa fiction
véhicule un message doctrinal et il y a un lien d'intertextualité
monologique du texte de fiction par rapport au discours de la doctrine. De
même, le pluriel du texte est réduit par le biais de la redondance
opérant à plusieurs niveaux pour transmettre un sens
virtuellement unique. Le monde présenté est dominé par une
sorte de manichéisme qui sépare les bons d'un côté
et les méchants de l'autre et l'interprétation des personnages
est toujours claire. Les commentaires interprétatifs du narrateur
laissent la place à un sens unique d'interprétation des
actions.
Les limites entre réalité et fiction des
récits de Nieto sont très faibles. Tout d'abord, parce qu'il
s'agit de récritures de faits historiques consignés dans des
chroniques du XVIème siècle et des recherches
spécialisées, et ensuite parce que ces récits naissent
dans un contexte très précis : la célébration
de l'arrivé des espagnols en Amérique en 1992, le nouvel
élan pris par les études indigénistes dans les deux
dernières décennies et l'officialisation de l'idéologie
incaniste par le gouvernement local entre 1990 et 1995.
Les récits de la première partie du livre ont un
sens qui va au-delà des faits qu'ils évoquent et des personnages
qu'ils mettent en scène. Ils ont aussi un caractère
rhétorique dans le sens littéral de ce terme
(rhétorique : art de la persuasion). L'histoire narrée dans
les quatre récits est en rapport avec la vie des indigènes et des
espagnols après leur arrivée au Pérou. Sont
également traitées leurs relations, amicales ou conflictuelles,
dans le contexte de la destruction de l'empire Inca et de
l'établissement de la vice-royauté. De cette histoire peuvent se
dégager deux thèses : soit la présence de
l'étranger (le conquistador) est positive pour le pays, soit elle est
nuisible. Nieto est plus proche de la dernière, c'est-à-dire du
côté des idéologies indigéniste et incaniste.
L'idéologie incaniste, qui exalte les gloires de
l'empire disparu est accompagnée d'un sentiment xénophobe
à l'égard de l'Espagnol conquistador. La polarisation
idéologique fonctionne comme principe structurel organisateur et comme
thème fondamental des textes. Deux espaces sémantiques ou
plutôt idéologiques peuvent ainsi être
distingués : l'un d'eux, concernant le Je, doté du signe de
l'euphorie (valorisation positive absolue) et le deuxième, en rapport
avec l'Autre, doté du signe de la dysphorie (valorisation
négative absolue).
3. La relation hiérarchisée de l'image
de l'étranger. (Dimension idéologique des facteurs
constructifs).
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