Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynospar Nataly Villena Vega Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001 |
2.3 Le stéréotype.Etymologiquement le stéréotype correspond à l'idée de « type solidifié » (stereos : solide), il est « l'image figée qu'un groupe diffuse de lui-même et des autres »46(*), il relève donc du préconçu. Les stéréotypes désignent des « unités préfabriquées à travers lesquelles se révèle le discours de l'Autre »47(*), affirme Amossy et John Harding signale ses caractéristiques les plus importantes :
Claude Duchet fait aussi référence au caractère de « discours déjà tenu » du stéréotype. Le stéréotype ferait donc partie du déjà-dit. A ce point le stéréotype pourrait apparaître comme un mécanisme plutôt nocif. Or, il peut aussi avoir un caractère bénéfique. Les sociologues affirment que le stéréotype protège une communauté contre toute menace de changement et lui permet de perpétuer des éléments de son histoire. La force historique des stéréotypes réside ainsi plus dans leur valeur de reconnaissance que dans leur valeur de réalité. Les stéréotypes fonctionnent parce qu'ils sont familiers au lecteur et parce que celui-ci finit par confondre leur familiarité et leur validité. Le stéréotype a toujours été présent dans l'histoire de l'homme ; on sait aujourd'hui que la représentation des personnages d'une nation particulière en tant que tradition textuelle obéit à certaines règles préétablies et indépendantes de la réalité politique et sociale du moment. Deux de ces constantes sont intéressantes pour notre analyse48(*) :
2.3.1 Des personnages stéréotypésLe choix du nom ou prénom des personnages dans les deux oeuvres et plus particulièrement dans Inka Trail, tend vers l'indifférenciation de l'individu en faveur de l'association au stéréotype d'une communauté. L'image de la communauté d'origine sert au lecteur comme cadre de référence pour comprendre l'altérité de celui qui ne partage avec lui ni l'histoire, ni les codes sociocognitifs, ni les affects, ni même, dans la plupart des cas, la langue. Le stéréotype s'interpose entre l'observateur et la réalité de façon presque systématique. Dans la caractérisation des personnages étrangers, la simple attribution d'un nom est conditionnée dès le début par des facteurs d'ordre idéologique. La « légibilité » des oeuvres étudiées est atteinte dans la mesure où le sens du nom propre des personnages fonctionne comme dispositif de redondance sur le plan idéologique. Le choix onomastique est lié aux thèmes de la découverte, du conflit, du voyage et de la séduction. L'Inca est ainsi noble, passionné et courageux, digne dans la défaite. Vaincu, il est nostalgique et mélancolique mais n'éprouve pas de rancune. L'Inca est de nature divine et son univers, profondément lié à la nature et à la magie. L'Espagnol est cruel et traître, capable des pires atrocités mais aussi un brave aventurier. Les traits de l'indigène contemporain ont souvent un rapport avec les questions affectives, il peut être tendre et fidèle ainsi que violent, machiste et feignant. Le touriste et le « limeño » sont, de leur côté, stéréotypés en fonction de leur comportement social et leur condition économique. En ce qui concerne les stéréotypes du passé, l'écriture de Nieto est traditionnelle. Tout comme la tradition qui définit le bon, le beau et le vrai par leur fidélité aux stéréotypes, l'écriture de Nieto est dans ce cas en conformité aux normes dominantes. Curieusement, dans son travail sur l'époque contemporaine il y a un changement d `approche. Les stéréotypes sont renversés et il y a une quête de nouveauté et de surprise. Chanove, pour sa part, fait une sorte de déconstruction générale dont l'objectif semble être, plus que la simple opposition au stéréotype, celui de jouer avec le langage. Il y a un intérêt à préserver sa polysémie et les incertitudes qui en résultent. Certains personnages utilisent les stéréotypes idéalisés de l'amant latin et de la culture Inca comme des outils pour la conquête des femmes étrangères (« gringas »). Il est intéressant de signaler que, lorsqu'il s'agit du touriste, tant Nieto comme Chanove montrent que la façon dont le Je et l'Autre se rapprochent, tend aussi vers la stéréotypie. Le tourisme est « la généralisation d'un mode de connaissance »49(*) dit Jean-Didier Urbain, ce qui appelle à la réflexion sur l'impossibilité, pour le touriste, de s'échapper des limites. La figure du touriste est aussi quelque peu stéréotypée. A la différence du voyageur, le touriste a une approche superficielle et artificielle de la culture de l'Autre. Le voyageur serait donc une sorte d'initié et le voyage serait une pratique partagée entre initiés. La différence entre le touriste et le voyageur se place alors du côté de l'authenticité. * 46 Amossy, Ruth, Les idées reçues, Paris, Nathan, 1991, p.8. * 47 Ibid., p.10. * 48 Leerssen, Joep, « Mimesis and steteotype », in Yearbook of European Studies, n°4, 1991, pp. 165-176. (p.167). * 49 Urbain, Jean-Didier, L'idiot du voyage, Paris, 1997, p.89. |
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