CONCLUSION GENERALE
Le système de preuve est au coeur du procès
pénal, donc au coeur de l'activité du TPIR. Celui qui a cours
devant ce tribunal, comme nous avons pu le constater tout au long de nos
développements, est assez original. Il apparaît comme un
système qui prend véritablement en compte les circonstances de
perpétration des crimes. En conséquence, il accorde au
témoignage une place privilégiée. En outre, Il se
caractérise par une absence de contrainte dans le mode de production des
éléments de preuve présentés devant le Tribunal, et
une liberté affirmée quant à la nature des preuves
à produire et à leur appréciation. Les actes constitutifs
du Tribunal autorisent cette grande souplesse du système de preuve, et
font l'objet de la part de l'organe juridictionnel d'une interprétation
audacieuse pour renforcer le pouvoir d'injonction dont ils disposent.
En somme, ces actes constitutifs du TPIR montrent à
leur lecture que ce dernier dispose de tous les moyens en tout cas, juridiques,
pour réussir sa mission de répression. Mais lorsqu'il s'agit de
les mettre en oeuvre, Il se heurte à une multitude
d'intérêts et de raisons, mêmes juridiques parfois, qui
empêchent que se fasse le travail. Il suffit en effet d'observer les
comportements des membres de la communauté internationale face aux
injonctions qui leurs sont faites par les TPI pour se rendre compte que les
potentiels résultats de ces institutions n'intéressent que
très peu d'entre eux.
La réalité sociale, lorsqu'elle est
confrontée aux textes, dévoile presque toujours
l'incapacité de ces derniers à résoudre tous les
problèmes qui ont prédestiné à leur
création. Dans le cas du TPIR, on le voit aisément. C'est
pourquoi le RPP des TPI est sans cesse réajusté pour être
non seulement le mieux adapté possible au contexte de
perpétration des crimes relevant de leur compétence, mais aussi
et surtout pour rehausser le standard des garanties procédurales
internationalement reconnues dans tout procès pénal.
Malgré cette mise à jour constante des actes
constitutifs des TPI d'une façon générale et du TPIR en
particulier, Il n'en demeure pas moins que la mise en oeuvre du système
de preuve pratiqué par le Tribunal rencontre un certain nombre de
difficultés, au point que s'élèvent des doutes quant
à son efficacité. Au nombre de ces difficultés, il faut
signaler la timide coopération des Etats et de certains organismes
humanitaires aussi bien dans la recherche des preuves que dans la recherche des
personnes inculpées. Fort heureusement, grâce au dynamisme de
l'organe juridictionnel et à la capacité du Tribunal d'adapter
ses règles de fonctionnement à l'environnement socio-juridico
international dans lequel il doit mener ses activités, il arrive tant
bien que mal à surmonter ces difficultés et produire les effets
qu'on attend de lui.
En effet, à trois ans de son échéance,
sur environ quatre-vingt (80) personnes mises en accusation publiquement devant
le TPIR, seules dix (10) sont encore en liberté, six (6) purgent
déjà leur peine au Mali, dix-neuf (19) sont en cours de
procès et trente et une (31) en attente de jugement. Ces chiffres
montrent qu'au-delà de tout, les Etats collaborent avec le Tribunal. Ils
montrent aussi que la mission de répression est effectivement
amorcée.
On peut toutefois nourrir la crainte que
l'échéance de 2008 fixée au tribunal pour la fin de ses
activités ne soit pas respectée. Mais ce n'est pas condamnable
quant on sait la complexité des preuves à établir pour
démontrer la culpabilité des accusés, et la
délicatesse avec laquelle la preuve testimoniale doit être
traitée. On a pu le voir avec l'exemple du crime de génocide sur
lequel nous avons travaillé. Les lenteurs procédurales dont on
accuse le TPIR sont alors compréhensibles et seraient d'ailleurs
moindres si les moyens financiers étaient plus importants.
Les jugements ne se déroulent pas sur les lieux de
commission des crimes et entretenir un procès de l'envergure de ceux qui
ont lieu devant le TPIR exigent d'énormes moyens, car la recherche des
preuves, le déplacement des témoins et leur entretien, sont
autant de choses qui nécessitent des dépenses, et qui en
réalité sont indispensables au bon fonctionnement du
système probatoire.
En somme, il ressort de nos développements et des
différents constats faits que le système de preuve du TPIR tel
qu'il est organisé par ses textes et tel qu'il s'y pratique, contribue
à la maîtrise des preuves par les parties, et est adapté
dans une large mesure au contexte de perpétration des crimes et à
l'environnement juridique international dans lequel fonctionne l'institution.
Il en résulte par suite que la preuve de son efficacité qui est
d'autant plus renforcée par le standard élevé des droits
de la défense, s'impose d'elle-même.
Le TPIR a été créé dans le but de
rétablir la paix et la sécurité internationales
ébranlées au Rwanda. Autrement, la justice doit contribuer
à rétablir la paix et la sécurité internationales,
et dans le prolongement des effets de son action, elle doit contribuer à
empêcher que la paix et la sécurité internationales ne
soient à nouveau perturbées. Une lourde tâche pour laquelle
le TPIR se donne bien du mal pour accomplir.
Mais, il est indéniable que malgré ses freins,
le TPIR accomplit un travail remarquable, d'une haute qualité. C'est
pour cette raison que son oeuvre traversera le temps et contribuera sans doute
à donner à la justice internationale ses lettres de noblesse.
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