Le système de preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Liliane Egounlety UNIVERSITE D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droits de l'Homme et Démocratie 2005 |
B- L'identification du groupe ethniqueLe Statut du TPIR en son article 2 identifie quatre (4) groupes protégés contre le génocide dont les critères d'identification sont la nationalité, la race, l'ethnie et la religion. Comme le pensent à juste titre certains auteurs213(*), ces critères entretiennent un flou qui peut rendre peu évidente l'identification d'un groupe dans un contexte de génocide. Seul le critère ethnique retiendra notre intention, car c'est de cette catégorie de groupe dont il s'agit dans le génocide que le TPIR est en charge de réprimer. La chambre de première instance I du TPIR, de façon objective, définit le groupe ethnique comme un groupe dont les membres partagent une même langue ou une culture commune.214(*) Dans une perspective occidentale, Hutus et Tutsis sont distingués sur la base de ce critère. Mais ce critère ne se vérifie pas dans l'environnement socioculturel rwandais, car les groupes ethniques identifiés comme tels partagent la même langue et la même culture. La question se pose alors : une définition objective est-elle la plus appropriée pour cerner avec précision les éléments à considérer pour prouver l'existence du groupe. Surtout quand on sait qu'au Rwanda, par exemple, le groupe Tutsi a été isolé et distingué par des mesures législatives et administratives. Les juges du TPIR ont adopté cette méthode dans le jugement AKAYESU. Face à la difficulté d'identifier de façon objective l'existence du groupe ethnique au Rwanda, le Tribunal a opéré un revirement dans sa jurisprudence pour adopter une approche subjective à partir de l'affaire KAYISHEMA-RUZINDANA. Dans ce jugement, les juges font apparaître cette approche en indiquant que le groupe ethnique, c'est aussi ce que les autres, y compris les auteurs des crimes, percevaient comme étant un groupe ethnique215(*). Mais cette approche subjective, non plus ne va pas sans susciter quelques interrogations. Entre l'auteur du génocide et la victime laquelle de leurs perceptions respectives doit-on retenir pour prouver l'existence du groupe protégé ? Le TPIR a résolu cette interrogation en privilégiant l'approche centrée sur la perception de l'auteur du crime. Le but originel de la répression du crime de génocide n'est-il pas de punir l'intention de l'auteur de détruire en tout ou en partie le groupe protégé ? Il est donc plus indiqué, comme le pense Jean-Michel CHAUMONT, que soit tenu compte du groupe aussi arbitraire soit-il, tel qu'il existe dans les fichiers du bourreau216(*). Cette intention spécifique de l'auteur du génocide est si difficile à démontrer qu'il faut identifier à quel niveau la rechercher. * 213 Entre autres, Jean-Michel CHAUMONT, qui émet des objections par rapport à la définition onusienne du génocide. Ainsi en ce qui concerne l'identification du groupe victime de génocide, il justifie l'impossibilité à fixer a priori les groupes à protéger par le fait que les groupes victimisés n'existent que dans la tête de leurs bourreaux. Il estime en outre qu'il est impératif d'éliminer des définitions du génocide, toute référence à des groupes particuliers. Il propose une définition qui prend en compte la perception qu'a l'auteur du génocide du groupe qu'il détruit, à l'instar de la définition de l'article 211-1 de la loi française du 22 juillet 1992 qui définit le génocide comme « le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, [...], ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre à l'encontre des membres de ce groupe l'un des actes suivants [...]». Suit une liste voisine de celle de l'article 2 de la convention de 1948. * 214 Aff. n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c/. Jean-Paul AKAYESU, § 513. * 215 KAYISHEMA-RUZINDANA, jugement 1999, § 98 ; MUSEMA, jugement 2000, § 154 ; BAGILISHEMA, jugement, 2001, § 55. * 216 Jean-Michel CHAUMONT, op. cit. p. 212. |
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