Le mercenariat en Afrique au sud du Sahara : approche endoscopique et perspectives( Télécharger le fichier original )par Ylliass Destin Lawani Université d'Abomey Calavi - Diplôme du Cycle I de l'ENA en Diplomatie et Relations Internationales 2004 |
Les corsaires dirigeaient des navires rapides (du même nom) et armés par un équipage habilité par son gouvernement pour capturer des bâtiments de commerce ennemis. Contrairement aux pirates qui poursuivent leurs propres intérêts, ils agissaient donc, du moins théoriquement, sous l'autorité d'un Etat qui, était responsable de leurs actes. Cette pratique prenait une ampleur considérable pendant les conflits et les guerres inter-étatiques et représentait une base pour la puissance navale de l'Etat.La pratique des corsaires a généré la piraterie organisée. En 1856, un accord formel signé à Paris, amorçait une uniformisation internationale du droit maritime excluant progressivement les activités de corsaires.Créées au XVIème siècle en Europe, les compagnies marchandes représentent la forme la plus complexe de violence non-étatique autorisée. Ces compagnies étaient affrétées par l'Etat pour faire du commerce sur de longues distances ou pour établir des colonies. Les plus importantes étaient les deux compagnies hollandaise et britannique des Indes Orientales et la compagnie de la baie d'Huston17(*). Leur organisation différait d'une compagnie à l'autre de même que leur degré de privatisation par rapport à l'Etat. Par conséquent, leurs objectifs (pouvoir/profit) variaient selon que les pays d'origine étaient plus ou moins centralisés. Ces compagnies recevaient des pouvoirs extraordinaires qui leur conféraient une quasi-souveraineté. Il y avait donc souvent collusion d'intérêts, ce qui fait dire à Janice Thompson que « les compagnies marchandes étaient des institutions créées par l'Etat qui utilisaient la violence dans la poursuite d'un gain économique et de pouvoir politique à la fois pour l'Etat et des acteurs non-étatiques »18(*).Mais les compagnies marchandes ont utilisé leurs capacités militaires contre les autres compagnies indépendamment des relations que pouvaient entretenir leurs Etats d'origine respectifs. Elles ont été progressivement éliminées à travers différents processus sans jamais être formellement interdites. La plupart ont disparu suite à des faillites et certaines ont progressivement perdu leur contrat d'affrètement. Enfin les mercenaires constituent l'exemple type de stratégie étatique pour échapper aux lourdeurs du système féodal concernant les obligations militaires. L'utilisation des mercenaires s'était donc généralisée au XVIIIème siècle à tel point que près de la moitié de la marine anglaise était faite d'étrangers. Elle a entraîné le risque pour les Etats de s'opposer les uns aux autres. Ce risque a été favorisé par l'émergence des pratiques et principes associés à la neutralité qui rendent responsable un Etat d'actes internationaux dommageables d'individus placés sous sa juridiction. Plus qu'un simple acteur du marché, le mercenaire était devenu un acteur politique. Alors que la délégitimation des corsaires a été le fruit d'une évolution du Droit International, pendant que celle des compagnies marchandes a été le produit du temps, la répression du mercenariat s'est faite par un renforcement du droit interne, surtout des Etats-Unis. De plus, la régulation anti-mercenaire reflète des nouvelles relations entre l'Etat et la population, le premier cherchant à mieux contrôler la seconde à l'intérieur de ses frontières. S'il nous a été possible de parler de violence non étatique autorisée, c'est bien qu'il existe une forme de violence non étatique non autorisée. Il existe deux pratiques non autorisées de Violence non-étatique : la piraterie et la flibusterie. Comme nous l'avons déjà dit, la piraterie a été générée par la pratique des corsaires. Le pirate est un bandit qui parcourt les mers pour piller les navires de commerce et est distinct du corsaire. Toutefois il faut noter qu'au XVIème siècle la piraterie acquiert une nature politique. Les pirates sont alors des « communautés ou des quasi-Etats basés sur le principe de la démocratisation des pouvoirs politiques et de la violence »19(*). Peu à peu, la piraterie passa du statut de pratique non autorisée, mais hors de la responsabilité des Etats et potentiellement exploitables, à celui d'activités criminelles à éliminer à tout prix. Ainsi la campagne contre la piraterie a été précédée par un changement dans l'attitude de l'Etat. Il fallait cependant savoir d'abord qui était souverain en mer, donc responsable des activités des pirates. Mais cette question n'ayant finalement pas été tranchée, les normes d'interdiction et de poursuite des pirates ont été générées par le seul droit interne. La flibusterie quant à elle était une nouvelle forme de violence extraterritoriale apparue après l'établissement d'un gouvernement républicain aux Etats-Unis. Cette pratique, essentiellement limitée au continent américain, consistait en des expéditions militaires non-étatiques contre les territoires voisins. Trois types d'expéditions étaient possibles : les expéditions mises en place par des initiatives privées de nationaux étrangers ou de citoyens américains, celles résultant des efforts malencontreux des Mexicains pour attirer les résidents américains, et enfin celles conduites par des agents du gouvernement américain. Ces trois types de flibusterie ont pour point commun leur nature politique complexe, produit de la faiblesse de l'Etat fédéral face aux Etats et aux citoyens. La délégitimation de cette pratique correspond donc à un « un effort de l'Etat à étendre et renforcer son contrôle sur les individus à l'intérieur de sa juridiction territoriale »20(*). Avec la délégitimation de la violence non-étatique le mercenariat apparaît dans la première moitié du XXème siècle comme une anomalie puisque marginalement légitimé par les deux guerres mondiales. Mais depuis les années 60, le mercenaire n'apparaît plus dans les conflits inter-étatiques mais au contraire dans les conflits infra-étatiques qui offrent moins de visibilité. L'Afrique noire a été le champ d'intervention de ces mercenaires de la deuxième moitié du XXème siècle. Paragraphe 2 : Les manifestations du mercenariat en Afrique au sud du Sahara L'Afrique noire a connu le mercenariat pendant la guerre froide par les guerres de libération nationale, les coups d'états et autres guerres de sécession, mais aussi après la guerre froide avec des conflits de basses intensités aux structurations complexes. A- Les manifestations du mercenariat en Afrique pendant la guerre froide Nous les verrons à travers un tableau.
Source : Rapport de la chambre des communes « Private military companies : options for régulations », 12 février 2002, pp. 28 à 30.Traduit de l'Anglais par nous. B- Les manifestations du mercenariat en Afrique après la guerre froideLa fin de la guerre froide n'a pas rangé les mercenaires aux oubliettes. La chute du régime de l'Apartheid en Afrique du Sud suivi du démantèlement de ses services spéciaux a jeté sur le marché des tas de candidats au mercenariat. Les nouveaux Etats issus de l'effondrement de la Yougoslavie et du bloc soviétique sont devenus à leur tour pourvoyeurs de « chiens de guerre »21(*). De plus, l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord deviennent « le vivier traditionnel des « affreux », pour la plupart nostalgiques des colonies, paternalistes sinon racistes à l'égard des Noirs et viscéralement anticommunistes »22(*). Dans les années 1990, la guerre en Angola (de 1992 à 1998) et en Sierra Leone (1991 à 1998) avait été leur champ d'action. Suivront ensuite les conflits Libérien (1995 à 1997) , Congolais (1994 à 1996), dans les Grands Lacs ( depuis 1996)23(*), et récemment Ivoirien 24(*), de même que l'ultime agression, le 28 septembre 1995, de Bob Denard contre le régime du président Mohamed Said Djohar de la République Fédérale Islamique des Comores25(*), et le très récent coup d'Etat déjoué en Guinée Equatoriale26(*). Le mercenariat est perçu de diverses façons selon que l'on se trouve en France, à l'ONU ou dans les pays Anglo-saxons. Section 2 : Le libéralisme anglo-saxon face à l'intransigeance de l'ONU et de la France, dans la manière d'appréhender le mercenariat. L'ONU s'est toujours montrée à l'avant garde de la lutte contre le mercenariat quelque soit la forme sous laquelle elle se présente. Cette position de l'organisation internationale semble rejoindre celle de la France qui s'est dotée en 200327(*) d'une loi relative à la répression de l'activité de mercenariat , après des décennies d'attentisme. Par contre aux Etats Unis et en Grande Bretagne, on remarque une acceptation tacite du phénomène qui se traduit par une non application des textes anti-mercenaires. Paragraphe 1 : La vision de l'ONU et de la France * 17 Compagnie commerciale anglaise créée en 1670 par Charles II et qui joua un grand rôle dans la colonisation des régions septentrionales du Canada * 18 .THOMPSON Janice E., op.cit., 1994, p.41 * 19 . Thompson Janice E., op. cit., p.46. * 20 . Ibid, p. 143. * 21 Autre nom des mercenaires auquel on peut ajouter ceux d'«affreux », « soldats de fortune », « Marchands de chaos », « corsaires de la République », « Barbouzes », « Lansquenets »... * 22 .M'BOKOLO Elikia, « Echec aux affreux », in Jeune Afrique Economie, N° 358, octobre 2004, p.62. * 23 .Rapport de la chambre des communes « Private military companies : options for régulations », 12 février 2002, pp. 30 à 38. * 24 .Rapport( référencé E/CN.4/2003/16) de Enrique B. Ballesteros sur la question de l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Commission des Droits de l'Homme, 29 novembre 2002, par.33. * 25 . François Dominguez et Barbara Vignaux, « La nébuleuse des mercenaires français », Le Monde diplomatique, octobre 2003, pp.4-5. Cet article est disponible à l'adresse www.monde-diplomatique.fr/2003/08/DOMINGUEZ/10303 . En ce qui concerne les multiples agressions mercenaires dont cet Etat insulaire a été victime, voir le rapport ( référencé E/CN.4/1996/27) de Enrique B. Ballesteros sur la question de l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Commission des Droits de l'Homme, 17 janvier 1996, par.48 à 61. * 26 Pour plus d'information voir le dossier réalisé par Isa Koulibaly « Les dessous d'un coup foireux » dans Africa International, N° 379 de septembre 2004, pp.9-13 * 27 . Loi n°2003-340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l'activité de mercenariat, Journal Officiel français , n°89 du 15 avril 2003, p. 6636. |
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