II.2.2 Les théories cognitives de la gouvernance
Le développement d'une approche cognitive de la
gouvernance, expliquant le lien entre les ressources et la création de
la valeur, répond aux insuffisances de la vision contractuelle qui
41 Margaret BLAIR, « Ownership and Control :
rethinking corporate governance for the twenty-first century », The
Brookings institution, Washington, 1995.
42 Bertrand COMMELIN, « Le gouvernement
d'entreprise, La Bourse et les entreprises », Cahiers
Français
N°277, 2001, p.82.
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ignore pour l'essentiel la dynamique productive et montre des
lacunes dans l'explication de
certains phénomènes organisationnels et notamment
dans la modélisation de la gouvernance.
En effet, afin d'appréhender ce processus, il
est nécessaire de faire appel aux théories cognitives de
la firme. Cette approche se distingue de l'approche contractuelle et
en est complémentaire pour l'explication d'un nombre important de
phénomènes organisationnels. Tout d'abord, la connaissance,
représentée comme l'aboutissement d'un processus
d'apprentissage est distinguée de l'information alors que ces deux
notions sont confondues dans la vision contractuelle. D'après
Madhok43 : « l'information et la connaissance sont au coeur
du design organisationnel parce qu'elles résultent de problèmes
contractuels d'incitation
(...).Il est surprenant que les théories
économiques (...) ne portent aucune attention au rôle de
la connaissance organisationnelle ».
La vision cognitive s'attachera davantage à
expliquer le processus d'apprentissage et d'accumulation de connaissances
et de compétences. La firme n'est plus seulement analysée
sur sa capacité à « économiser la
connaissance 44» , mais également sur sa capacité
à créer de
la connaissance et des compétences.
Un autre point d'évolution important est celui
de la conception même de la rationalité limitée et
calculatoire des agents, l'hypothèse de rationalité
calculatrice sous contraintes cognitives est rejetée au profit de la
rationalité procédurale : la rationalité ne
s'apprécie plus sur la base des conséquences des
décisions, mais des processus décisionnels45.
Cette évolution permet de fournir une explication
relativement nouvelle du processus de création de valeur. D'une part
la connaissance de changements organisationnels endogènes, c'est
à dire la capacité des firmes à créer leurs
propres opportunités. D'autre part la reconnaissance des
capacités des firmes à innover et à créer du
différentiel. Contrairement aux théories contractuelles
où la création de valeur est essentiellement
appréhendée en termes d'économie de coûts et
où l'analyse est concentrée sur les problèmes de
répartition de la valeur créée et la résolution
des conflits d'intérêt, les théories cognitives se
concentrent sur l'analyse du processus de création de valeur. La firme
peut notamment créer de la valeur en
43 A. MADHOK, « The Organization of
Economic Activity : Transaction Costs, Firm Capabilities, and the
Nature of Governance », Organization Science, Vol.7,5, 1996,
p.577-590.
44 H. DEMSETZ, « The Theory of the Firm
Revisited », Journal of Law, Economics and Organization, Vol4,1988 ,
p.141-163.
45 Gérard CHARREAUX "Quelle
théorie pour la gouvernance : de la gouvernance
actionnariale à la gouvernance cognitive", Encyclopédie des
ressources humaines, Economica, 2002, p.7-9.
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agissant sur son environnement, en créant des
opportunités, en apprenant, en innovant et en
créant du différentiel. Lazonick et
O'Sullivan46 considèrent que la clé de la performance
dans ces approches se situe dans la capacité du management à
imaginer, percevoir, construire de nouvelles opportunités que dans la
restructuration des portefeuilles d'activités des firmes en
réponse aux évolutions de l'environnement.
Cette nouvelle vision aboutit à une
interprétation différente des mécanismes de
gouvernance qui ne jouent plus prioritairement un rôle de
résolution des conflits mais un rôle proactif. Désormais le
système de gouvernance regroupe des mécanismes permettant
d'avoir
le meilleur potentiel de création de valeur par
l'apprentissage et l'innovation47.
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