II.2 Synthèse des principales théories de
la gouvernance
Il n'existe pas de théorie pionnière de la
gouvernance, cette dernière est la résultante de plusieurs
constructions théoriques. Ces courants appartiennent au
même paradigme mais proposent des explications différentes de
l'efficience des organisations et de leur existence. Le premier courant est
d'origine contractuelle et le second est d'origine cognitive.
II.2.1 Les théories contractuelles de la
gouvernance
II.2.1.1 L'approche actionnariale
La notion centrale de l'approche contractuelle est celle de la
firme perçue comme un noeud
de contrats, un centre contractant chargé de gérer
de façon centralisée, l'ensemble des contrats
nécessaires à la production. Trois théories
constituent l'essence de ce courant contractuel :
- La théorie des droits de propriété «
TDP », (Alchian & Demsetz 1972) ;
- La théorie de l'agence « TA », (Jensen &
Meckling,1976) ;
- La théorie des coûts de transactions « TCT
», (Williamson, 1985).
a. La théorie des droits de
propriété
A.A. Alchian et H. Demestz sont considérés comme
les fondateurs de la théorie des droits
de propriété22. La firme est
définie comme un noeud de contrats (nexus of contracts)
et le dirigeant a pour charge de définir la nature des taches et de
choisir les personnes qui doivent
les exécuter au sein du « noeud »
coopératif.
Au sein de la théorie des droits de
propriété, Furubotn et Pjovich23 ont
cherché à comprendre le fonctionnement interne des
organisations en s'appuyant sur le concept même
de droits de propriété. Ils décomposent les
droits de propriété en trois grandes parties :
- L'usus : le droit d'utiliser le bien.
- Le fructus : droit d'en percevoir les fruits.
- L'abusus : droit du décider du sort du bien et d'en
faire ce qui bon nous semble.
22 A.A. ALCHIAN et H.DEMESTZ, « Production,
Information costs & Economic Organisation », The American
Economic Review,Vol 62, N°5, Decembre 1972 p777-795.
23 E.G FURUBOTN et S. PEJOVICH « Property Rights
& Economic Théory », Journal of Economic Literature,
10, December1972, p.1137-1162.
23
Selon la théorie néoclassique, la
décomposition du droit de propriété entre les mains
de
plusieurs personnes a pour effet de réduire
l'efficacité de la firme. En effet, seul un manager qui est aussi un
propriétaire peut avoir intérêt à réduire le
gaspillage, et améliorer ses efforts
au sein de son entreprise.
Dans la firme managériale, il existe une
séparation entre le management de l'entreprise assuré par le
manager et la propriété de la firme assurée par le
détenteur de capital. Dans ce cadre le manager ne peut disposer que de
l'usus alors que le fructus et l'abusus sont possédés par le
propriétaire, ce qui peut entraîner des conflits
d'intérêts et s'avérer être une source
d'inefficacité.
En résumé, la théorie des droits de
propriété nous indique que la séparation entre fructus,
usus et abusus, qui symbolise l'entreprise managériale tend à
atténuer l'efficacité des droits de propriété. Les
parties en présence, bénéficiant chacune d'une partie des
droits de propriété sur
la firme vont, dés lors, poursuivre des
intérêts pouvant être divergents.
b. La théorie de l'agence
M.C. Jensen et W.H. Meckling, fondateurs de la théorie de
l'agence, s'inspirent à l'orig ine
de la démarche de Alchian et Demsetz, pour
définir la firme comme noeud de contrats. Le modèle
explicatif des structures de financement et d'actionnariat, est fondé
sur les hypothèses d'asymétrie d'information et de conflits
d'intérêts entre le dirigeant - propriétaire, les
nouveaux actionnaires et les créanciers financiers.
Pour M.C. Jensen et W.H. Meckling « il existe une
relation d'agence lorsqu'une personne a recours aux services d'une autre
personne en vue d'accomplir en son nom une tache quelconque
24». Dans le cas présent, la relation d'agence
concernera le principal
(l'actionnaire) et son agent (le gestionnaire), ce dernier
s'étant engagé à servir les intérêts du
premier. De ces relations émane la notion de coûts
d'agence, coûts qui résultent du caractère
potentiellement opportuniste des acteurs (hasard moral) et de
l'asymétrie d'informations entre
les cocontractants (sélection adverse) :
- La sélection adverse, ex ante: l'agent dispose
d'informations alors que les principaux ne
les ont pas, il peut les cacher avant de signer le contrat.
24 M.C. JENSEN et W.H. MECKLING, « Theory of the
firm, Managerial Behavior, Agency Costs & Ownership
Structure », Strategic Management Journal,1976,
p.305-360.
24
- Le hasard moral ex post: les principaux ne sont jamais
assurés que l'agent mettra tout en
oeuvre pour exécuter le contrat et ne poursuivra pas des
objectifs qui lui sont propres.
Les coûts générés par une telle
situation constituent les coûts d'agence, ils représentent la
perte de valeur par rapport à une situation
idéale où il n'y aurait pas d'asymétrie
d'informations et de conflits d'intérêts. Selon les
théoriciens de l'agence une organisation est réputée
efficace si elle minimise les coûts d'agence.
Pour M.C. Jensen et W.H. Meckling, les problèmes
d'agence engendrent trois types de
coûts25 :
§ Les coûts de surveillances (monitoring
expenditure) : ce sont les coûts supportés par le
principal pour s'assurer que son agent gère
conformément à ses intérêts.
§ Les coûts d'obligation (bonding coasts) :
supportés pas l'agent pour mettre en confiance
le principal.
§ Les pertes résiduelles (residual loss)
: ce sont les coûts inhérents à la divergence
d'intérêt entre le manager et les actionnaires (mauvaises
allocations des ressources, choix d'une stratégie non
optimale...).
Selon les analyses de Alchian et Demsetz puis de
Jensen et Meckling, la situation d'efficience optimale est celle où
la direction et la propriété sont assumées par une seule
et même personne. Dans le cas contraire, les actionnaires, exposés
à un hasard moral et à une sélection adverse
résultants de l'autonomie croissante du manager, n'ont aucune certitude
que
ce dernier fera un usage optimal de leurs capitaux. Plus
la part du capital de l'entreprise
possédée par le manager est faible, plus
l'incitation à maximiser la rémunération des fonds
propres est faible. Pour ces raisons, les relations entre les actionnaires
et les dirigeants sont nécessairement conflictuelles. Les divergences
d'intérêt sont de trois ordres26 :
· Divergence entre les actionnaires et les managers quant
à l'horizon des décisions ;
· Divergences quant à la perception du risque ;
· Divergences au sujet des avantages tirés par les
dirigeants de leur position.
Basées sur des postulats de la théorie de
l'agence et sur la reconnaissance du rôle central
occupé par le dirigeant, deux principales
définitions de la gouvernance peuvent être
25 M.C. JENSEN et W.H. MECKLING, « Theory of the
firm, Managerial Behavior, Agency Costs & Ownership
Structure », Strategic Management Journal,1976,
p.305-360.
26 Frédéric PARRAT : Le gouvernement
d'entreprise, Editions MAXIMA, Paris 1999, p.37-38.
25
évoquées : d'après Shleifer et Vishny
dans une approche financière traditionnelle, « la
gouvernance d'entreprise traite des différents moyens
mis en place par les fournisseurs de capitaux de l'entreprise pour
assurer leur retour sur investissement27 ».
Dans une vision moins restrictive de la gouvernance, une autre
définition est donnée par
Charreaux « le gouvernement d'entreprise peut se
définir comme l'ensemble des mécanismes
(organisationnels ou institutionnels) qui gouverne les
décisions des dirigeants et définit leur espace
discrétionnaire 28». Cette définition permet
d'inclure l'ensemble des mécanismes de gouvernance tendant à
délimiter l'espace discrétionnaire des dirigeants.
Jensen soutient qu'il existe seulement quatre forces de
contrôles, externes et internes, qui
peuvent servir à restreindre le pouvoir de décision
des dirigeants :
- les marchés de capitaux ;
- le système juridique/politique/réglementaire ;
- les marchés des produits et des facteurs de production
;
- le système de contrôle interne dirigé par
le conseil d'administration.
c. La théorie des coûts de
transaction
L'élargissement du cadre théorique et
l'intégration d'autres stakeholders, particulièrement
les salariés, ont conduit à la fondation
de la théorie des coûts de transaction par O.E.
Williamson, cette théorie considère que la firme existe pour
pallier les failles du marché, liées aux problèmes
posés par la spécificité des actifs et l'opportunisme
potentiel des acteurs.
Se distinguant de la théorie de l'agence qui
privilégie la notion de conflits d'intérêts, la
théorie des coûts de transaction retient la transaction comme
unité d'analyse et la spécificité des actifs supports
de la transaction, comme concept central (un actif est d'autant plus
spécifique que son redéploiement vers un autre
usage entraîne une perte de valeur importante), elle
explique l'arbitrage entre dettes et capitaux propres par la
spécificité des actifs à financer. Pour O.E. Williamson,
on internalise pour éviter d'être spolié et perdre le
27 Andrei SHLEIFER et Robert VISHNY « A Survey
of Corporate Governance », Journal of Finance, Vol 52,
1997, p.737-783.
28 Gérard CHARREAUX et Philippe DESBRIERE
« Gouvernance des entreprises : valeur partenariale contre valeur
actionnariale », Finance Contrôle et Stratégie, Vol1,2, 1998,
p.73.
26
minimum de valeur par rapport à ce qui serait
réalisable par rapport à l'optimum de premier
rang, à l'économie du Nirvana29.
S'appuyant sur le principe d'efficacité, O.E,
Williamson définit les coûts de transaction, comme «
les coûts engendrés (ou pouvant l'être) par les
échanges contractuels de biens ou services entre
firmes.30». Il décrit les coûts de
transaction comme la somme des coûts ex ante
de négociation et de rédaction du contrat reliant
deux entités et des coûts ex post d'exécution,
de mise en vigueur, et de modification du contrat, en cas
d'apparition de conflits, il considère
aussi que les coûts de transaction incluent les coûts
d'agence31.
L'efficacité des diverses institutions
économiques doit donc s'apprécier par les coûts de
transactions qu'elles engendrent. Ainsi les firmes, conçues comme
des « structures de gouvernance interne » de transactions
auparavant régies par les mécanismes du marché,
existeraient du fait de leurs avantages en terme de coûts de
transactions.
Williamson identifie deux types de mécanismes susceptibles
de réduire les coûts d'agence
et donc les coûts de transaction :
- Les mécanismes intentionnels,
permettant de gérer avec efficacité les transactions en mettant
en jeu des investissements fortement spécifiques, par exemple,
l`intervention du conseil d'administration pour contrôler une transaction
censée financer des investissements spécifiques à la
firme. Le conseil d'administration est supposé capable par
le biais des audits internes de déterminer
les causes de dépassement des coûts
prévisionnels et d'en décider en perspective du
sort du dirigeant.
- Les mécanismes spontanés,
de nature contractuelle, destinés à protéger
les transactions concernant des actifs redéployables, à
l'instar du marché, qui, selon Williamson sanctionne tout
dépassement de coûts prévisionnels 32. D'autres
mécanismes existent aussi comme les garanties contractuelles, les
procédures légales de règlement judiciaire...
29 Gérard CHARREAUX, « A la
recherche de nouvelles fondations pour la finance et la gouvernance
d'entreprise », Session inaugurale du colloque de
l'Association Francaise de Finance, Paris,2001, p.14.
30 O.E. WILLIAMSON, « Economic Organization,
Firms, Markets and Policy control », Wheatsheafbooks,1986.
31 O.E. WILLIAMSON, « The Modern
Corporation : Origins, Evolution, Attributes », Journal of
Economic
Literature, Vol XIX,1981, p.1537-1568.
32 O.E. WILLIAMSON, « The Economic Institutions
of Capitalism », The Free Press, New-York, 1985.
27
Trois critiques sont faites principalement à ces
travaux . Elles concernent le caractère
partiel des explications,33 la nature statique
des modèles et la non prise en compte des
spécificités institutionnelles des différents cadres
nationaux34.
La théorie de l'enracinement, plus récente,
souffre également de ce biais, mais surmonte
partiellement le problème du caractère statique des
explications.
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