II.2 MODELES UNIDIMENSIONNELS D'APPRECIATION DE LA
PERFORMANCE HOSPITALIERE
La définition de la performance est
étroitement liée à la conception de l'organisation
retenue, par conséquent une variété de conceptions
engendre une variété de modèles de performance.
En se basant sur le critère principal
d'appréciation de la performance, la revue de la
littérature à révélé l'existence de
quatre types de modèles : les modèles des objectifs
rationnels, les modèles des ressources, les modèles des relations
humaines et les modèles des processus internes. Cependant, la
difficulté rencontrée dans l'analyse de ces modèle se
situe
138
au niveau de l'ambivalence existante entre les dimensions
de la performance retenues
(critères, indicateurs, leviers d'action...).
II.2.1 Modèles des objectifs
rationnels
Plusieurs travaux de recherche se sont inscrits dans le
modèle des objectifs rationnels
(Price, Sherman, Magnussen, Charnes et Cooper, Shortell et
al.), dans ce type de modèle, un établissement est performant
lorsqu'il atteint ses objectifs. Ces derniers sont qualifiés de
rationnels.
Selon ce modèle, une organisation existe pour
réaliser des objectifs spécifiques 134. Ils sont
définis en terme de production de soins, dans ce sens la
rationalité est de produire plus au moindre coût.
La performance dans ce type de modèle renvoie à
l'efficience économique (analyse coût
/efficacité). Selon Evans et al.135, la
performance est fonction de l'efficience :
- Efficience technique : la
capacité essentiellement technique de produire un traitement
au coût le plus bas possible, ce qui correspond à
l'efficience productive. L'efficience technique est locale dans la mesure
où elle concerne un programme ou une action sans tenir compte du
coût d'opportunité associé.
- Efficience allocative : le meilleur choix
possible d'allocation des ressources sous
contraintes. Elle est globale car sa mesure tient compte du
coût d'opportunité de la mise
en oeuvre d'un programme en situation de ressources
limitées.
Par conséquent, une organisation performante est une
organisation qui est efficiente. Ce
modèle suggère que la mesure de l'efficience se
fait de deux manières :
- Définition de l'efficience de manière absolue
(recherche d'un optimum de paréto)
- Définition de l'efficience de manière
relative (benchmarking et comparaison à une
moyenne ou à un ensemble d'établissements).
133 S. GEINDRE, « L'influence du profil
des dirigeants sur le réseautage en PME » in Perspectives
en management stratégique, Editions Management Société,
Tome V, 1998, P.264.
134 J.L. PRICE, « The Study of Organizational
Effectiveness », The Sociological Quarterly, vol 13, N°4, 1972,
pp.3-15, cité in GRIS, « Evaluation de la
performance hospitalière : Elaboration d'un modèle
multidimensionnel » Protocole de recherche soumis au PHRC, 1998,p.15.
135 D.B Evans et Al. « The comparative
Efficiency onf National health systems in producing health : an analysis
of 191 countries », GPE discussion paper, N°29, World
Health Organization.
139
Indicateurs de performance
Pour ce qui est des indicateurs de performance, le
principal critère est l'efficience productive mesurée par des
indicateurs quantitatifs, ainsi l'évaluation nécessite de
définir les intrants (temps plein des praticiens, nombre de lits)
et les extrants (nombre de journées réalisées,
nombre de patients traités) de la fonction de production
hospitalière136.
L'évolution dans la conceptualisation des
organisations de soins conduit cependant à de fortes critiques de
ce modèle concernant d'une part la difficulté d'identifier les
objectifs de l'hôpital, d'autre part les difficultés pour
définir, identifier et mesurer les intrants et les extrants qui
ne prennent pas en compte les aspects qualitatifs et les indicateurs de
pertinence des actes et d'accessibilité aux soins. Cependant les
modèles des objectifs rationnels ne prennent en compte que les
aspects mesurables, ce qui débouche sur une vision réductrice et
standardisée de l'activité hospitalière.
II.2.2 Modèles des ressources
Plusieurs travaux de recherche se sont inscrits dans les
modèles des ressources (Moisdon et Tonneau, Durant, Grant, Barney,
Cohen et Levinthal). Ces modèles définissent la
performance selon la capacité de l'organisation de s'approprier les
ressources nécessaires à sa survie et à son bon
fonctionnement (recrutements, subventions, compétences) 137.
Le critère de performance retenu dans ce type de modèle
est le potentiel de l'organisation, c'est à dire l'ensemble des
ressources détenues138. Par conséquent la performance
de l'établissement de soins s'évalue, non pas en fonction de ce
qu'il fait, mais en fonction de ce qu'il est capable de faire139.
Les modèles des ressources se basent sur
l'idée selon laquelle, dans une situation concurrentielle
caractérisée par la rareté des ressources, la performance
des établissements de soins se mesure par les ressources
détenues, tangibles (équipement en technologie de pointe, nombre
de lits...) et intangibles (compétences internes).
136 J. MAGNUSSEN, « Efficiency measurement and
the operationalization of hospital production », Health Care
Services Research Vol 31, N°1 April 1996, pp.21-37.
137 J.K. BENSON, « The Interorganizational
Network as a Political Economy », Administrative Science
Quarterly, N°20, 1975, pp.229-249.
138 R.M. GRANT, « The Resource-based
Theory of Competitive Advantage : Implication for Strategy
Reformulation », California management review, Spring 1991,
pp.114- 135.
139J.B BARNEY, Looking inside for Competitive
advantage », Academy of Management Executive, N°4, 1995, pp.
49-61.
140
Les modèles des ressources renvoient à deux
objectifs de l'organisation :
- L'augmentation des ressources tangibles et intangibles
améliore la qualité de prise en
charge pour les patients.
- L'augmentation des ressource assure la
pérennité de l'organisation, soit par l'influence que cela
confère à l'établissement dans le système de soins
(critère de performance pour
les établissement à but non lucratif) , soit par la
rentabilité financière que ces ressources permettent de
générer (pour les établissement à but lucratif).
Indicateurs de performance
Concernant l'appréciation du potentiel de
performance d'un établissement de santé, la
littérature fournit des indicateurs relatifs à
l'équipement et aux ressources humaines tels que la présence d'un
scanner ou de praticiens hospitaliers de renommée d'une part, et des
indicateurs
de qualité d'équipement d'autre part. Pour le cas
des organisations à but lucratifs on trouve
dans la littérature des indicateurs de
performance faisant généralement référence
à la performance économique de l'organisation tels que les
indicateurs financiers (taux de marge brut d'exploitation, rentabilité
brute du capital d'exploitation) et les indicateurs d'attractivité
et de notoriété (performance de
marché, origine géographique des patients,
catégorie
socioprofessionnelle des patients).
II.2.3 Modèles des relations humaines
Plusieurs travaux de recherche se sont inscrits dans les
modèles des relations humaines (De Bettignes, Bennis), dans ce type de
modèle, les organisations sont perçues comme des arènes
politiques où multiples parties prenantes et coalitions interagissent et
où l'accent est mis sur
les besoins de satisfaction des parties prenantes et
sur les activités mises en oeuvre par l'organisation pour se
maintenir. La performance se définit alors comme la
capacité de l'organisation à satisfaire les parties
prenantes.
La performance de l'organisation est définie en
terme de « santé interne »140 avec des
dimensions comme les valeurs morales, le climat, la cohésion, les
conflits, le développement humain et la pérennité.
140 W.G. BENNIS, C. GUERRIN, H.C DE BETTIGNES, «
Le developpement des organisations : sa pratique,
ses perspectives et ses problèmes », Dalloz, 1975,
p.1000.
141
Indicateurs de performance
Les indicateurs de performance sont fondés sur des
indicateurs représentant le climat social
de l'organisation et cherchant à refléter la
satisfaction de chaque partie prenante. On retrouve ainsi des indicateurs
tels que les taux de grève, l'absentéisme, le taux de
rotation du personnel, les accidents du travail, mais aussi les indicateurs
de satisfaction du personnel et
les indicateurs des degrés de partage des valeurs entre
les stakeholders.
Les leviers d'action de la performance se rapportent alors aux
modalités d'amélioration de
la satisfaction des stakeholders : l'amélioration des
conditions de travail, la participation du personnel à la
définition des objectifs (courant de la direction participative par
objectifs), la congruence entre le fonctionnement de
l'établissement et les valeurs fondamentales du personnel et la
mise en place de mécanismes de cohésion.
Ces modèles renvoient au rôle social de
l'entreprise. En effet, ils se sont développés en
réaction à une vision économique de l'organisation.
Cependant les applications de ces modèles ont été
fortement critiquées au sens où au lieu de constituer une fin, le
climat social représente alors un moyen pour améliorer la
performance économique.
Notons que les modèles des relations
humaines suscitent beaucoup d'intérêt et de controverses
dans le système hospitalier. La difficulté à
remettre en cause les horaires de travail des professionnels de
santé pour les adapter aux besoins des prises en charge est une autre
démonstration : « le système hospitalier ménage
les acteurs plutôt que de manager les organisations
»141.
II.2.4 Modèles des processus internes
Plusieurs travaux de recherche se sont inscrits dans les
modèles des processus internes
(Pascal, Diridollou, David, Allison). Dans ces types de
modèles, une organisation performante
est celle dont les processus de production respectent les normes
établies. Par conséquent, ce
ne sont pas les ressources qui comptent mais la
manière dont elles sont mobilisées pour la
réalisation de l'activité. Ce type d'analyse est
quotidiennement appliqué aux établissements
de soins dans la mesure où l'activité est
caractérisée par une forte asymétrie d'information et
qu'il y a obligation de moyens et non de résultats.
142
S. Shortell a réalisé une étude de liens de
causalité entre certaines pratiques managériales et
la performance des hôpitaux aux Etats-Unis142.
Il retient cinq critères de performance : le taux
de mortalité, la DMS, la qualité technique
des soins, la réponse aux attentes et le taux de rotation du
personnel infirmier. Un établissement est performant s'il fournit
une meilleure prise en charge, au moindre coût tout en assurant
la satisfaction des parties prenantes aux soins que sont les patients,
leurs familles, ainsi que les professionnels. L'hypothèse de cette
étude est qu'un bon management peut améliorer la
performance d'un service de soins intensifs.
Figure 5 : Les relations pratiques managériales et
performance143
Augmentation de la technologie
disponible
Spécialisation médicale
Equipe soignante : ratio infirmier /
patient élevé
Qualité des interactions soumises à : La culture
Le mode de communication et de
coordination
Le mode de résolution des conflits
Impact positif sur la performance ; Taux de mortalité ;
Durée moyenne de séjour ; Qualité technique
des soins ;
Réponse aux attentes des usagers ;
Taux de rotation du personnel infirmier ;
L'auteur cherche à déterminer l'existence des
pratiques organisationnelles permettant
d'améliorer la performance d'une unité de soins.
La structure organisationnelle est décrite en termes de technologie
disponible, de mode de division du travail, de composition de l'équipe
soignante et des modalités d'échange et de communication
entre les professionnels. Dans cette étude les éléments
de nature processuelle sont traduits par les modes de communication
et de coordination et les modes de résolution des
conflits. L'intérêt de cette étude réside dans
le fait qu'elle amorce une réflexion sur
l'influence des pratiques managériales sur la
performance des établissements de santé.
141 J.P. CLAVERANNE, « Couts et
Subsidiarité à l'hopital », Actes du colloque SNPHAR,
Djerba, 1-3
Novembre 2000.
142 S. SHORTELL et alii, « The Performance
of Intensive Care Units : Does Good Management make a
Difference ? », Médical Care, Vol.32, N°5,1994,
pp. 508-525.
143 Idem.
143
Indicateurs de performance
Les indicateurs de performance de ces
modèles reposent sur l'appréciation des professionnels de
la coordination interne : le degré d'information, de contrôle et
de suivi des activités à l'intérieur de l'organisation
d'une part et sur la validité des décisions prises d'autre part.
Notons que ces modèles sont adaptés aux cas d'activités
où il existe une forte asymétrie
de l'information. En effet, ces modèles posent
effectivement le problème de la prise de
décision dans les organisations de type bureaucratiques,
enfermées dans le cercle vicieux de la règle affectant la prise
de décision et freinant la réactivité144.
II.2.5 Synthèse des Modèles
Unidimensionnels de la performance hospitalière
Chacun de ces modèles d'appréciation de la
performance est utilisé pour qualifier l'activité
de l'hôpital. Cependant, ils évaluent la performance
selon la dimension retenue de celle ci.
Chacune des dimensions envisagées dans chacun des
modèles est légitime pour certains stakeholders. Or, il
arrive fréquemment que la maximisat ion d'une dimension conduise
à la dégradation d'une autre dimension. Il arrive un
moment où l'amélioration d'un critère de performance
passe par la dégradation d'un autre à cause de la
rareté des ressources, des intérêts implicites
divergents des stakeholders et de la force des externalités des
fonctions de l'organisation, des individus, des activités et des
processus. La définition de plusieurs dimensions parfois
antagonistes de la performance, et légitimes, conduit à
la nécessaire hiérarchisation des dimensions retenues. Cette
hiérarchisation repose sur des mécanismes de concertation et
constitue un véritable construit social.
144 J.C TARONDEAU, « la
transversalité dans les organisations ou le contrôle par
les processus », Revue
Francaise de Gestion, N°104, 1995, pp.112- 121.
144
Tableau 22 : Synthèse des modèles de
performance unidimensionnelle145
Types de modèles
|
M. des objectifs rationnels
|
M. des ressources
|
M. des relations humaines
|
M. des processus internes
|
Auteurs cités
|
Price (1972) Sherman, (1984) Magnussen (1996)
, Charnes et Cooper, (1978) Shortell et al
(1994)
|
Moisdon et
Tonneau, Durant
(1999), Grant
(1991), Barney
(1995), Cohen et
Levinthal (1990)
|
De Bettignes (1975), Bennis (1966)
|
Pascal (2000), Diridollou (1997), David (1998), Allison (1971)
|
Dimension principale de la performance
|
Atteindre les objectifs rationnels définis en termes
d'efficience productive.
|
Maximisation des ressources détenues.
|
Satisfaction des parties prenantes
|
« bons » processus de production
|
Critères de la performance
|
Efficacité et efficience productive, optimum de
Paréto.
|
Equipements et compétences détenus
|
Climat social
|
Respect des processus de production et des standards, processus
de
décision fluides
|
Indicateurs de performance
|
Nombre de journées et d'entrées, durée
moyenne de séjour, rapportés au nombre de lits.
|
Taux d'équipement et coefficient de
vétusté, parts de marché.
|
Taux de rotation du personnel, emplois, indicateurs de
satisfaction.
|
Existence de processus formalisés respectant la
standardisation ; qualification des décisions
|
Leviers
d'action
|
Agir sur la quantité d'intrants et d'extrants.
|
Stratégie politique, négociation, apprentissage
organisationnel
|
Recherche de congruence entre le fonctionnement de
l'établissement et les valeurs des parties
prenantes, concertation, implication dans la décision
|
Formalisation des processus de production et de
décision,
définition des rôles et des taches de chacun
|
Intérêts
|
Aisément appréhendable et opérationnel
|
Explication de la tendance des établissements à
vouloir plus de ressources
|
Cette dimension n'est pas négligeable et doit être
prise en compte dans l'organisation hospitalière
|
Enjeu important du processus de décision dans
l'organisation sanitaire
|
Limites
|
Caractère quantitatif et obtention de résultats
différents selon les
méthodes utilisées.
|
Logique de toujours plus.
|
L'activité de l'hôpital,
pour contribuer à la performance du système
engendre des contraintes incontournables pour les parties prenantes.
|
La définition de standards rigidifiant les
comportements
|
Chacune des dimensions de la performance étant
légitime, on ne peut fournir un modèle
unidimensionnel unique de la performance, supérieur aux
autres. C'est pour cette raison que nous présentons les modèles
de performance combinant plusieurs dimensions d'évaluation.
145 Ce tableau est extrait de Alice TEIL, «
Défi de la performance et vision partagée des acteurs,
application à la gestion hospitalière », Thèse
à l'Université Jean Moulin, Lyon 3, 2002, p.229.
145
|