1.A.1.b. Fonctions de l'agent.
Sa fonction essentielle est de prospecter et de
dénicher à temps tout joueur talentueux, star montante du
football dans sa région géographique. Celle-ci couvre, à
quelques exceptions près, les limites territoriales d'une ville ou d'une
province ayant dans son championnat d'équipes de football. Ce genre
d'agent, à travers lequel la plupart des équipes riches
opèrent sur des terrains même des pays lointains de leurs, est
différent d'un autre qui, lui, est détenteur d'une licence de la
FIFA.
1.A.1.c. Comportement des agents commissionnés
et portée de l'internationalisation.
Au regard de la méthode mise sur pied, en l'occurrence
l'entente « illicite » entre embaucheurs des joueurs du
Tiers- Monde et leurs anciens sociétaires, l'on peut se demander si les
transferts effectués de cette manière-là sont licites, et
comptabilisés ou si on peut considérer cette opération
comme étant un transfert. A notre avis, la négative s'impose.
Car, à première vue, qui dit transfert, au sens de la FIFA et de
ses affiliées, dit contrat signé entre deux clubs de football.
Le joueur n'est pas subtilisé en catimini. En effet,
réalisant clandestinement leurs activités, certainement, en marge
des lois et règlements sportifs établis, les agents
commissionnés, appelés aussi recruteurs officieux, voient se
confirmer cet autre attribut dont la péjoration n'est pas du tout
exagérée. Ils expérimentent autrement la
réalité du mercato, déjà examiné. S'ils
n'ont pas la carte de visite d'un grand club local de football, pour voiler
à peine l'image de négrier qui le colle à la peau, ces
agents, forts des avantages en argent que leur job leur procure,
s'établissent vite dans des réseaux, où peuvent se
retrouver facilement, les officiels de la fédération nationale du
football, les envoyés spéciaux du Ministre des sports et certains
dignitaires du pays qui servent de paravent en cas du démaquillage de
ces pratiques.
Puisque souvent, les assurances offertes par l'agent à
son club, à propos de sa recrue, peuvent s'avérer moins
concluantes par la suite, il est fréquent de constater que, une fois en
Europe, le jeune joueur qui se prédestinait à une carrière
prestigieuse dans son pays d'origine, se retrouve abandonné dans la rue
et condamné, malgré lui, à la clandestinité
forcée. Ici, nous posons donc la problématique de la
requalification du marché d'achat et de vente des jeunes joueurs par
des hommes dont le statut non réglementé par le droit national
reste en tout cas peu reluisant. Ils sont de véritables faiseurs de
« clandestins du football international ».
En lisant la correspondance ci-dessous de Cecilia GABIZON
(1998), seuls les sceptiques pourraient sous-estimer l'ampleur
planétaire de ces pratiques, aux imperfections désastreusement
élaguables : « Au Brésil, la chasse aux talents
juvéniles est un sport de haut niveau. Sergio, 14 ans raconte : `
je venais de terminer un match dans mon bled, dans le Mato Grosso, lorsqu'un
homme a proposé de m'emmener à Rio, pour jouer au club du Vasco'.
Ses parents, camelots, ont tout de suite accepté, trop heureux
d'imaginer une vie meilleure pour leur fils. Depuis un an, Sergio partage un
dortoir dénudé avec vingt autres gamins de tout le pays.
Pensionnaire du Vasco de Gama, champion du Brésil, sa vie se
réduit au ballon et au rêve : `la route de la gloire est
longue. On doit sûrement avoir oublié d'où l'on vient quant
on y arrive'. Comme dans toute transaction spéculative, le drame des
joueurs sur ce marché rime avec la jubilation des intermédiaires.
`Sans intermédiaire, personne ne peut y arriver', glisse Sergio, en
regardant son découvreur. Ercy Rosa, la cinquantaine, sourire
fatigué et Ray Ban clinquant, se proclame évaluateur technique.
Depuis plus de trente ans, il dispose d'un réseau d'observateurs qui
l'appellent dès qu'apparaît un gosse doué. Parfois, Ercy se
déplace, jauge le potentiel de l'enfant et se charge de convaincre les
parents. Une simple carte de visite aux couleurs du Vasco de Gama suffit
souvent à les impressionner. ` je ne propose pas d'argent. Mais,
j'offre à leur enfant le toit, le couvert, les soins médicaux et,
surtout, la possibilité de devenir un grand joueur'. Ils sont des
milliers au Brésil à exploiter ainsi la misère et l'amour
du foot. Car, si les gosses ne voient pas encore la couleur de l'or, les
découvreurs tel Ercy perçoivent des sommes importantes pour les
petits les plus talentueux. ` Je vends un attaquant comme Sergio pour 3000
dollars. Un arrière ira chercher dans les 15.000. Les plus
recherchés sont les buteurs entre 14 et 16 ans'. Depuis Ronaldo, les
prix ont brutalement grimpé au Brésil, car les clubs craignent de
laisser échapper la perle rare. Pour avoir
refusé de payer les tickets de bus de l'ado Ronaldo, le Flamengo a perdu
le prodige, retourné jouer dans la banlieue ouvrière de Rio. Peu
de temps après, deux entrepreneurs, Reinaldo Pitta et Alexandre Martins,
l'ont découvert dans son club de São Cristovão. Il avait
14 ans et valait 7 500 dollars. Malins, ils ont obtenu
une délégation des parents leur assurant un statut de tuteurs.
Aujourd'hui, Ronaldo entretient près de 40 personnes au pays. Ses
imprésarios héritent de coquettes commissions à chaque
transaction et gèrent avec profit son image. L'histoire n'est pas
toujours aussi heureuse. Sur 1 000 gamins doués, un ou deux seront des
cracks ; une poignée, des joueurs pro ; les autres retourneront à
la vie normale, «un grand rêve en moins», commente Eduardo, 17
ans. Il a quitté Bahia et sa famille il y a un an, attiré
à Rio par un découvreur véreux. Le jour où il s'est
blessé, le club où il était à l'essai et le passeur
l'ont abandonné. Depuis, il s'entraîne sur un terrain vague et
n'ose pas rentrer chez lui les mains vides. Dans ce négoce sans contrat
ni règles établies, les clubs se soucient peu des
éclopés. Pour éviter de se faire voler un futur champion
par un concurrent, ils préfèrent accueillir de nombreux
mômes, pour la plupart acquis avec trois sous d'aide à la famille
et un petit chèque au découvreur. Romario, Carlos Germano,
Edmundo, entre autres, sont issus de la filière du Vasco. «Un
joueur de talent vaut au moins 10 millions de dollars. Cela couvre les
dépenses de fonctionnement de mes sections amateurs pendant six
ans», calcule Darcy Peixoto, le dirigeant du club. Jota Jota, un
bénévole, accueille gratuitement des
jeunes des bidonvilles au bord de la plage de Rio. Il ironise: «On est
obligé de vendre nos enfants. Ici, ils ont très peu de chances de
s'en sortir. Heureusement que Dieu a eu une illumination quand il a
créé le football. Il a donné le talent aux pauvres.».
Les filets de tels agents n'ont épargné les
jeunes talents surtout d'Afrique, car, comme le rapporte La Gazetta dello
Sport ( 1998, p. 5) « plus de 300 joueurs professionnels africains
jouent dans des clubs européens (dont 90% en France) :
nigérians, ghanéens, zaïrois, algériens, camerounais,
libériens ou angolais. »
Malheureusement, il se constate fréquemment que
certains clubs de football africains desquels on attendrait bien
évidemment le lancement d'un véritable partenariat avec des
équipes des pays voisins, raffolent des tranferts illicites. La
stratégie mise en place offre souvent un spectacle comme celui-ci :
ils placent dans des pays réputés
« pépinières » des joueurs talentueux des
recruteurs officieux, qui leur servent d'intermédiaires, rien que pour
leur fournir à vil prix, certainement, des jeunes footballeurs du pays
dont ils sont également originaires.
Dans la plupart des cas, ces clubs appartiennent aux
sociétés pétrolières ou celles ayant investi dans
des secteurs qui leur confèrent une importance bien réelle. Ainsi
la République Démocratique du Congo alimente-elle les
équipes des compagnies pétrolières d'Angola, du Gabon et
les équipes des sociétés minières de la Zambie.
1.A.1.d. Les transferts des joueurs congolais
opérés par des recruteurs officieux.
Selon le journal L'Avenir, un quotidien paraissant à
Kinshasa (édition du 27 novembre 2000), qui cite à son tour le
journal Vision, toujours du marché de la presse kinoise (édition
du 23 novembre 2000) « des transferts des joueurs congolais,
évalués à 461.000 $ US sont négociés en
Angola ». Le journal a publié la liste partielle des
négociateurs avec, au regard de chaque nom, le montant du transfert.
Toutefois, l'interrogation par les deux journaux sur le fait de savoir si le
trésor public et la fédération avaient pu percevoir leurs
pourcentages respectifs sur toutes ces transactions jette un doute réel
sur la licéité desdits transferts. Donc, la thèse de
transferts illicites et de recrutements officieux se taille bien d'un pousse
son chemin de confirmation. Dans le cas du Congo, la facilité avec
laquelle les jeunes joueurs acceptent volontiers de s'en aller vers l'eldorado
d'une part, et l'ineficacité des mesures prises par les autorités
politiques et administratives tendant à contrecarrer ces départs
massifs tiennent au fait que sans politique d'emploi ni d'encadrement des
jeunes, voire de toute la population active nationale, aucune concession pour
convaincre les jeunes à rester au pays n'est possible. D'ailleurs, bien
qu'à l'étranger, les joueurs qui arrivent à y
émerger contribuent à leur manière à la survie de
leurs familles vivant au Congo.
Tableau VIII. Liste partielle des négociateurs
des transferts des joueurs congolais évoluant en Angola.
1. Madilu Patcheli.
Noms des joueurs
|
Ancien club
|
Actuel club
|
Montant de transfert
|
Mazowa
|
Sodigraf (Kinshasa)
|
Dagosto
|
12.000 $ US
|
Sifwa
|
Sodigraf
|
Sagrada
|
8.000 $ US
|
Kisolokele
|
Sodigraf
|
Academia
|
6.000 $ US
|
Kabo Makabi
|
Sodigraf
|
Rangol
|
12.000 $ US
|
Gina Isomboma
|
Sodigraf
|
Progreso
|
12.000 $ US
|
Mukuenza
|
Etoile
|
Rangol
|
15.000 $ US
|
|
Sous-total :
65.000 $
US
2. Edouard Kiaku Mbuta.
Diboko Jean Bosco
|
Matonge
|
Tombua
|
12.000 $ US
|
Le Petit
|
Mabuilu
|
Tombua
|
14.000 $ US
|
Franc
|
Union
|
Tombua
|
10.000 $ US
|
Tintin
|
Kalamu
|
Tombua
|
10.000 $ US
|
Banyengele
|
Sapatra
|
Progreso
|
7.000 $ US
|
Mbala Lide
|
Dragons
|
Rangol
|
16.000 $ US
|
Mbila
|
Sodigraf
|
Dagosto
|
18.000 $ US
|
Isaac
|
Kintambo
|
Dagosto
|
15.000 $ US
|
Guy
|
Sodigraf
|
Petro Atletico
|
20.000 $ US
|
Mukinza
|
Etoile
|
Rangol
|
15.000 $ US
|
Goliat
|
Matonge
|
Dagosto
|
12.000 $ US
|
Jean-Claude
|
Bilima
|
Sonangol
|
15.000 $ US
|
Libiza Alain
|
Jeek
|
Sonangol
|
15.000 $ US
|
Yaba
|
Matonge
|
Sonangol
|
12.000 $ US
|
Kande
|
Lupopo
|
Sonangol
|
10.000 $ US
|
Hero
|
Mabuilu
|
Sonangol
|
10.000 $ US
|
Fofana Guy
|
Matonge
|
Sonangol
|
12.000 $ US
|
Nzazi Bandimi
|
|
Sagrada
|
8.000 $ US
|
Tubilandu
|
Sapatra
|
Sagrada
|
15.000 $ US
|
|
Sous-total :
246.000 $
US
3. Fonte-Nova
Mbiyavanga
|
Motema Pembe
|
Petro Atletico
|
15.000 $ US
|
Akobolo
|
Kalamu
|
Dagosto
|
10.000 $ US
|
Chalana
|
Utexafrica
|
Dagosto
|
8.000 $ US
|
Serdade
|
Style du Congo
|
Sonangol
|
12.000 $ US
|
Ayembe
|
Bingo
|
Sonangol
|
14.000 $ US
|
Ninja
|
Style du Congo
|
Sonangol
|
8.000 $ US
|
Lebo
|
Motema Pembe(Kin)
|
Tombua
|
12.000 $ US
|
Morile
|
Union(Kinshasa)
|
Academia
|
7.000 $ US
|
Zola
|
Utexafrica
|
Academia
|
10.000 $ US
|
Ebola
|
Nika (Kisangani)
|
Academia
|
10.000 $ US
|
Ebola Dady
|
Matonge (Kinshasa)
|
Inter
|
8.000 $ US
|
|
Sous-total :
124.000 $
US
4. M. Lakijo
Ndjoli Kapesa
|
Sodigraf
|
Inter
|
5.000 $ US
|
Lukaka Papy
|
Kintambo
|
Inter
|
6.000 $ US
|
Ndola
|
Kintambo
|
Dagosto
|
15.000 $ US
|
Sous-total :
26.000 $
US
Total général :
461.000
$ US
Source : Journal L'Avenir, édition du 27 novembre
2000
Remarque :
Il est vrai que les transferts des joueurs, illicites et
licites, entre la République Démocratique du Congo et l'Angola
sont fréquents, et s'étalent sur plusieurs années en
arrière. Cependant, même si les journaux cités ne donnent
pas les années de références au cours desquelles ces
opérations se sont déoulées, il est fort probable que
l'information ainsi livrée serait proche de la véritable, car les
personnes nommémént désignées comme
négociateurs sont notoirement connues du milieu sportif congolais en
général, et kinois en particulier. Mais rien ne permet de croire
que les transferts des sportifs congolais ne s'opèrent que dans le
football. Le baskett et les arts martiaux sont souvent victimes de ce qui ne
serait pas loin d'une razzia. Peu élogieux, le profil du recruteur
officieux s'oppose, ne serait-ce que sur le plan des principes, à celui
de l'agent licencié de la FIFA.
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