La coopération policière pour la lutte contre la cybercriminalité au sein de l'UEMOA: bilan et perspectives (2010-2020)par Kydenlu Justin BATIONO Université Libre du Burkina - Master II en Diplomatie et Relations Internationales 2023 |
1.3.2.2. Les formes de coopération policière contre la cybercriminalitéDe la littérature existante, de nombreux auteurs ont analysé les formes de coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale. Dans un article publié en 2016, Benoit DUPONT s'est intéressé à la coopération internationale contre la cybercriminalité. Il donne sa lecture de la gouvernance polycentrique du cybercrime. Dans cet article, il passe d'abord en revue les modèles de coopération policière qui existaient avant le XIXe et XXe siècles que sont la privatisation, la bureaucratisation et l'hégémonie avant d'analyser la forme récente de la coopération policière mise en place pour lutter contre la cybercriminalité. DUPONT affirme 13 9 ONU, 2015, conférence des parties à la convention des nations unies contre la criminalité transnationale organisée, 17 pages. 10 Ibid. que les modèles antérieurs en vigueur au XIXe et aux XXe siècles (privatisation, bureaucratisation et hégémonisme) semblent avoir cédé la place, pour cette forme de délinquance du moins, à un assemblage d'acteurs et de modalités relationnelles qui restent encore largement à étudier. Privatisation et bureaucratisation ont ainsi fusionné pour donner naissance à des configurations hybrides où agences gouvernementales, organisations internationales, entreprises et ONG tissent des liens collaboratifs afin d'échanger ressources et compétences11 . Dans sa thèse en vue de l'obtention du grade de Philosophie doctor (Ph.D) en criminologie, Chantal PERRAS s'est intéressée à la souplesse et à la méfiance dans la coopération policière transnationale. Pour elle, la coopération policière transnationale comprend deux (02) champs ayant des intérêts et des habitus opposés. D'un côté, elle distingue les professionnels de la politique et les politiques publiques transnationales et de l'autre, les actes posés par les agents du policing sur le plan opérationnel au niveau transnational. C. PERRAS définit le concept de policing de la façon suivante : « Le fait pour les agents de l'enquête à composantes transnationales et/ou des différents systèmes de justice, de collaborer opérationnellement avec au moins un agent d'un autre pays, souvent temporairement, dans le but de contrer une activité criminelle spécifique à caractère transnational, comme le trafic de stupéfiants et le terrorisme. Cela inclut les activités des agents de liaison, en excluant leur rôle diplomatique »12. Dans sa recherche, elle va encore plus loin en établissant une distinction entre l'approche européenne de la coopération policière et celle nord-américaine. Pour elle, le succès de la coopération policière européenne est lié à l'existence de multiples cadres légaux et politiques. Pour les Etats européens, la réussite de la coopération policière doit être basée sur le devoir de réciprocité et non sur l'échange volontaire de renseignements et d'informations policières. Ainsi, les Etats européens pensent que la réussite d'une telle coopération est intrinsèquement liée à l'existence de conventions légales et à l'harmonisation des lois criminelles. Les contraintes et les sanctions ne peuvent être utilisées qu'en dernier ressort. Par contre, l'approche nord-américaine est beaucoup fondée sur les pratiques et les points de vue des agents du policing transnational, plutôt que sur les façons de penser des politiques et les règles diplomatiques parfois complexes. Cette approche considère les règles diplomatiques comme nombreuses et rigides13. 11 DUPONT (Benoît), 2016 « La gouvernance polycentrique du cybercrime : les réseaux fragmentés de la coopération internationale », in http://conflits.revues.org/19292, consulté le 01 septembre 2022 à 08h ; 14 12 C. PERRAS, 2011, Souplesse et méfiance dans la coopération policière transnationale, Thèse de doctorat en criminologie, Université de Montréal, page 14. 13 Ibid. PITAH SAMAH Hézouwè s'est aussi intéressé à la question de la cybercriminalité en Afrique en se basant spécifiquement sur le Togo. Dans son mémoire de Master professionnel en droit pénal et science criminelle, l'auteur a énuméré les types de criminalité sur internet et évoqué les technologies comme l'objet de la cybercriminalité. Il a également passé en revue les types de coopérations existantes pour contrer la cybercriminalité. En cela, l'auteur a analysé deux (02) types de coopérations qui sont : la coopération transnationale et la coopération entre les services compétents. Concernant la coopération transnationale, l'auteur a distingué la coopération communautaire qui englobe celle menée au sein du continent africain entre les Etats et en dehors du continent africain, de la coopération judiciaire qui se résume à la poursuite des infractions et à l'utilisation des juridictions. Quant à la coopération entre les services compétents, il a distingué la coopération formelle de la coopération informelle. La coopération formelle est celle qui est fondée sur des mécanismes juridiques contraignants, obligeant les Etats à coopérer en matière d'extradition et d'entraide judiciaire. Ces mécanismes juridiques peuvent être régionaux ou internationaux. C'est l'exemple de la convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité (convention de Budapest), la convention de l'Union africaine contre la cybercriminalité (convention de Malabo), la convention de la ligue des Etats arabes, la directive de la CEDEAO porte lutte contre la cybercriminalité dans l'espace de la CEDEAO. La coopération informelle renvoie aux communications informelles entre les services de police ou les organismes de lutte contre la cybercriminalité. Il s'agit des communications qui sont parfois faites entre services compétents avant qu'une demande d'entraide formelle ne soit présentée à une autorité compétente. La convention de Budapest, la convention Malabo et la convention de la ligue des Etats arabes ont prévu des mécanismes de coopération informelle14. 1.3.3- Définition des concepts -Cybercriminalité La cybercriminalité a fait l'objet de plusieurs définitions. Pour M. CHAWKI, la cybercriminalité peut être définie comme « toute action illicite associée à l'interconnexion des systèmes informatiques et des réseaux de télécommunication, où l'absence de cette interconnexion empêche la perpétration de cette action illicite »15 . 14 PITAH SAMAH (Hézouwè), 2017, la cybercriminalité en Afrique : contribution à l'étude du cas du Togo, mémoire de master professionnel en droit pénal et science criminelle, Université de Parakou, page 60. 15 CHAWKI Mohamed, 2006, « Essai sur la notion de cybercriminalité », 36 pages, repéré sur iehei.org, consulté le 20/06/2022 à 18h. 15 Pour E. FILIOL et P. RICHARD, le terme cybercriminalité regroupe trois types d'infraction différents :
-Criminalité informatique L'OCDE a défini l'infraction informatique comme étant tout comportement illégal, immoral ou non autorisé qui implique la transmission et/ou le traitement automatique de données. Elle a ainsi défini un crime informatique (computer-related crime) comme un délit pour lequel un système informatique est l'objet du délit et/ou le moyen de le réaliser, c'est un crime lié aux technologies du numérique qui fait partie de la criminalité en col blanc 17. Pour M. CHAWKI, une différence existe entre la cybercriminalité et la criminalité informatique. La criminalité informatique représente « toute action illicite perpétrée à l'aide d'opération électronique contre la sécurité d'un système informatique ou de données qu'il contient, quel que soit le but visé »18 alors que la cybercriminalité au sens strict du terme s'entend de l'ensemble des infractions commises à l'aide ou contre un système informatique connecté au réseau de télécommunication. Pour lui, le champ de la cybercriminalité est beaucoup plus vaste puisque, outre les atteintes contre les biens informatiques réalisables au moyen de l'Internet ; elle recouvre également de nombreuses infractions contre les personnes 16 FILIOL (Eric), RICHARD (Philippe), 2006, cybercriminalité, enquête sur les mafias qui envahissent le web, Paris, éd. Dunod. page 01. 16 17 UNODC, 2010, une coopération internationale insuffisante permet aux cybercriminels de s'en tirer à bon compte, 2 pages. 18 CHAWKI (Mohamed), 2006, op. cit. , p.15. et les biens qui peuvent être commises sur le réseau. Dans cette optique, la criminalité informatique et la cybercriminalité ont un domaine commun lorsque des infractions informatiques sont commises par l'usage du réseau de télécommunication. Mais toute infraction informatique n'est pas forcément commise au moyen d'un réseau de télécommunication. Et toute infraction commise au moyen d'un réseau de télécommunication n'est pas systématiquement une infraction informatique. -Coopération policière Certains auteurs ont tenté de donner une définition de ce concept. Leboeuf, quant à lui, considère la coopération policière transnationale comme « un concept très large, généralement associé à la signature de traités et de protocoles d'entente entre des gouvernements nationaux et internationaux ou des institutions publiques »19. Mais cette définition semble incomplète car elle limite la coopération policière transnationale au cadre formel tout en occultant la collaboration informelle qui peut exister entre forces de police internationale. Pour B. DUPONT, il faut voir la coopération policière internationale comme étant le fruit de la coévolution à un moment spécifique de formes particulières de délinquance (ou de problèmes sociaux criminalisés) faisant abstraction des frontières administratives d'un ou de plusieurs pays, d'une part, et des capacités institutionnelles et techniques des États pour prendre collectivement en charge ces phénomènes de manière adéquate, d'autre part 20. Dans ce chapitre, nous avons abordé le contexte dans lequel notre étude a été menée suivi d'une justification de cette étude. Nous avons traité de la problématique de cette étude à travers laquelle nous avons dégagé la question principale de cette étude suivie des questions spécifiques. Les questions de recherche nous ont permis de dégager une hypothèse principale et des hypothèses spécifiques. Par la suite, nous avons évoqué la conceptualisation et la revue de littérature. La conceptualisation nous a permis d'inscrire notre recherche dans un des courants de pensée en relations internationales qui est la conception libérale. La revue de littérature a consisté à analyser les multiples travaux scientifiques existants sur notre thématique. Nous avons terminé ce chapitre par la définition de quelques concepts liés à notre thématique. 19 C. PERRAS, 2011, op. cit., p.14. 17 20 DUPONT (Benoît), 2016, op. cit., p.14. 18 Cela nous permet de nous appesantir sur les techniques de collecte et de traitement de données pour répondre à nos différentes hypothèses et de définir le cadre spatial et temporel de notre étude. L'objet du chapitre suivant est le cadre méthodologique de notre étude. |
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