6.1.3. Les limites stratégiques
Une coopération policière approfondie dans le
domaine de la cyber sécurité oblige les forces de police à
échanger de façon franche des informations sur leur
environnement, leur stratégie et leurs capacités. Or ces
informations peuvent être utilisées pour nuire aux
intérêts des Etats.
La question de la cybercriminalité oblige à
redéfinir la notion de l'ennemi. La difficulté de
déterminer avec exactitude l'identité du cybercriminel qui est
caché derrière un ordinateur pour commettre des actes
malveillants justifie la méfiance des services de sécurité
à aller à une franche collaboration. Les actes cybercriminels
peuvent être commis aussi bien par des particuliers pour leur propre
compte que les agents agissant au compte de leur Etat. L'internet a ouvert de
nos jours la porte à l'espionnage. Les multiples attaques informatiques
subies par certains Etats dans le monde aujourd'hui corroborent cela.
Les intérêts nationaux ont constitué un
frein à la coopération policière contre la
cybercriminalité entre 2010-2020 dans la zone UEMOA. Les services de
police des différents Etats ont manifesté une certaine
réticence quant aux partages des informations liées à la
cybercriminalité. Les raisons évoquées par l'ensemble des
personnes interviewées reposent sur le secret d'Etat. La majeure partie
des policiers pense que le partage de leurs renseignements avec leurs
homologues d'autres pays, est une façon indirecte de partager les
secrets de leur Etat avec des étrangers. L'élément
fondamental dans les relations interétatiques repose sur la confiance.
En clair, le manque de confiance entre les forces de police de la zone UEMOA a
annihilé leur coopération afin de faire face à la
cybercriminalité.
6.1.4. Les autres entraves
Ces entraves sont, entre autres, la corruption, le coût
des investigations de la cybercriminalité et la protection des
nationaux.
En tant que fléau gangrenant la société
africaine, en général, et la zone UEMOA, en particulier, la
corruption a également constitué un frein à la
coopération policière contre la cybercriminalité. De tous
les entretiens que nous avons eus, il est clairement ressorti que la corruption
a contribué à faire échouer beaucoup d'enquêtes
policières durant la période étudiée. Les agents
chargés de mener les enquêtes préfèrent recevoir des
pots de vin de la part des cybercriminels afin de ne pas conduire en bonne et
due forme l'enquête. Cette corruption peut se justifier par le fait
que
78
les agents de police chargés de faire les
investigations dans leur pays au bénéfice de leurs homologues
étrangers le font sans aucune rémunération.
Le coût des investigations est aussi un
élément qui a entravé la coopération
policière contre la cybercriminalité. La conduite d'une
enquête de ce genre exige de gros moyens financiers afin d'aboutir
à des résultats probants. Or les demandes d'entraide
policière se font sans accompagnement financier de la part des services
de police requérants. Ces derniers comptent sur la bonne volonté
et l'engagement de leurs homologues étrangers pour obtenir les
résultats. Avec la modestie des moyens de la quasi-totalité des
forces de police de la zone UEMOA, il s'avère difficile de
débloquer un gros montant pour conduire une enquête pour laquelle
on ne tire qu'un intérêt moral. La non-opérationnalisation
des structures spécialisées de lutte contre la
cybercriminalité (à l'image de la BCLCC au Burkina Faso) dans
tous les Etats de l'UEMOA avec un budget propre consacré aux
investigations cybercriminels peut justifier une telle entrave. Le
caractère supranational du réseau internet fait que les
enquêtes policières exigent de gros moyens afin de localiser avec
exactitude les cybercriminels. Comme l'affirme le responsable de la
coopération policière de la BCLCC : « nous sommes face
à des situations complexes ; les cybercriminels agissent en bande
organisée. En ce qui concerne l'escroquerie en ligne, l'infraction peut
être commise par exemple au Bénin, les victimes sont des
Burkinabè et le retrait des fonds se fait en Côte d'Ivoire. Pour
pouvoir réunir toutes les preuves, il faut beaucoup de moyens financiers
»86.
La protection des nationaux est un élément qu'on
peut ranger dans la défense des intérêts nationaux. Par
protection des nationaux, il faut entendre le fait que les agents de police de
certains pays refusent parfois de collaborer lorsque leurs nationaux sont
impliqués dans la commission de l'infraction cybercriminelle, objet de
l'enquête. Et cela est récurrent dans la plupart des recherches
policières supranationales. Bref, le sentiment d'appartenance nationale
a impacté et continue d'impacter négativement la
coopération policière face la cybercriminalité dans la
zone UEMOA.
Au vu de ces limites, des perspectives peuvent être
dégagées afin de renforcer cette coopération.
86 Entretien à la BCLCC le 16/06/2022 à
10h.
6.2. Les perspectives
Trois (03) grandes recommandations ont été
élaborées. La mise en oeuvre de ces recommandations peut
permettre d'avoir une coopération policière efficace. Ce sont
:
-l'harmonisation des législations nationales ;
-la création d'un espace numérique UEMOA et la mise
en place d'une unité cyberpolice UEMOA ;
-la création du mandat UEMOA d'obtention de preuve.
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