Est entendue par «Secondary Supply«, des
chaînes d'approvisionnement complémentaire à la
chaîne principale. Il s'agit ainsi de potentielles ressources en lithium
qui ne seraient pas issues des gisements conventionnels. Je m'interroge donc
dans cette partie sur les procédés pouvant supporter la demande
aux côtés de la production provenant des mines et des salars.
Suite à mes recherches, j'ai pu identifier des technologies des
processus requérants moins de lithium dans la confection des batteries
ou encore des technologies d'extractions permettant une meilleure concentration
du lithium depuis les salars mais toutes ces technologies n'ont pas de
débouchés avant l'horizon 2030. Me concentrant sur des
procédés pouvant avoir un réel impact dans des
stratégies de prévention de pénurie sur le lithium, j'ai
pu identifier deux sources d'approvisionnement secondaire.
Le Recyclage
On pense à tort qu'aucune filière de recyclage
n'est mise en place pour récupérer les minerais critiques dans
les objets électroniques. Or, de nombreuses entreprises sont
présentes sur ce marché depuis de nombreuses années, tel
que Suez, Morphosis, Paprec, Cnim, Veolia, Ara Co, Recylex, Solvay, Snam, Sims
Recycling Solutions, Glencore, Metal Conversion Technologies ou encore
Ecosystem. Le traitement des déchets a été de tout temps
un enjeu majeur pour les gouvernements qui, depuis les années 2000, ont
mis en place des législations pour réguler le traitement des
objets électroniques et faire porter aux fabricants les
responsabilités quant au cycle de vie de leurs produits. L'Union
Européenne a annoncé plusieurs réformes dans ce sens.
Dès 2003, la directive DEEE ( Déchets d'équipements
électriques et électroniques) impose aux entreprises
détentrices de ce type de produits de les trier et de les recycler, sous
peine d'amende.55 Dans une démarche
55 Réglementation DEEE et handicap
36
encore plus engagée, l'UE adopte en 2015 et renforce en
2023 le «Circular Economy Action Plan»56. Ce plan
stratégique vise à augmenter le taux de recyclage des
différents déchets, plastiques, électroniques, textiles ou
encore alimentaires.
L'Europe n'est pas la seule à déployer une
nouvelle stratégie de traitement de ce domaine. Parmi les plus gros
émetteurs, la Chine, qui émet beaucoup de déchets mais se
trouve aussi être très en avance sur la gestion et le recyclage de
ces derniers. Depuis 2018, la Chine est l'un des plus grands producteurs et
recycleurs de déchets électroniques au monde. Cette même
année, la Chine a adopté les mesures «Interim Measures for
the Management of Recycling and Utilization of Power Batteries of NEVs «
et «NEV Power Battery Provisional Regulation on the Administration of
Collection and Utilization»57, imposant un système de
traçabilité des batteries, encourageant le recyclage et
créant un nouveau label. Le gouvernement Chinois désigna 5
entreprises ( il est question maintenant d'une quarantaine d'entreprises)
habilitées à recevoir les matières dangereuses et qui
deviendront alors responsables du recyclage, tel que Quzhou Huayou Cobalt New
Materials, GHTech ou encore Ganzhou Highpower Technology.
Bien que les acteurs du recyclage soient, comme nous avons pu
le voir, portés par des réglementations fortes des pouvoirs
publics, ils restent cependant en marge des chaînes d'approvisionnement
des concepteurs de batteries. Cela s'explique par la qualité
inférieure des matières recyclées ainsi qu'un coût
de production égal voire supérieur aux minerais extraits depuis
les exploitations.
Il existe plusieurs procédés de recyclage mais les
deux principales sont58 :
- Les procédés pyrométallurgiques :
consistant à enfourner les matières à recycler,
séparer les métaux rares lors de la fonte et procéder
à un nouveau raffinage par électrométallurgie. Il s'agit
de la méthode la plus employée pour recycler des métaux.
Cependant, ce processus ne permet pas de récupérer le lithium et
entraîne donc une perte de ressource importante.59
- Les procédés hydrométallurgiques :
consistant à dissoudre les métaux à recycler dans des
bains d'acides ou des bases hydriques pour les séparer des
différents
56 Circular economy action plan (
europa.eu)
57 LES ENJEUX DU RECYCLAGE DES BATTERIES EN 10
QUESTIONS - Arval Mobility Observatory - 2022 , p.103
58 Les procédés de recyclage -
Corepile
59 Batteries lithium-ion : ces projets
industriels de recyclage qui émergent en Europe - Usinenouvelle - 2021
éléments. Les investissements
nécessaires en équipements et agents chimiques rendent les
procédés hydrométallurgiques généralement
plus coûteux que leur homologue pyrométallurgique. Cependant, ils
sont moins polluants, ont un impact environnemental réduit et permettent
de récupérer une proportion plus élevée de
métaux, et notamment le lithium.60
D'autres procédés tels que la
bioprécipitation ( usages d'agents biologiques comme des champignons,
algues etc ), l'extraction par électrochimie ou encore le fissurage
thermique des déchets électroniques existent mais restent
anecdotiques.
Certaines entreprises proposent des nouvelles méthodes
alliant plusieurs procédés, tels que Li-Cycle ou encore Umicore.
Ce dernier, par exemple, lie pyro et hydrométallurgiques pour proposer
un procédé permettant de recycler plus de 70 % du lithium
présent dans les batteries. L'entreprise prévoit d'ouvrir la plus
grande usine de recyclage de batterie en Europe dès 202661.
Li-Cycle, quant à eux, propose une méthode permettant d'aller
jusqu'à 95 % de récupération des métaux au sein des
batteries. Présent en Amérique du Nord, ils ont pour projet de
s'étendre en Europe et s'implante déjà en Allemagne. Ils
estiment ainsi pouvoir produire entre 6.5 et 7.5 ktpa de LCE.62
Comme nous pouvons le constater ci-dessous, une trentaine
d'installations sont réparties dans le monde, avec une grande
concentration en Europe et en Chine. Cependant, il est difficile d'identifier
le volume de lithium produit à travers ces processus de recyclage.
37
60 Electronic waste generation, recycling and
resource recovery: Technological perspectives and trends - ScienceDirect -
Chapter 3.2
61 Umicore Battery Recycling - Umicore
62 Annual report - Li-Cycle - 2022 , p23
38
Installations établies et planifiées de
recyclage de batteries lithium-ion à travers le monde en novembre
202163
En effet, il est estimé que seulement 5 % des
batteries sont recyclés dans le monde64. Le Lithium ne
représentant que 2 % du poids total d'une batterie65, il
s'agit là d'une proportion extrêmement faible. Christel Bories,
présidente du Comité stratégique de filière miniers
et métallurgiques, indique lors d'une interview au journal «Le
Parisien» qu'il est attendu 50 000 tonnes de batteries à recycler
à l'horizon 202766, représentant un potentiel de 7.5
kt de lithium67. Ce quotidien estime que ce chiffre pourrait
s'élever à 700 000 de batteries à recycler en 2035.
Ainsi, le recyclage représente une solution certaine
pour prévenir des potentielles pénuries sur les chaînes
d'approvisionnement principales. Cependant, les batteries lithium
63 les technologies de recyclage des batteries
lithium-ion - CAS Solutions - 2021
64 Research Plan to Reduce, Recycle, and Recover
Critical Materials in Lithium-Ion Batteries - U.S. Department of Energy - 2019
, p.7
65 L'empreinte écologique des batteries -
Révolution Energétique - 2020
66 Véhicules électriques: 700
000 tonnes de batteries à recycler en 2035 - Le Parisien
67 Conversion faite sur base de l'article A Review
on Environmental, Economic and Hydrometallurgical Processes of Recycling Spent
Lithium-ion Batteries: Mineral Processing and Extractive Metallurgy Review: Vol
42, No 7
première génération arrivent doucement
en fin de vie et les filières de recyclage peine encore à se
mettre en place. Il est certain que le recyclage aura une place importante dans
la sécurisation des chaînes d'approvisionnement en lithium. Mais
force est de constater que les volumes produits, bien que réels,
resteront encore anecdotiques jusqu'en 2030 si des opérations visant
à mieux collecter les batteries ne sont pas menées.
Lithium par production Géothermal.
Une avancée majeure, qui représente un
réel atout dans la sécurisation de la chaîne
d'approvisionnement du lithium, est l'extraction depuis des sources
géothermiques. Principalement utilisées pour produire de
l'énergie, les centrales géothermiques procèdent à
des forages allant jusqu'à 2000 mètres de profondeur pour capter
l'eau des nappes phréatiques, dont la température avoisine 100
à 150 degrés68. L'eau chaude actionne alors des
turbines produisant de l'électricité. Il s'avère que ces
eaux sont chargées de nombreux éléments minéraux
tels que le chlorure, la silice ou encore le soufre. Il s'avère que des
traces de lithium, en concentration plus faible bien sûr, sont
présentes, comme en témoigne l' «Etude géochimique et
Géothermique des eaux sulfurées sodiques de Luchon»
réalisée en 198469. Ainsi, de nouvelles techniques
d'extraction du lithium par filtration des eaux géothermales ont vu le
jour. Des nouvelles structures sont installées à bord des
centrales géothermiques, captant l'eau pompée à des fins
de production énergétique. L'eau passe par des membranes d'agent
filtrant, extrayant le lithium de la solution, puis est
réinjectée dans la nappe phréatique.
39
68 La géothermie : qu'est-ce que c'est? -
Geo.fr
69 Etude Géochimique et Géothermique
des eaux sulfurées sodiques de Luchon - 1984 , p.9
40
Schémas d'extraction du lithium par sources
géothermiques. Source : EuGeLi70
Ce procédé a l'avantage, comme le
présente la compagnie Vulcan Energy71, d'émettre moins
de GES que l'extraction conventionnelle, de consommer moins d'eau qu'une
exploitation de salar et d'émettre moins de déchets. Un avantage
non négligeable est que l'investissement financier est bien moins
important pour l'ouverture d'une telle exploitation. Aussi, la mise en place de
ces structures est bien plus rapide, à l'image du projet EuGeLi, visant
à produire du lithium de qualité batterie depuis des sources
géothermiques localisées à la frontière
franco-allemande. Ce projet, démarré en 2019, a vu ses premiers
résultats en 2021 et espère, après avoir défini un
modèle économique rentable, pouvoir produire 10 ktpa de
LCE72. Actuellement en Europe, on dénombre 130 centrales
géothermiques en exploitation et 160 projets en développement ou
en cours de planification73, autant de possibilités
d'étude pour la production de Lithium.
Plusieurs projets ont d'ailleurs planifier les entrées
en activité à l'horizon 2024-2025. Les principaux sites ont
été identifiés dans l'étude de marché «
A look at the geothermal lithium sector and some miners»
réalisé par «Seeking Alpha» en 202174. Les
données suivantes ont été collectées en analysant
les études de faisabilité ainsi que les rapports annuels des
compagnies:
70 EuGeLi : extraction du lithium à partir
de saumure géothermale en Europe | BRGM
71 Zero Carbon LithiumTM - Vulcan Energy Resources
(
v-er.eu)
72 Projet Eugeli - Eramet
73 Retour du rapport de l'EGEC - 2019 -
Geothermies
74 A Look At The Geothermal Lithium Sector And
Some Miners - Seeking Alpha - 2021
41
Ainsi, avant la fin de la décennie, le lithium issu de
sources géothermiques pourrait représenter une production
annuelle de plus de 457,260 tonnes de LCE, équivalent à plus de
65% de la production annuelle de l'année 2022 estimé à 692
kilotonnes par l'U.S. Geological Survey. Il s'agit là d'une source
majeure qui peut permettre de sécuriser, en local, la chaîne
d'approvisionnement en Lithium dans les différents pays.
42
C. Gouvernements et institutions
étatiques
Les Etats jouent bien sûr un rôle crucial dans la
mise en place de stratégie pour prévenir les pénuries. Il
en va de la bonne application de leurs politiques de transition
écologique, il est donc crucial pour ces acteurs de sécuriser les
chaînes d'approvisionnement pour faire face à une certaine
volatilité des prix, à un climat géopolitique complexe,
aux risques environnementaux etc. Pour se faire, les gouvernements ont
plusieurs cartes à jouer. Bien sûr, ils ont le pouvoir
législatif en main, pouvant réglementer ou assouplir le
développement de projets. Ils sont aussi acteurs du financement et
surtout les représentants d'une nation, à même de
créer des accords commerciaux et d'entraides. Dans cet horizon
jusqu'à 2030, date butoir à laquelle, nous avons pu le voir
précédemment, les véhicules électriques devront
être installés comme outil de mobilité principale, les
Etats ont leur part à jouer. Nous allons ainsi voir le cadre
législatif qu'un gouvernement peut mettre en place comme
stratégie de sécurisation des chaînes d'approvisionnement,
mais aussi les partenariats qui peuvent être mis en place entre pays.
Des politiques publiques directives:
- Législation sur l'exploitation minière :
L'ouverture d'une mine, surtout en Europe,
nécessite des prérequis importants en terme
d'études d'impact, de rendu financier et d'analyse des sols. L'obtention
des permis d'exploitation peut prendre beaucoup de temps, ce qui rallonge le
déploiement de nouveaux projets miniers. Bien sûr, il est
nécessaire d'imposer des normes environnementales rigoureuses, pour
éviter toute dérive qui pourrait impacter négativement
l'environnement et les populations locales. Cependant, les Etats ont la
possibilité de mettre en place des procédures d'autorisation
simplifiées pour l'expansion ou la création de mines, de
réduire le temps de traitement des dossiers, mais aussi de proposer des
aides fiscales, telles que des exonérations d'impôts ou des droits
d'usages moins coûteux. La facilitation des implantations de projets
miniers, que cela soit en terme d'assouplissement des procédures
administratives ou en terme d'aide financière permettrait
l'émergence plus rapide d'exploitation pouvant sécuriser les
chaînes d'approvisionnement locales.
C'est en outre ce qu'a mis en place l'Australie en 2020. Pour
apporter une aide au développement de l'industrie des minerais
critiques, le gouvernement a créé le «Critical Minerals
Facilitation Office». Cette structure a pour objectif de coordonner le
déploiement des projets miniers sur le territoire, en les aidant
à trouver des investisseurs, en facilitant les
43
échanges avec les régulateurs, en les mettant en
contact avec les partenaires stratégiques de l'Australie mais aussi en
leur proposant des aides financières. On comprend par-là que
l'Australie souhaite rester un acteur majeur du secteur minier et un leader
dans l'innovation car c'est par le biais de cette agence que sont
financés des hubs de recherches tels que le Commonwealth Scientific and
Industrial Research Organisation (CSIRO) ou encore l'Australian Nuclear Science
and Technology Organisation (ANSTO)75.
- Législation pour accélérer la
recherche et le développement : Les pouvoirs publics
ont tous des budgets alloués à la recherche.
Principalement tourné vers la recherche fondamentale, les gouvernements
pourraient très bien créer des missions « Pouvoirs
publics»76 pour promouvoir la recherche sur des nouvelles
techniques d'extraction, sur la cartographie des réserves
minières sur le territoire, ou sur le traitement des déchets et
un recyclage plus performant des minerais stratégiques à partir
des batteries usagées. L'Etat a aussi la possibilité de
créer des crédits d'impôt à l'attention des
entreprises qui investissent dans la recherche et développement dans ce
type de domaine. Des partenariats Public-Privé sont aussi à
envisager pour effectuer des tests d'application sur des nouvelles
technologies.
C'est en effet ce qui a été mis en place lors
du projet EuGeLi77. Développé en partenariat avec des
universités, des centres de recherches et des industriels, ce projet,
coordonné par l'entreprise Eramet, a été financé
à 85% par l'EIT ( European Institute of Innovation and Technology).
Cette structure, créée par la Commission Européenne, a
pour but d'accompagner l'innovation dans des domaines stratégiques,
notamment en cofinancement et en supervisant des projets, tel que EuGeli ou
encore le Projet Sultan. Ce dernier avait comme sujet l'extraction de lithium
à partir des résidus du traitement minier, de manière
écologique et rentable.78
- Législation sur le commerce de minerais : Les
gouvernements ont tout intérêt à
mettre en place des politiques favorisant les échanges
sur les minerais. Il peut s'agir d'accords commerciaux entre Etats, avec des
pays producteurs notamment le Chili ou l'Australie, pour sécuriser une
partie de leur exportation. Il peut aussi faire référence
à des tarifs douaniers allégés sur les produits
identifiés comme stratégique, instaurer des quotas d'importation
à intégrer dans les budgets de l'Etat ou encore commencer
à créer un stock de sécurité. À l'inverse,
les Etats producteurs peuvent décider de préserver une partie de
leur production et de l'interdire à l'exportation, pour éviter de
tomber eux-mêmes en rupture et
75 Critical Minerals Office | Department of
Industry, Science and Resources
76 Comment fonctionnent les budgets des pouvoirs
publics ?|
vie-publique.fr
77 Du lithium français pour les batteries
des véhicules électriques | Eramet
78 SULTAN Project - European Training Network for
the Remediation and Reprocessing of Sulfidic Mining Waste Sites (
etn-sultan.eu)
44
contrôler leur indépendance.
Le ministère de l'Economie, du Commerce et de
l'Industrie du Japon a, par exemple, mis en place une loi pour protéger
les ressources minières du Japon. Appelée «Mining Act»
et promulguée en 2012, elle vise à sécuriser les
approvisionnements en minerais, mais aussi en gaz et en pétrole,
désignés comme critiques par le Ministère. La loi aide
ainsi les entreprises japonaises à obtenir des droits d'exploitation
dans d'autres pays, via des accords commerciaux portés par l'Etat. Elle
mentionne aussi comme essentielle la création d'un stock
stratégique pour les minerais critiques. Ce système se dit avoir
été conçu pour limiter la dépendance du Japon aux
importations provenant de Chine et aussi pour limiter l'impact des fluctuations
des prix sur le marché, qui touchent l'entièreté de
l'économie japonaise79.
- Législation pour normer les produits : À
l'instar des politiques de transitions
écologiques, obligeant le parc automobile à se
renouveler en électrique, les états peuvent réglementer la
conception des produits pour rallonger la durée de vie,
l'efficacité énergétique, ou la teneur en pourcentage en
éléments recyclés. De même, l'Etat peut
réglementer tout le parcours de recyclage des produits, obligeant le
détenteur ou le fabricant à prendre la responsabilité de
ce dernier jusqu'à la complète destruction et valorisation des
déchets. À l'air où la voiture connectée se
démocratise, imposant de plus en plus de technologie embarquée,
s'allourdissant et nécessitant, une batterie plus puissante et donc plus
de minerais tel que le Lithium, l'Etat pourrait très bien décider
de réglementer le poids des voitures électriques, diminuant ainsi
la puissance nécessaire, les besoins en minerais et les tensions
associées.
L'Union Européenne a, par exemple, voté une
nouvelle réglementation en 2020 sur le design des batteries, mise
à jour en Juin 2023. Elle comprend une obligation déclarative de
l'empreinte carbone des voitures électriques, un taux de collecte des
batteries en fin de vie à hauteur de 61 % à l'horizon 2031, 50%
du lithium employé doit être récupérable dans les
batteries d'ici 2027, et 80 % d'ici 2031, 6% du lithium utilisé dans les
batteries doit être d'origine recyclé80. Cette
réglementation sur la confection des batteries a, certes, un objectif de
protection de l'environnement, mais par l'obligation d'usage de lithium
recyclé et de la possibilité d'extraire facilement le lithium des
batteries usagées, elle a aussi pour vocation de sécuriser la
chaîne d'approvisionnement en contraignant l'origine du minerai et en
facilitant le développement de la filière recyclage.
79 New Mining Law For Japan - Cliffordchance -
2012
80 Making batteries more sustainable, more durable
and better-performing | News | European Parliament (
europa.eu)
45
Des partenariats internationaux pour sécuriser
l'approvisionnement.
Comme mentionné dans la législation sur le
commerce de minerais, les pays peuvent collaborer et signer des accords
commerciaux pour créer un approvisionnement stable. Mais les
partenariats internationaux ne se limitent pas à une simple
collaboration économique. Il peut s'agir de créer des
marchés communs, mettre en place des politiques communes d'extraction,
échanger le savoir en montant des projets de recherches collaboratifs.
Plusieurs possibilités s'offrent sur la scène internationale pour
permettre aux Etats de créer un contexte géopolitique propice
à la sécurisation des chaînes d'approvisionnement, tel
que
- Coopération internationale dans la
recherche et le développement: Les technologies
d'extraction ou encore de recyclage sont très
techniques et des pays sont plus avancés que d'autres en la
matière, notamment les pays producteurs. Il ne faut donc pas
sous-estimer l'importance de la coopération internationale dans le
développement de nouvelles innovations, particulièrement dans le
secteur minier qui est en constante mutation et où des avancées
technologiques peuvent devenir des piliers favorables à une exploitation
plus durable et plus pérenne. Des États comme la France, qui ont
perdu leurs souverainetés industrielles, sont en retard dans ces
domaines et risquent de créer des dépendances durables aux pays
producteurs. La coopération internationale en matière de
recherche est un réel vecteur d'avancée technologique, pouvant
prendre plusieurs formes comme le partage de connaissance lors de regroupement
scientifique, ou encore la collaboration de centres de recherche divers autour
d'un même projet.
Dans cette optique de coopération, nous pouvons porter
notre attention sur le «Green partnership», engagement signé
entre l'Union Européenne et la Corée du Sud pour une
coopération approfondie sur les questions de transition
écologique. Dans ce partenariat sont mentionnés la recherche
collaborative sur l'hydrogène, les énergies
décarbonées, mais aussi le souhait d'échanger les
expertises et les recherches sur les batteries et la captation
carbone81. Allant dans ce même sens, le projet EuGeLi a
été financé par la Commission Européenne à
travers l'agence EIT et a permis l'échange entre des centres de
recherches Français et université Belge82. Les
coopérations internationales sont essentielles pour rester en veille
face aux innovations structurantes d'un marché stratégique.
81 EU and Republic of Korea launch a Green
Partnership - Consilium (
europa.eu) - 2023
82 EuGeLi : extraction du lithium à partir
de saumure géothermale en Europe | BRGM
46
- Marché commun et partage des
ressources : Au même titre que lors de la pandémie
de Covid-19, l'Europe a créé un marché
commun pour les vaccins, permettant de mutualiser la recherche ou encore les
achats auprès des autres nations83 et ainsi limiter les
risques, des initiatives peuvent être mises en place entre États
pour une mutualisation des risques et des stocks. Ce type de mécanisme
cherche à créer une économie circulaire au sein des pays
signataires, pour valoriser au mieux l'emploi des ressources ou en
créant des normes communes pour créer une chaîne de
recyclage performante. On pourrait ainsi imaginer des centrales d'achats
supra-étatiques, qui rassembleraient les besoins des gouvernements et
porteraient les négociations pour eux auprès des pays
producteurs. Cela permettrait à des pays comme le Japon, en tension avec
la Chine, de pouvoir s'approvisionner auprès d'eux sans être sous
le joug de potentielles sanctions économiques de la part du gouvernement
chinois en cas de désaccord.
Bien sûr aider par sa structure même basée
sur la collaboration entre États, l'Europe a mis en place l'Alliance
européenne des matières premières (ERMA). Cet organisme
vise à s'assurer une certaine indépendance des États
membres dans leurs approvisionnements en minerais critiques. Il a pour but de
rassembler l'industrie, notamment automobile, et de créer un
système résilient en coordonnant la mise en place de chaîne
de recyclage mais aussi en accompagnant les industriels dans les
démarches réglementaires, dans la diversification de leurs
chaînes d'approvisionnement et en mettant en place une stratégie
d'investissement globale sur le territoire européen.84
- Soutien opérationnel et
économique : Il s'agit là de partenariats d'entraide
très
généralistes. Bien qu'englobant des projets de
recherches, ce type de collaboration fait aussi référence
à la création de stratégies communes, de partenariat
commercial privilégié et de renforcement des industries des pays
concernées. De ces échanges peuvent alors se définir des
normes internationales, la création de chaîne d'approvisionnement
spécifique et une vision collaborative à long terme.
Un exemple serait l'accord signé entre l'Australie et
les Etats-Unis en 2023, nommé «Australia-United States Climate,
Critical Minerals and Clean Energy Transformation Compact «85.
Ces États s'engagent en outre à accompagner les industries
minières dans l'identification des barrières empêchant le
développement et l'expansion de leurs activités. Ils souhaitent
par ailleurs créer une base industrielle commune pour renforcer leur
approvisionnement en minerais critiques et développer de nouveaux
standards internationaux sur les chaînes d'approvisionnement des
énergies durables. En se faisant,
83 Le coronavirus et la stratégie de l'UE
concernant les vaccins (
europa.eu)
84 European Raw Materials Alliance (ERMA) -
Homepage
85 Australia-United States Climate,
Critical Minerals and Clean Energy Transformation Compact | The White House -
2023
47
cet accord peut changer les normes du commerce international
de minerais et obliger les autres pays à potentiellement s'adapter
à des mesures qui leurs sont défavorables, donnant ainsi le lead
aux Etats-Unis et à l'Australie dans la sécurisation des
ressources de minerais critiques.
D. Analyse, constats et recommandations
opérationnelles.
Comme nous avons pu le voir, aucune stratégie ne
prédomine comme étant la solution à adopter pour s'assurer
d'une stabilité dans les échanges en lithium.
En regardant les scénarios de croissance de la
demande, fourni par l'entreprise Albermarle86 et Mckinsey pour
l'horizon 203087, et en se basant sur le taux de production en
lithium de 2022, estimé par l'U.S Geological Survey88, auquel
nous rajoutons les estimations de production des nouveaux projets miniers, des
projets d'expansion d'exploitation et de la secondary supply, nous obtenons le
déficit suivant:
86 2023 Strategic Update Transforming Essential
Resources - ALBERMARLE - 2023 p.30
87 Battery 2030: Resilient, sustainable, and
circular - McKinsey - 2022
88 U.S. Department of the Interior U.S. Geological Survey:
MINERAL COMMODITY SUMMARIES, 2023
48
Nous pouvons voir ci-dessus qu'avec la production totale
estimée sur la période 2022-203089, nous pourrions
répondre à 67 % de la demande cumulée estimée par
McKinsey et 57 % de la demande cumulée estimée par Albermarle, ce
qui est une prévision plus optimiste que celle avancée par
McKinsey, qui prévoyait en 2030 que seulement 45 % de la demande pourra
être approvisionnée ( 55% de production manquante pour pouvoir
répondre à la totalité des besoins sur l'année
203090 ). Des ruptures de chaînes d'approvisionnement sont
à envisager dès 2023.
Il est important de souligner que ces données sont
limitées par les informations transmises par les entreprises et sont
donc fortement susceptibles de changer. Nous pouvons cependant en tirer les
conclusions suivantes:
Les projets annoncés d'expansions et d'ouvertures de
mines ne suffiront pas à répondre à la demande qui est
bien trop importante. De nombreux projets d'exploration minières sont en
cours pour de l'extraction de roche dure et sur des salars. Pour augmenter
rapidement la production en lithium, les États, à l'image des
politiques australiennes, ont tout intérêt à mettre en
place des structures pour faciliter l'obtention des permis d'exploitation et
l'accès aux financements, ce qui permettra de mettre en activité
les projets en cours d'exploration les plus prometteurs. De nouveaux gisements
de lithium sont découverts fréquemment mais se concentrent dans
des zones géographiques particulières ( Australie,
Amérique du Sud, Chine et Etats-Unis ). Les États non producteurs
doivent, dès maintenant légiférer sur des
89 Les fichiers de calcul sont disponibles en
annexe.
90 Battery 2030: Resilient, sustainable, and
circular - McKinsey - 2022
49
accords commerciaux et potentiellement se rassembler en des
marchés communs pouvant négocier des garanties
d'approvisionnements sur la scène internationale.
Le recyclage comme source d'approvisionnement secondaire
n'est pas assez développé pour être surlignable. Cependant,
on constate que la collecte des batteries usagées n'est pas
fonctionnelle ( que 5 % des batteries collectées ). Aussi, seulement une
trentaine d'installations dans le monde permettent de récupérer
les minerais de ces batteries, ce qui est trop peu. Il serait dès lors
intéressant la mise en application anticipée de la chaîne
de recyclage (planifié pour l'horizon 2027-2030) qui, même si les
volumes de batteries usagées restent faibles, permettra de mieux
anticiper les besoins futurs et de réduire les impacts sur
l'environnement des batteries premières générations. Une
nouvelle source de production de lithium par source géothermique a fait
ses preuves et devrait permettre de répondre à une partie de la
demande avant 2030. De nombreux pays, non producteurs de lithium mais ayant des
centrales géothermiques ( tel que l'Islande, l'Allemagne, la
Suède, la Turquie, le Japon, la Finlande etc91 ) , devraient
dès maintenant monter des programmes de recherches communs pour
identifier les nappes susceptibles d'être des réserves de lithium
et exploiter cette opportunité, permettant de sécuriser d'une
part leurs propres approvisionnements mais aussi réduire les tensions
sur ce minerai. Pour finir, une réelle évaluation des besoins et
des usages doit être entrepris par les Etats pour déterminer si
transformer des SUVs en voiture électriques est réellement
pertinent aux vues des ressources en lithium nécessaires pour une
batterie puissance, et si il n'est pas nécessaire de créer des
normes sur les véhicules pour limiter le poids et les dimensions et
ainsi la demande en matériaux.
Nous comprenons maintenant d'autant plus pourquoi le Lithium
a été classifié comme un minerai stratégique et
critique. Des stratégies pour pallier aux pénuries existent et
l'aide des états pourrait permettre de pallier en partie aux manques de
production. Dans un scénario très optimiste, le
déploiement du lithium géothermique et l'ouverture de nouvelles
mines suffiraient à répondre à la demande future.
Cependant, de nombreux facteurs de risques pourraient, à l'inverse,
aggraver les tensions sur ce minerai. Auquel cas, la mise en place des
stratégies de transition écologique, comme défini par les
différents gouvernements, se retrouveraient fortement mise à mal
et l'attente d'une neutralité carbone presque impossible dans l'horizon
estimé. Nous allons ainsi pouvoir nous intéresser aux facteurs de
risque pouvant entraver l'augmentation de la production de Lithium et les
politiques étatiques.
91 Statistiques mondiales - Geothermie (
geothermie-schweiz.ch)