2- Les facteurs externes
Cette fois-ci, il s'agit des facteurs externes dont
l'existence démotive (parfois) les journalistes de « La Nation
» ou les empêche de prendre le risque de s'aventurier dans ces
genres.
A la question, « Avez-vous été
dérangé au moins une fois à cause de papiers politiques ?
», le tableau 12 présente la statistique des réponses :
Tableau 12 : Journalistes
dérangés
Réponses
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Effectif
|
Pourcentage
|
Journalistes dérangés au moins une fois
(menaces, demande d'explication, appel, etc.)
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04
|
50
|
Journalistes n'ayant jamais été
persécutés
|
02
|
25
|
Total
|
06
|
75
|
Source : enquête de terrain, 2016
Ce tableau montre que 50% de journalistes ont
été « dérangés » au moins une fois en
raison d'articles jugés défavorables contre 25% n'ayant pas
été persécutés. Ce « dérangement »
comprends les menaces (intimidations), des demandes d'explication de la part du
ministre de tutelle ou du DG sur ordre du même ministre, des appels, etc.
Le SR, Maurille Gnassounou confie par exemple que des politiciens, par
personnes interposées, demandent des faveurs : que leur activité
couverte soit annoncée en manchette, ou à la Une.
Même si le Pr Mama Aguè, Secrétaire
général de la HAAC fait une lecture différente de la
situation, il ne remet pas en cause l'évidence desdites
persécutions. Selon lui, « manque de courage et de
responsabilité expliquent le comportement des journalistes de La
Nation». Il trouve qu'ils, les journalistes, peuvent évoquer la
clause de conscience et « demander à sortir du journal ».
Mémoire soutenu par Sêmèvo O.
Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC
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Mémoire soutenu par Sêmèvo O.
Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC
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Traitement de l'information politique dans un média de
service public : cas du quotidien La Nation
? L'assimilation à un média
gouvernemental. C'est la folie des gouvernants qui souhaitent toujours
voir les contenus de « La Nation » favorables à leurs actions.
Ce qui génère plusieurs dégâts : demande
d'explication, censure et autocensure dû aux liens
hiérarchiques. C'est pourquoi les journalistes souhaitent
« choisir » le DP.
A la question « Auriez-vous préféré
choisir vos dirigeants ? », les statisques du « oui » et du
« non » se présentent ainsi dans le tableau 13.
Tableau 13 : Journalistes optant pour le choix
du DP
Réponses
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Statistiques
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Pourcentage
|
Journalistes optant pour le choix du DP
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04
|
50
|
Journalistes pour qui la nomination du DP ne gêne pas
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02
|
25
|
Total
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06
|
75
|
Source : Résultat du
dépouillement, 2016
D'après le tableau 13, 50% des journalistes
interrogés souhaitent choisir le DP, contre 25% d'avis contraire.
L'encadré 6 donne les raisons de ce souhait, raisons mentionnées
par les journalistes enquêtés eux-mêmes.
Encadré 6 :
1-« Compte tenu de leur engagement apolitique, de leur
sens de responsabilité pour des articles de fond » ;
2- « Ainsi, ils ne seront pas tentés de plaire
aux autorités qui les ont nommés ; pour avoir toute l'autonomie
requise » ;
3- « Cela faciliterait les échanges et davantage
la collaboration pour le travail » ;
4- « Nous sommes liés au patron du journal dont
le lien avec ceux qui l'ont nommé est là. Le DP ne peut accepter
des papiers qui touchent/écorchent le gouvernement par exemple. Souvent,
les articles sont censurés : on enlève des parties importantes
pour le rédacteur mais jugées défavorables ».
5- « Il y a des pressions qui s'exercent
discrètement. Les responsables pensent à l'autorité dans
tout ce qu'ils font, car la loi permet à ce dernier de les suspendre,
même s'ils ont bien fait. Dans ce cas, c'est le ministre de tutelle
même qui définit ce qu'il appelle « faute grave ». Il y
a aussi que le DP peut avoir peur qu'on ne renouvelle pas son mandat ».
|
Ces témoignages insinuent que le DP est vu un peu comme
le représentant du gouvernement près le journal. Les journalistes
pensent que la liberté d'expression est restreinte dans un média
de service public. Ils souhaitent alors que le DP soit choisi par le personnel
et que cela va remédier les penchants au renouvellement de leur mandat
et les éventuelles suspensions arbitraires. C'est aussi la position de
Wagner (2015)47 pour qui « Les MSP devraient être
organisés sous la forme d'institutions indépendantes ». En
tant que telle,
47 Wagner, M., et al. Principes de
gouvernance pour les médias de service
public, Legal focus, UER, Paris, 2015
Traitement de l'information politique dans un média de
service public : cas du quotidien La Nation
ils doivent bénéficier « d'une
personnalité juridique propre et ne doivent pas faire partie d'autres
institutions de l'État, et plus particulièrement du gouvernement
». Au Bénin, ils sont placés sous la tutelle du
Ministère de la communication. Or le ministre lui-même
émarge du gouvernement.
? La haine des critiques (même objectives et
constructives). Selon W. L. Houngbédji, qui a
particulièrement subi l'intolérance du pouvoir politique (sous
Boni Yayi) vis-à-vis des critiques, « rien n'interdit formellement
aux journalistes des organes officiels de critiquer, commenter ou
d'apprécier l'action des dirigeants. Il ne faut pas passer sa vie
à applaudir ce que font les pouvoirs ». D'ailleurs, dit-il : «
Dans les écoles de formation en journalisme, il n'y a pas une
filière presse privée et une autre presse publique. Mais
ça ne plait pas toujours au pouvoir qui considère toujours «
La Nation » comme un journal gouvernemental ». C'est ainsi que
convoqué par le ministre de la Communication Venance Gnigla en
août 2006 pour un commentaire relatif au limogeage de la ministre Colette
Houéto, il s'entendra déclarer par un collaborateur du chef de
l'Etat : « Si vous écrivez ça, vous encouragez la presse
privée à faire plus ». Et plus tard, pour un article
critiquant la décision du chef de l'Etat de déclarer
chômée et payée la journée du 27 décembre
2007, en vue d'offrir un concert au peuple : « Comment le chien peut
mordre la main du maître qui lui donne à manger ? »,
précisément parce que ce collaborateur pensait que les
journalistes de « La Nation » émargeaient au budget
national.
Abondant dans le même sens, Maurille Gnassounou cite un
article ayant posé problème, « Jeudi 27 décembre,
journée continue : Une décision inopportune ! » (28
déc. 2007). Il raconte :
Nous avons appris, un jeudi après-midi, que le
président Boni Yayi a déclaré chomée et
payée la journée du jeudi 27 décembre 2007 à cause
d'un concert, alors que les gens étaient déjà au travail
depuis le matin. Houngbédji rédige un article à propos et,
lorsque le président en prit connaissance, il en était furieux.
La décision qui s'en est suivie est qu'on ne voulait plus voir ce
journaliste signer des articles dans « La Nation ».
Le journaliste fut mis « au garage » et est
allé se reposer au Service Commercial de l'ONIP pendant plus d'un an.
L'intéressé lui-même a en mémoire plusieurs de ses
articles mal digérés tel que : « Colete Houéto :
victime du changement ou d'intrigues politiciennes ». Ce qui lui a valu de
comparaître devant le ministre, révèle-t-il. Ainsi, le nom
de W. L. Houngbédji apparaissant dans l'Ours du journal comme SR a
disparu, pour la première fois, le mercredi 23 janvier 2008, soit le
n°4414 du journal. L'équipe de confection du journal est dès
lors réduite à trois noms : la DP R. Azifan, le Red chef H.
Akponikpé et, par acrobatie, on
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Traitement de l'information politique dans un média de
service public : cas du quotidien La Nation
retrouve le SRA, V. Sovidé sans le SR. La situation
reste telle jusqu'au n°4417 (lundi 28 janvier 2008) dans laquelle le poste
de SR fut enfin attribué à B. Sewadé.
Si « La Nation » s'est engagée si tant
à l'époque, c'est grâce à Assévi
Akouété alors DP. Pour lui, « pas de sujet tabou,
l'important était le professionnalisme avec lequel les sujets sont
traités », rapporte Houngbédji. Il poursuit qu'avec
la DP Reine Azifan aussi, les journalistes étaient davantage
encouragés à produire des papiers de fond. C'est ainsi que
l'engagement a pris corps pour certains et s'est renforcé pour d'autres.
Malheureusement, fait-il observer, « les persécutions sous Boni
Yayi ont fini par diluer la détermination des uns et des autres. Ils ont
pris peur, après mon expérience du garage, de subir le même
sort», note-t-il.
? Les changements de DP. Plusieurs
journalistes reconnaissent que les changements de DP influent sur le contenu et
la manière de traiter les sujets politiques. Chaque DP vient avec sa
détermination, conviction et sensibilité. Si les journaux du
temps de A. Assévi ou de R. Azifan détiennent plus de
commentaires, d'analyses voie de critiques, enquêtes, etc. celui de E.
Couao-Zotti diffèrent. Les éditoriaux et « Contre-poing
» par exemple ne paraissent que de rares fois à des occasions
spécifiques comme : le drame de Charlie Hebdo (en France) avec «
Lumière brisée » et le 25è anniversaire du quotidien
« La Nation », 4 mai 2015.
? Le poids de l'autocensure. Ces
témoignages confirment le constat de Frère (2000) qui est donc
toujours d'actualité :
« La Nation » resta souvent paralysée par les
vieilles habitudes d'autocensure et ne put échapper à l'influence
de ceux qui orchestraient le renouveau démocratique béninois. En
dépit de sa volonté d'être « un média de
service public et pas un journal gouvernemental », « La Nation »
ne put empêcher le retour de certaines pressions ministérielles
sur l'organe, surtout après la période de
transition48.
Ou encore : « [...] la menace qui plane est celle de l'
« affectation » : les journalistes qui dérangent le pouvoir
sont mutés dans des services qui constituent des voies de garage.
»49 Toutefois, il faut souligner que la tendance a été plus
criarde sous le régime dit du Changement. La conséquence, c'est
que :
Pour avoir si souvent subi la loi d'airain de la censure, les
journalistes Béninois savent qu'en face de leur idéal le plus
cher qu'est la liberté d'expression se dresse un obstacle [...]. Dans le
rang de la presse officielle (...), la sclérose, le poids de
l'autocensure ont pris le pas sur
48 Frère, M-S., Presse et démocratie
en Afrique francophone: les mots et les maux de la transition au Bénin
et au Niger, Karthala Editions, Paris, 2000, 540 p
49 Ibidem
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Traitement de l'information politique dans un média de
service public : cas du quotidien La Nation
le réflexe professionnel et le sens de l'initiative, alors
même que l'exercice du journalisme se confondait assez souvent au
militantisme (Frère, 2000)50.
Cependant, comme le pense Londres (1629), le rôle du
journaliste n'est pas de plaire, non plus de faire du tort. « Il est de
porter la plume dans la plaie ». Pour cela, les journalistes
doivent oser informer et oser dénoncer. Ils doivent se
poser des questions et fournir des informations et analyses dépassant
les déclarations et communiqués officiels qui, quoi qu'on dise,
sont en faveur de leurs producteurs.
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