Comme on a pu le constater, la théorie
économique reste ambigüe dans l'explication du lien causal entre le
déficit des finances publiques et celui du compte courant. Ces
différentes approches théoriques souvent opposées
constituent le point d'ancrage de l'importante littérature empirique qui
continue d'être développée jusqu'à nos jours. En
effet, de nombreuses études testent l'hypothèse des
déficits jumeaux en recourant à différentes
méthodes. Elles aboutissent à des résultats parfois
divergents.
De façon générale, les résultats
empiriques sur le lien de causalité entre le déficit
budgétaire et le déficit extérieur sont mitigés
Mouhamadou(2015). Au regard des études trouvées, quatre groupes
de travaux se dégagent dans la littérature empirique :
· le premier type de travaux est celui qui corrobore
l'hypothèse keynésienne (Hypothèse1). Ces travaux
aboutissent au résultat selon lequel le lien de causalité entre
le déficit budgétaire et le déficit courant va du premier
vers le second (Vamvoukas, 1999; Endegnanew et all, 2012; Trachanas E. et al,
2013; Hutchuison et al., 1984; Bacham, 1992; Piersanti, 2000; Leachman et al.,
2002);
· le deuxième groupe concerne les travaux qui
mettent en exergue un lien causal allant du déficit extérieur
vers celui des finances publiques (Hypotèse2) (Alkswani, 2000; Marashdeh
H. et al. 2006; Marinheiro, 2007; Ardiyanto, 2010);
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empirique appliquée au Cameroun
· le troisième groupe de travaux établit
un lien bidirectionnel entre les deux variables (Hypothèse 3) (Islam,
1998; Lau et al., 2004; Mukhtar et al., 2013);
· Le dernier groupe d'étude valide
l'hypothèse d'équivalence ricardienne (Hypothèse4)
(Ha-liciglu et al., 2013; Sobrino, 2013; Algieri B., 2013).
Les premiers travaux empiriques qui valident
l'hypothèse de déficit jumeaux portent sur les Etats-Unis.
Hutchison et Pigott (1984) présentent un modèle
macroéconomique théorique qui met en relation le déficit
budgétaire, le taux d'intérêt, le taux de change et le
compte courant pour une économie ouverte en régime de change
flexible. Leur modèle suggère que le déficit
budgétaire tend à accroitre le taux d'intérêt
domestique, ce qui pousse à la hausse le taux de change réel,
conduisant en dernier ressort à la dégradation du compte courant.
En appliquant ce modèle au cas américain, ils montrent que la
politique de déficit budgétaire est la cause principale du
déficit extérieur. De même, Bundt et Soloch (1988), en
utilisant un modèle standard de portefeuille à deux pays,
montrent que l'accroissement de la dette publique américaine est
à l'origine de l'appréciation du dollar américain
relativement au mark allemand et au dollar canadien sur la période
1973-1987. Selon Bundt et Soloch, cela met en exergue le lien entre
déficit budgétaire et le déficit commercial dont le canal
de transmission est le taux de change. En outre, les travaux d'Abell (1990) et
de Rosenweig et Tallman (1993) montrent qu'il y a un lien fort entre le
déficit commercial et le déficit budgétaire
américains.
Cependant, Feldstein (1992) montre qu'il n'y a pas de lien
entre le déficit budgétaire et le déficit commercial
américain au cours des années 1980. Il affirme que le gap
d'épargne qui conduit au déficit extérieur n'est pas
dû à l'accroissement du déficit budgétaire mais
plutôt à une forte baisse de l'épargne privée. Le
déficit budgétaire tend à accroitre les taux
d'intérêt réels et à évincer l'investissement
privé et les exportations nettes. Cette idée a été,
selon l'auteur, la principale explication du grand déficit du compte
courant américain dans les années 1980. Selon l'auteur, l'effet
adverse le plus important de ce faible taux d'épargne n'est pas sur le
compte courant mais sur la croissance économique de long terme.
Dans le cadre des pays de l'OCDE, Piersanti (2000) s'appuie
sur un modèle d'équilibre général qui
intègre les anticipations sur les déficits budgétaires
pour appréhender la relation entre les déficits budgétaire
et extérieur. Ses résultats empiriques soutiennent fortement
l'hypothèse
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empirique appliquée au Cameroun
des déficits jumeaux dans la plupart de ces pays sur
la période 1970-1997. De ce fait, l'hypothèse des déficits
jumeaux est valide quand les anticipations sur les déficits
budgétaires sont prises en compte. Ce résultat semble contredire
l'hypothèse d'équivalence ricardienne qui prétend que les
anticipations des déficits budgétaires annihilent les effets de
la politique budgétaire.
Dans les pays en développement, quelques études
testent l'hypothèse des déficits jumeaux. Par exemple,
Islam(1998) examine la relation causale entre les deux variables au
Brésil sur la période 1973-1991. En utilisant les tests de
causalité de Granger, il met en exergue une relation causale
bidirectionnelle entre les deux déficits. De même, Khalid et Guan
(1999) utilisent la technique de cointégration proposée par
Johansen et Juselius (1990) pour examiner cette relation causale entre les deux
soldes. Leur étude s'applique à cinq pays
développés (USA, RU, France, Canada et Australie) et cinq pays en
développement (Inde, Indonésie, Pakistan, Egypte et Mexique).
Elle couvre la période allant de 1950 à 1994 pour le premier
groupe et de 1955 à 1993 pour le second. Les résultats mettent en
évidence une forte corrélation statistiquement significative
entre les deux déficits à long terme dans les deux groupes de
pays. De plus, ils montrent que la corrélation est plus forte dans les
pays en développement que dans les pays développés. Quant
au sens de causalité, les deux auteurs obtiennent des résultats
ambigus. Par exemple, pour l'Inde, la relation est bidirectionnelle tandis que
pour l'Indonésie et le Pakistan, la relation causale va du
déficit extérieur vers le déficit budgétaire. Ils
expliquent cette relation inverse par le fait que le déficit
extérieur est financé par des emprunts extérieurs. Cela
contribue à alourdir la dette de sorte que le poids élevé
de la dette extérieure engendre un service de la dette important, toute
chose qui creuse le déficit budgétaire. Aussi, Lau et Baharumshah
(2004) examinent-ils la relation entre les deux soldes dans le cas de la
Malaisie en utilisant le test de Wald modifié développé
par Toda et Yamamoto (1995). Leur résultat empirique atteste l'existence
de lien de causalité bidirectionnel entre le déficit
budgétaire et le déficit du compte courant.
Pour le cas spécifique des pays de l'Afrique au Sud du
Sahara (ASS), des travaux récents adressent la question. On peut citer
par exemple l'étude d'Omoniyi et al. (2012) qui porte sur le
Nigéria. Ces auteurs utilisent le test de causalité de Granger
pour mettre en exergue un lien bidirectionnel entre les deux soldes. Il s'agit
également de l'étude de Kwame (2013) dont les résultats
valident l'hypothèse keynésienne des déficits jumeaux au
Ghana.
L'étude de Mouhamadou DIARRA(2015) portant sur sept
pays de l'UEMOA à savoir le Mali, la Côte d'Ivoire, le
Sénégal, le Bénin, le Burkina, le Niger et le Togo. Ses
résultats sur le test
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de causalité au sens de Granger montrent qu'il y a une
causalité de long terme allant du déficit budgétaire vers
le déficit du compte courant au Sénégal et au Togo, pour
le Burkina et la Côte d'Ivoire, c'est plutôt le déficit
courant qui cause le déficit budgétaire, au Bénin et au
Mali les deux variables se causent mutuellement. Pour ce qui est du dernier
pays, à Savoir le Niger, aucune des deux variables ne cause l'autre.
Par ailleurs, la crise des dettes souveraines que les
économies industrialisées connaissent depuis 2008 suscite un
regain d'intérêt pour le thème. Dans cette perspective, un
ensemble d'études effectuées au sein du FMI, sur données
de panel, confirment en général l'hypothèse des
déficits jumeaux. De ces travaux, on peut citer Endegnanew et al (2012)
qui, à travers un panel de 155 pays dont 42 petits pays, montrent qu'une
amélioration du déficit budgétaire de 1 point de
pourcentage se traduit par une amélioration du solde du compte courant
de 0.4%. Il s'agit également des travaux empiriques d'Abbas et al.
(2010) qui prouvent que l'amélioration du compte courant est 0.2
à 0.3% du PIB suite à une amélioration du solde
budgétaire de 1%.
Cependant, lorsque Algieri (2013) réévalue la
relation de long terme entre les deux variables dans les pays de l'UE les plus
durement frappés par la crise de la dette (Espagne, Grèce,
Irlande, Italie, et Portugal), ses résultats supportent
l'hypothèse ricardienne. Cela l'amène à conclure que les
programmes de consolidation budgétaires en cours dans ces pays n'auront
pas d'impact significatif dans ces pays.