L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
Paragraphe 2 : Une procédure relativement cohérente au niveau communautaireA ce niveau, il faut remarquer que l'efficacité de la protection des droits de l'homme est limitée en raison de la surabondance des textes de référence (A). Cette diversité des normes de référence risque de déboucher sur une divergence d'interprétation (B) lors du traitement des requêtes individuelles. Cet état de chose peut entrainer la fragmentation de la Charte africaine, rendant ainsi inefficace le système africain de protection de l'individu. A. Une efficacité relative en raison de la surabondance des textes de référenceRappelons qu'aux termesdes dispositions du nouvel article 9 du Protocole du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P /17 /91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté, la juridiction de la CEDEAO est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l'homme dans tous les Etats membres. Cette formulation elliptique, lapidaire ouvre pourtant un champ de compétence indéterminée. Les règles qui délimitent les compétences de cette instance sont actuellement fragmentées et parfois obscures, en l'absence d'une précision de la notion des droits de l'homme et d'un catalogue ouest africain de ces droits. Pis encore, les juges d'Abuja n'ont pas encore procédé à l'élucidation conceptuelle de la notion de droits humains, tâche qui aurait certainement permis de mieux assurer plus efficacement le contrôle des droits humains. Une situation due certainement à la configuration institutionnelle de la Cour qui, rappelons-le, n'est pas une juridiction spécialisée dans la protection des droits de l'homme296(*). On peut relever que les juridictions spécialisées dans la protection des droits de l'homme travaillent avec des instruments endogènes pertinents qui constituent les textes de référence essentiels des juges. Ce qui n'exclut pas la possibilité d'invoquer des instruments exogènes297(*). Mais la juridiction de la CEDEAO elle, déroge à cette ontologie classique en s'appuyant sur un corpus de règles extrêmement large, sur des bases textuelles hétéroclites. L'absence d'un catalogue ouest africain des droits de l'homme avec des mécanismes de sanctions propres peut entrainer, à notre avis deux conséquences dommageables majeures. La première conséquence liée à cette extensibilité des sources est la dilution de la notion des droits de l'homme ; ce qui débouchera inexorablement sur sa banalisation par les requérants. En effet, la tendance actuelle est la croissance exponentielle des requêtes fantaisistes et imprécises présentées devant le prétoire du juge communautaire. Ainsi, en l'absence d'un standard jurisprudentiel des droits de l'homme, tout droit violé par un Etat membre est supposé être un droit de l'homme. D'ailleurs, de nombreuses requêtes examinées par la Cour sont qualifiées souvent par les requérants comme étant de violations de droits humains alors qu'au fond elles sont loin de l'être. C'est par exemple, le cas dans la décision rendue par la Cour le 12 octobre 2007298(*). Dans cet arrêt, le requérant n'a spécifié aucun droit (droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels, droits dits de troisième et de quatrième générations) dont la violation aurait été commise par l'Etat du Mali. Pis, ce qui laisse le juge anxieux est que le requérant semble arguer que le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction des juridictions nationales constitue une transgression des droits de l'homme. Cette situation est pernicieuse pour la Cour car elle risque de se répercuter sur le raisonnement des juges ou alors entrainer un encombrement de son prétoire. Dans d'autres affaires toutes aussi singulières, des relations contractuelles entre particuliers ont été qualifiées à tort de droits de l'homme299(*). Dans l'affaire Mrs Alice Raphael Chukwudolue et Cie contre la République du Sénégal du 22 novembre 2007 aucun droit de l'homme n'a été spécifié. Parfois, c'est sous le couvert d'une violation des droits humains que les requérants saisissent la Cour pour des affaires relevant au fond du contentieux électoral300(*). La généralité dans la formulation « des droits de l'homme » peut aussi avoir des effets négatifs sur l'office du juge lui-même, notamment sur son raisonnement. Si la requête ne présente pas avec toute la clarté souhaitable les faits et les problèmes juridiques, le débat judiciaire risque d'en pâtir. L'arrêt Hon. Dr Jerry Ugokwe du 7 octobre 2005 est symptomatique de cette incurie. En effet, la requête invoque la violation du « droit à un procès équitable » mais ne précise pas une telle violation. A la recherche de l'identification du problème qui lui est posé, la Cour d'Abuja oscille dans son raisonnement entre la question du contentieux électoral et celle de la violation du droit à un procès équitable. La Cour s'est alors lancée dans des développements qui ne se rapportent pas nécessairement à son office in casu ; le contentieux électoral. En outre, dans certaines affaires, les saisissants mettent à mal le juge communautaire et le juge interne en ne visant pas les dispositions pertinentes relatives à la protection des droits de l'homme. Ainsi, les formulations sont souvent vagues, générales, imprécises et les requêtes ne sont pas assez circonstanciées. Certaines demandes présentées devant le prétoire de la Cour donnent parfois à penser que le juge communautaire serait appelé à corriger le juge national suprême. Si la Cour rejette généralement ces requêtes infondées301(*), elle semble avoir fourni l'exception en désapprouvant certaines décisions des juridictions nationales302(*). Ce qui laisse croire que la Cour de justice communautaire est une juridiction de cassation ou un troisième degré de juridiction censurant ainsi les décisions des juridictions suprêmes des Etats membres. C'est à l'évidence la réforme opérée en 2005 qui porte une dynamique pernicieuse, des effets pervers susceptibles d'affaiblir le contrôle juridictionnel des droits humains. L'abondance des textes de référence, subséquente à l'absence d'un catalogue ouest africain des droits humains, aurait donc pour fâcheuse conséquence d'entrainer une dilution de la notion de droits de l'homme. Submergée par des requêtes fantaisistes et imprécises, la Cour en pâtira et affaissera ainsi son contrôle, si on n'y prête pas garde. Au surplus, elle risque de générer une divergence d'interprétation. * 296 Elle est rattachée à une organisation régionale dont l'objectif premier est l'intégration économique et à ce titre, elle doit veiller à l'application et à l'interprétation des normes communautaires. * 297 Voir supra, nos développements sur les contraintes normatives devant les juridictions. * 298Affaire Sieur Moussa Léo Keita contre Etat du Mali. * 299 Affaire Chief Frank C. Ukor contre Sieur Rachad Laleye et le gouvernement de la République du Bénin, 2 novembre 2007. * 300 CJ CEDEAO, Aff. Hon. Dr. Jerry Ugokwe c/ République Fédérale du Nigeria, 7 octobre 2005. * 301 Dans l'arrêt du 12 octobre 2007, Sieur Moussa Léo Keita contre Etat du Mali, la Cour a affirmé qu'elle « n'a pas compétence pour statuer sur les décisions rendues par les juridictions des Etats membres ». * 302 Dans l'affaire Isabelle Manavi Ameganvi et Autres contre Etat du Togo du 7 octobre 2011, le juge communautaire est allé à contre-courant du juge constitutionnel togolais en estimant que « les députés n'ont jamais exprimé régulièrement leur volonté de démissionner de l'Assemblée nationale ». |
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