L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. Un critère restrictif au niveau de la CJ CEDEAOLa qualité pour agir désigne l'importance selon laquelle, s'attachant pour le demandeur à ce qu'il demande, elle le rend recevable à le demander en justice (si cette importance est assez personnelle, directe et légitime) et à défaut de laquelle le demandeur est sans droit pour agir230(*). Aux termes des dispositions de l'article 10.d i) du Protocole additionnel à la CJ CEDEAO, la Cour peut être saisie par toute personne victime de violations des droits de l'homme231(*). Ainsi, l'exercice d'un droit de recours individuel est subordonné à la qualité de victime. Seule une personne « victime » d'une violation des droits garantis par les instruments juridiques faisant partie du droit positif des Etats peut exercer un recours individuel. En outre, le demandeur peut être considéré comme une victime dès lors qu'il existe un lien suffisamment direct entre lui et la violation alléguée. A cet égard, pour que le requérant puisse se prétendre victime, il faut qu'il produise des indices raisonnables et convaincants de la probabilité de la réalisation d'une violation en ce qui le concerne personnellement, de « simples suspicions ou conjectures étant insuffisantes à cet égard »232(*). Par conséquent, seule une décision ou une mesure interne lésant concrètement les droits du requérant peut justifier un tel recours. Mais la notion de victime doit dès l'abord être mise en corrélation avec le statut du citoyen. La victime doit être un ressortissant de la Communauté c'est-à-dire « toute personne qui, par la descendance, a la nationalité d'un Etat membre et qui ne jouit pas de la nationalité d'un Etat non membre de la communauté »233(*). Dans le contexte de « l'ordre juridique communautaire intégré de la CEDEAO »234(*), le juge se veut pragmatique dans sa démarche en interprétant les dispositions dégagées par le législateur communautaire dans un esprit de plus en plus favorable aux individus. Il en est ainsi dans l'affaire Hissène Habré c/ Etat du Sénégal235(*) où la Cour a constaté l'existence d'indices concordants de probabilité de réalisation de nature à violer les droits de l'homme du requérant sur la base des réformes constitutionnelles et législatives entreprises par l'Etat du Sénégal. Si on sait qu'une loi a priori se détermine dans l'abstrait236(*), le cas concret devenant difficile à constater, on peut dire ici que le juge communautaire a fait montre de hardiesse et de témérité. La Cour a interprété de façon autonome la notion de victime de sorte que le recours individuel est largement ouvert. Cet arrêt rappelle à bien des égards l'affaire Marcks où les juges européens ont admis la notion de victime potentielle ou éventuelle. Selon la Cour de Luxembourg, « un individu peut se prétendre victime du seul fait de l'existence d'une législation dont il risque de subir les effets mais indépendamment de toute application effective »237(*). Le requérant individuel doit par ailleurs avoir un intérêt personnel à agir. Selon la Cour, la violation d'un droit de l'homme ne s'apprécie pas in abstracto mais in concreto et se constate a posteriori c'est-à-dire lorsqu'elle a déjà eu lieu. Par conséquent seule une décision lésant concrètement les droits de l'individu peut justifier un recours devant la Cour communautaire. Cela s'explique par le fait que la Cour de justice communautaire n'a pas pour rôle d'examiner les législations des États membres de la Communauté in abstracto, mais plutôt d'assurer la protection des droits des individus lorsque ceux-ci sont victimes de violations de ces droits qui leur sont reconnus, et ce, par l'examen des cas concrets présentés devant elle238(*). C'est fort semblablement une condition exigée pour ne pas encombrer la juridiction communautaire par des recours superflus. Sous ce rapport, il ne faut pas se méprendre ; la Cour de justice communautaire demeure certes une vitrine des droits de l'homme mais refuse de devenir une vox populi en transformant les recours en une actio popularis qui risquerait de froisser la susceptibilité des Etats. * 230Cela répond au principe de droit commun « pas d'intérêt, pas d'action ». Ce principe veut en effet que celui qui intente une action en justice ait un intérêt à agir. * 231 Protocole additionnel A/SP.01/05 du 19 Janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 du 06 juillet 1991 relatif à la Cour. * 232 CJ CEDEAO, affaire Hissène Habré c .Etat du Sénégal, 18 novembre 2010. * 233 Est considéré comme citoyen de la communauté d'après le protocole du 29 mai 1982 portant code de citoyenneté de la Communauté : « toute personne qui, par la descendance, a la nationalité d'un Etat membre et qui ne jouit pas de la nationalité d'un Etat non membre de la communauté ». * 234 CJ CEDEAO, affaire Hon. Dr. UGOGWE C. République fédérale du Nigeria, 7 octobre 2007, par. 32. * 235 CJ CEDEAO, affaire Hissène Habré c/ République du Sénégal, 18 novembre 2010. * 236 C'est en effet un truisme de rappeler qu'une loi se caractérise par la généralité et l'impersonnalité. * 237 Voir SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l'homme, 10ème édition, PUF, 2006, p. 300. * 238 CJ CEDEAO, Aff.Hadijatou Mani Koraou c/ Rép. Niger, 27 octobre 2008. |
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