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L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.


par Gildas Hermann KPOSSOU
Université d'Abomey-Calavi (UAC)  - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales  2015
  

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B. L'exigence d'un délai raisonnable de saisine

La saisine de la Cour dans un délai raisonnable est une exigence doublement consacrée. En effet, l'article 40 du Règlement intérieur de la Cour, reprenant l'article 56, 6) de la Charte, exige que la requête soit « introduite dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des voies de recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ». La juridiction en a précisé les contours, notamment en déterminant successivement le point de départet le caractère raisonnable.

Le point de départ du délai de saisine varie selon que le fonctionnement des recours internes est normal ou anormal. Premièrement, lorsque les recours internes fonctionnent normalement, le délai de saisine commence à s'écouler à compter du premier jour franc suivant l'épuisement des recours internes (soit, en pratique, la date de la dernière décision insusceptible de recours rendue par le juge national). Toutefois, une exception179(*) reste à dégager. En effet, lorsque la Cour est saisie directement par un individu ou une ONG disposant du statut d'observateur, tout dépendra de la date à laquelle l'Etat défendeur aura déposé sa déclaration au titre de l'article 34, 6) du Protocole180(*).Ainsi, dans l'affaire Alex Thomas c. Tanzanie, la dernière décision rendue par le juge interne datait du 29 mai 2009. L'Etat défendeur n'ayant fait la déclaration susvisée qu'un an plus tard, le 29 mars 2010, la Cour décida de prendre cette dernière date comme point de départ181(*).

Le point de départ du délai est donc calculé, sauf exception, par rapport à l'épuisement des recours internes pertinents182(*). A notre avis, un point d'ombre subsiste encore, celui de savoir si ce délai commence à courir lorsque le requérant a utilisé une voie de recours que la Cour juge peu appropriée (par exemple un recours en révision). Ce point n'a pas encore été éclairci dans la jurisprudence africaine, mais la Cour européenne n'y voit pas d'obstacle, ce qui peut donc conduire rapidement à l'irrecevabilité de la requête183(*).

Deuxièmement, le fonctionnement anormal184(*) des recours internes dispense-t-il le requérant individuel de saisir la Cour dans un délai raisonnable ? La réponse est négative ; cette situation n'affecte pas la règle, mais uniquement le calcul du point de départ du délai de saisine. Les requérants concernés ne sont ainsi pas fondés à soutenir que, puisqu'ils ne doivent pas épuiser les recours internes, ils peuvent saisir la Cour à leur guise sans restriction temporelle. La juridiction l'a fermement affirmé, relevant que « (...) cette position est intenable parce qu'elle signifierait que dans tous les cas où les requérants n'auraient pas eu à épuiser les voies de recours internes (parce qu'ils ne sont pas efficaces, ou parce que la procédure y relative se prolonge de façon anormale), le délai de saisine de la Cour ne commencerait jamais à courir. Par ailleurs, cette thèse est en contradiction fondamentale avec l'argument des requérants selon lequel il n'y aurait plus rien à attendre du système judiciaire national. On ne peut pas à la fois avancer cet argument et en tirer à son profit la conséquence que le délai de saisine de la Cour ne commencera à courir que lorsque le système judiciaire national, que l'on a pas voulu utiliser, aura réglé l'affaire »185(*).

Il reste donc à déterminer le point de départ du délai de saisine de la Cour dans ce cas particulier. La jurisprudence n'est pas encore très étoffée et il faut être prudent. Pour le moment, seul le point de départ du délai de saisine lorsque les recours internes se prolongent de façon anormale a été déterminé. La date qui doit être retenue est alors celle de l'expiration du délai de recours non exercé selon le droit national186(*).

En outre, le caractère raisonnable du délai de saisine sous-entendque la requête sera frappée d'irrecevabilité chaque fois que la Cour sera saisie dans un temps déraisonnable187(*) à compter du dies a quo188(*). Ni la Charte, ni le Règlement intérieur ne précisent ce délai, à la différence des Conventions européenne et américaine qui retiennent un délai de six mois189(*). Si l'introduction d'une requête quelques mois après l'épuisement des recours internes ne pose pas de difficulté190(*), la Cour accepte d'être saisie au bout de plusieurs années, pour peu qu'une justification sérieuse soit avancée par le requérant.

En tout état de cause, l'interprétation retenue favorise l'accès de l'individu au prétoire, la Cour accordant une grande attention à la situation personnelle du requérant (degré d'alphabétisation, indigence, détention ou non, etc.) ainsi qu'aux éléments objectifs susceptibles d'allonger les délais de saisine (entrée en fonction de la juridiction191(*), etc.). Comme elle l'a relevé, « (...) le fait que le requérant soit incarcéré ; le fait qu'il soit un indigent qui n'ait pas été capable de se payer un avocat ; le fait qu'il n'ait pas eu l'assistance gratuite d'un avocat (...) ; le fait qu'il soit illettré ; le fait qu'il a pu ignorer jusqu'à l'existence de la présente Cour en raison de sa mise en place relativement récente ; toutes ces circonstances justifient une certaine souplesse dans l'évaluation du caractère raisonnable du délai de saisine »192(*). Ont ainsi été jugés raisonnables des délais de 360 jours193(*) ; trois ans et cinq mois194(*) et trois ans et six mois195(*) après le dépôt par l'Etat défendeur de la déclaration d'acceptation de juridiction.

Cette largesse du juge de la Cour africaine semble le rapprocher du juge communautaire qui tient à relever le défi de la protection des droits de l'homme jadis inefficace. En dehors des conditions formelles, le forum shoppingdont fait office ces deux juridictions est également perceptible en ce qui concerne les conditions substantielles de recevabilité.

* 179 Nous évoquons ici une seule exception valable parce que la seconde n'a, aujourd'hui, qu'une portée historique. En effet, durant la phase transitoire où le Protocole était entré en vigueur mais la juridiction n'était pas encore pleinement opérationnelle, la Cour décida que le délai de saisine devait commencer à courir à compter de l'adoption de son règlement intérieur (le 20 juin 2008) et non pas à partir de l'épuisement des recours internes. C'est ainsi que dans l'affaire des Ayants droit de feu Norbert Zongo et al, les juges estimèrent qu'une interprétation raisonnable et de bonne foi devait conduire à apprécier la question du délai raisonnable à partir du 20 juin 2008 au lieu du 22 août 2006 (date correspondant au premier jour franc à compter de l'épuisement des recours internes).

* 180Si la déclaration a été déposée avant que le requérant n'a épuisé les recours internes pertinents, le délai de saisine commencera à courir à compter du premierjour franc suivant la date d'épuisement des recours internes. Rien ne change dans ce cas, le principe s'applique.En revanche, si la déclaration a été déposée après que le requérant a épuisé les recours internes pertinents, le délai de saisine commencera à courir à compter de la date du dépôt de la déclaration, et non à compter de celle de la dernière décision judiciaire rendue.

* 181 Cour ADHP, Affaire Alex Thomas c. Tanzanie, requête n° 005/2013, arrêt au fond du 20 novembre 2015, par. 73.

* 182 Il faut noter que l'épuisement des voies de recours internes exclut les recours extrajudiciaires. Voir nos développementsinfra.

* 183 Cour EDH, Rezgui c. France, décision sur la recevabilité, requête n° 49859/99, p. 3.

* 184 Voir supranos développements sur les dérogations au principe de l'épuisement des voies de recours internes.

* 185 Cour ADHP, Ayants droit de feu Norbert Zongo, préc., arrêt sur les exceptions préliminaires du 21 juin 2013, par. 116.

* 186Ibid., par. 118. Dans cette affaire, les parties ont indiqué que le délai de pourvoi en cassation était de cinq jours francs depuis le prononcé de l'arrêt objet du recours. Comme l'arrêt en question a été prononcé le 16 août 2006, ce délai aurait expiré le 21 août 2006, et la date de départ du délai de saisine de la Cour africaine serait en conséquence le 22 août 2006.

* 187 CORTEN (O.), L'utilisation du « raisonnable » par le juge international : discours juridique, raison et contradictions, Bruylant, 1997, 696 p.

* 188 Cette expression signifie littéralement la date de départ du délai de saisine.

* 189 Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, art. 35 ; Convention interaméricaine des droits de l'homme, art. 46.

* 190 Cour ADHP, Wilfred Onyango et al. c. Tanzanie, requête n° 006/2013, arrêt au fond du 18 mars 2016, par. 97-102 : un délai de quatre mois pour introduire la requête est considéré comme raisonnable.

* 191 Cour ADHP, Ayants droit de feu Norbert Zongo, préc., arrêt sur les exceptions préliminaires du 21 juin 2013.

* 192 Cour ADHP, Affaire Mohamed Abubakari c. Tanzanie, préc., par. 92 ; La jurisprudence de la Cour ne s'éloigne ainsi pas de celle de la Commission. Voir notamment, Communication 307/2005, Affaire M. Obert Chinhamo c. Zimbabwe, 42e session ordinaire, 23e rapport annuel d'activités, 15-28 novembre 2007.

* 193 Cour ADHP, Affaire Tanganyika Law Society, The Legal and Human Rights Centre, Révérend Christopher R. Mtikila c. République de Tanzanie, requêtes n° 009/2011 et n° 011/2011, arrêt au fond du 14 juin 2013, par. 83.

* 194Ibid., par. 74.

* 195 Cour ADHP, Affaire Mohamed Abubakari c. Tanzanie, op. cit., par. 78-93.

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