L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.par Gildas Hermann KPOSSOU Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B. L'autonomie de la Cour dans l'application des modalités de la CharteLa Cour de justice communautaire de la CEDEAO jouit à l'égard de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) de pouvoirs que l'on pourrait qualifier de souverains. Elle ne se trouve pas liée par certaines conditions posées par la charte. C'est sans doute l'affirmation de l'autonomie de la Cour vis à vis de cette Charte. En effet, la Cour de justice communautaire n'est pas dans un lien de subordination hiérarchique avec la Cour africaine. Elle défend de ce fait son « pré-carré » jurisprudentiel, emblème de son autonomie vis-à-vis des juridictions internationales sans se situer néanmoins dans un nombrilisme avilissant. Ainsi, faisant une lecture généreuse de cet instrument, la CJ CEDEAO indiqua dans son arrêt de principe157(*) qu'elle assure la protection des droits énoncés dans la Charte sans pourtant procéder de la même manière que la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Dans ce présent arrêt qui restera à jamais dans les annales judiciaires, la Cour, alors que même la pratique de l'économie des moyens aurait pu la conduire à s'en tenir aux textes endogènes, a jugé bon dans la mesure où cela servait son dessein pédagogique de se lancer dans l'expéditive. Ceci dans un but d'établir et d'asseoir son autonomie dans l'utilisation des modalités de la Charte. En effet, l'Etat Nigérien, défendeur en l'espèce a soulevé une exception d'irrecevabilité relative à l'épuisement des voies de recours internes158(*). Selon cet Etat incriminé, la condition d'épuisement des voies de recours internes ne figure pas parmi les conditions de recevabilité des cas de violations des droits de l'homme. En raison de cette lacune, les juges doivent s'inspirer de l'article 56159(*) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples en exigeant préalablement la saisine du juge national. Mais le juge a récusé ces prétentions, en estimant que l'absence d'instruments juridiques de la CEDEAO relatifs aux droits de l'homme fait de la Charte son instrument privilégié pour se prononcer sur des cas de violations des droits de l'homme. Mais ajoute-t-il qu'une distinction doit être faite entre l'énoncé des principes fondamentaux de la Charte et les modalités de mise en oeuvre de ces droits160(*). De ce fait, la Cour assure la protection des droits énoncés dans la Charte sans pourtant procéder de la même manière aussi bien de la Cour ADHP que de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Cette approche privilégiée par la CJ CEDEAO qui refuse ainsi d'imposer des contraintes procédurales montre la hardiesse et la témérité du juge communautaire. En accordance avec sa jurisprudence de principe, la Cour se complait jusqu'à présent dans cette attitude pragmatique pour demeurer un « bon juge » c'est-à-dire n'être ni au service des Etats ni au service des citoyens mais au service exclusif des droits de l'homme161(*). Le juge d'Arusha se veut également être un bon défenseur des droits de l'homme, mais la procédure à suivre pour que la requête individuelle soit recevable devant son prétoire est beaucoup plus complexe que devant le juge communautaire. * 157 CJ CEDEAO, Affaire Dame Hadijatou Mani Koraou c/ la République du Niger du 27 octobre 2008. * 158 Sur la question de l'épuisement des voies de recours internes, voir nos développementsinfra. * 159 Cet article dispose en effet que « Les communications visées à l'article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l'homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après: 1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Commission de garder l'anonymat; 2. Etre compatibles avec la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine ou avec la présente Charte; 3. Ne pas contenir des termes outrageants ou insultants à l'égard de l'Etat mis en cause, de ses institutions ou de l'OUA; 4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse; 5. Etre postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale; 6. Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine; 7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et soit des dispositions de la présente Charte ». * 160 Pour plus de développement à ce propos, voir ZAKRI (B. E.) « L'application de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples dans les Etats d'Afrique noire francophone », Mémoire en vue de l'obtention du diplôme de master droit public fondamental, Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest- Unité Universitaire d'Abidjan (UCAO-UUA), 2014, 76 p. * 161 Voir utilement GNANDE (J.), « La protection des droits de l'homme au plan sous-régional : une volonté affichée par la CEDEAO », éd. Cacit, 2016. |
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