4.3 Psychomotricité et contentions physiques
Nous devons nous saisir du rôle qui est le nôtre,
inscrire le patient dans le système de soin, et cela de la meilleure des
façons. Notre approche et la qualité des soins - en cela j'inclue
la relation de soin - seront déterminants pour la suite de la prise en
charge. « Le temps du soin aux urgences est déterminant [...].
C'est la qualité de ce premier temps qui conditionnera la qualité
de la prise en charge ultérieure. » (Passamar, Tellier, &
Vilamot, 2011, p. 455). Mais la relation n'est-elle pas censée
être le pivot de la démarche de soin en maladie mentale ?
(Guivrach & Cano, 2013)
4.3.1 Penser la contention
Nous aurons forcément besoin de la contention
mécanique dans des cas extrêmes, ces cas où tous les autres
moyens thérapeutiques ont échoué, ces cas où nous
nous devons quand même
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de trouver une solution pour ne pas laisser le patient se
faire du mal ou faire du mal à autrui. C'est dans ces moments qu'il est
important d'avoir au préalable laissé un espace à la
discussion, et à la réflexion autour de la contention, sans quoi
elle sera utilisée de façon délétère et
traumatique pour le patient. Ces espaces de réflexions sont
également des garde-fous nécessaires quand ces pratiques font
partie de notre quotidien, pour empêcher un glissement vers des pratiques
inappropriés.
M, Azouley et S, Raymond, psychiatres à l'Unité
pour Malades Difficiles (UMD) Henri Colin, nous mettent en garde, contre le
danger actuel de ne plus évoquer ni de conceptualiser la contention
physique. Et de ce fait, de pouvoir devenir maltraitant. En dehors d'un
jugement de la valeur thérapeutique de la contention physique en
elle-même, il s'agit de penser à comment la mettre en oeuvre au
mieux. Puisque de fait, elle semble nécessaire, dans certaines
situations, attachons-nous à la penser au mieux. « La conjoncture
actuelle nous semble dangereuse : vouloir faire comme si la contention physique
n'existait pas, vouloir faire comme s'il était toujours possible de
faire autrement c'est prendre le risque de ne plus jamais l'évoquer, la
conceptualiser, la penser, la réfléchir. Or, il arrivera
forcément un moment où elle s'avèrera nécessaire.
Et c'est là que, sans compétences spécifiques, la mise en
contention sera traumatique pour les patients et pour les soignants [...]
» (Azoulay & Raymond, 2017, p. 844).
4.3.2 Reprise en équipe pluridisciplinaire
Quelle est la place de la contention physique dans le soin en
psychiatrie adulte ? Cette question soulève la question du
positionnement des soignants face à cette pratique. Quelle influence le
positionnement des soignants peut-il avoir dans l'exécution du soin ?
« Comment pouvons-nous rassurer les patients si nous-mêmes ne sommes
pas au clair avec nos pratiques et intimement convaincus du sens
thérapeutique des mesures que nous mettons en place ? » (Azoulay
& Raymond, 2017, p. 844). L'article de Guivrach et Cano (2013) nous donne
une représentation du vécu des soignants lors de la pose des
contentions. « [...] les soignants confrontés à la
contention avaient un vécu majoritairement négatif à type
de frustration, colère et absence de ressenti, qu'il s'agissait pour eux
d'une expérience difficile mais nécessaire, qui était
à la fois un acte de soin et sécurité. » (Guivrach
& Cano, 2013, p. 243). L'absence de ressenti, la colère, la
frustration sont retrouvés dans les symptômes décrivant
l'épuisement professionnel. Dans ce contexte de soin, nous pouvons
craindre que les soignants amenés à contentionner des patients
risquent de perdre l'estime de leur travail. Nous pouvons aussi penser
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qu'en cherchant à se protéger de la perte de
sens que provoque en eux la pose des contentions, ils le fassent de
façon robotique, sans y engager de relation et de portage psychique.
La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande un
temps de reprise en équipe pluridisciplinaire après la pose de
contention à un patient. Dans le but de « Permettre aux soignants
d'exprimer leurs difficultés face à cette pratique vécue
parfois avec culpabilité ; permettre aussi l'expression de la peur ou de
la difficulté de prendre soin d'un patient qui a ou qui a eu un
comportement violent. » et de « Permettre l'expression des
difficultés éprouvées face à un contexte
d'exigences contradictoires et de dissonance éthique. » (Haute
Autorité de Santé, 2017, p. 18). Ce temps de reprise est
indispensable, il permet d'une part que nous remettions sans cesse en question
nos pratiques et d'autre part que nous puissions parler de notre vécu.
Nous autres psychomotriciens, bien que souvent figurants dans ces pratiques
d'équipe, nous avons tout à fait notre place dans ces temps de
reprise et de réflexion. Nous mettons à disposition de tous nos
observations du langage corporel des patients et des soignants. C'est ensemble
que nous pouvons comprendre ce qui a été bénéfique
et ce qui ne l'a pas été. Nous pouvons aussi par la verbalisation
de notre propre ressenti, que nous avons appris à identifier et à
analyser, inciter les autres professionnels à faire de même. Faire
vivre la pensée, la capacité de pensée, le savoir
critique, remettre en cause, se questionner sur les notions de morale et
d'éthique. Pousser les équipes au dialogue, pour penser ses actes
et créer des discussions, c'est aussi oser dire des bêtises.
François Tosquelles, psychiatre catalan, nous dit que nous ne sommes
jamais tant sérieux que lorsque nous ne nous prenons pas au
sérieux. Nous autres psychomotriciens, nous sommes aussi présents
pour parler des émotions de chacun, patients et soignants. Que chacun
prenne une place dans les discussions d'équipe pour que le patient soit
représenté et éclairé par différents
regards. Le psychomotricien se doit de faire exister le corps et plus
spécifiquement le rapport au corps dans l'imaginaire commun. Prendre le
temps pour élaborer, donner du sens, rêver, émettre des
hypothèses, rompre avec l'intelligence rationnelle, c'est mettre
à disposition sa psyché pour penser le patient.
C'est aussi à travers les questionnements autour du
corps que notre présence soulève, que nous pouvons amener les
soignants à penser le patient différemment. C'est au
détour d'expériences avec les équipes soignantes, que nous
échangeons sans nous en rendre compte des éléments de nos
pratiques. Le psychomotricien a pour habitude d'expérimenter avec son
propre corps chaque stimulation qu'il propose au patient. C'est donc
naturellement que je me suis livrée à l'expérimentation de
la contention mécanique. A mon grand étonnement, les soignants se
sont saisis de ce moment, de manière innocente, pour me questionner sur
mon vécu corporel. C'est
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parfois dans ces moments informels, que nous construisons
ensemble une praxie commune. La complexité des pathologies
psychiatriques et de leur prise en charge nous pousse, plus qu'ailleurs,
à mettre en commun nos connaissances. Plus qu'une
pluridisciplinarité, il est souhaitable que nous nous engagions dans une
transdisciplinarité. Saulus la définit comme « la
capacité professionnelle à enrichir sa pratique de données
issues de disciplines différentes de la sienne, sans perdre sa
spécificité » (Saulus, 2008, p. 162). C'est par ces
échanges de pratiques, de connaissances, en amenant dans l'imaginaire
collectif, les concepts d'enveloppes psychiques, de contenances, de toucher
thérapeutique, que nous pouvons participer à la contention
mécanique. Nous pensons cette mesure avec les soignants pour qu'ils
puissent y voir une mesure thérapeutique où leurs gestes, leurs
positionnements, leurs paroles et leur toucher serait aussi
thérapeutique, si ce n'est plus, que la prescription des contentions
mécaniques elles-mêmes.
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