3.4.3 Prise en charge en psychomotricité
Cette prise en charge psychomotrice s'est faite dans un
contexte d'urgence quand l'accès à la parole n'était plus
possible. L'objectif étant d'apaiser le patient et d'éviter
l'escalade provoquée par l'impuissance de l'équipe soignante face
à ce patient, incapable d'exprimer verbalement son mal-être. Ce
contact permis par une médiation corporelle est parfois le seul point
d'accès au patient. D'où la présence du psychomotricien
dans ce contexte pour cette prise de contact, une bonne évaluation de la
demande, une stimulation juste tout en évaluant l'impulsivité
possible à travers son attitude tonique.
Le 04 Avril 2019, durant la matinée, nous entendons
monsieur M., alors en chambre d'isolement, émettre de forts
gémissements sans discontinuer. Nous allons le voir, deux infirmiers et
moi-même. Son visage crispé, exprime une grande douleur morale, de
la tristesse et une expression de son impuissance à maîtriser ce
qui lui arrive. Il se tient debout dans une attitude catatonique, nous fait
face et parfois se tourne vers le mur où il regarde son reflet dans une
vitre opaque, se touchant le visage avec effroi. On peut penser par son
attitude catatonique qu'il n'habite plus son corps, qu'il en est prisonnier,
qu'il le subit. Son absence de mouvement et son expression faciale font penser
à une perte de maîtrise très angoissante. L'attitude de se
regarder dans le reflet de la vitre en se touchant le vissage fait penser
à la dépersonnalisation, on peut sentir une angoisse dans
l'absence de reconnaissance de lui-même. Les infirmiers tentent de lui
parler mais il reste inaccessible à la parole, et continue de
gémir. Il s'assied au sol, un infirmier lui tend la main lui proposant
de s'asseoir sur son lit. S'asseoir au sol c'est aussi aller chercher un appui.
Tout en continuant de gémir, il saisit la main et se laisse faire.
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J'ai compris à ce moment que notre présence lui
était importante mais ne suffisait pas à le calmer, qu'il
était en demande d'aide sans pouvoir l'exprimer verbalement. Il ouvre la
possibilité du contact physique, c'est le premier geste qu'il fait
envers nous. C'est un choix de sa part de passer par le contact physique. Les
infirmiers se tournent vers moi, me demandant du regard si je pouvais
intervenir. La demande de l'équipe, même non verbale est
importante, c'est une volonté de porter ensemble le patient et
d'être coordonnés pour amener au patient ce dont il a besoin au
bon moment. C'est aussi connaitre les approches de ses collègues pour
que les prises en charge soient soutenues psychiquement par tous. Je hoche la
tête et m'approche, lui proposant de s'allonger sur son lit, il participe
bien qu'il ait besoin de notre aide pour se placer sur le lit. Je le recouvre
d'une couverture et commence une séance de toucher thérapeutique
avec des pressions bilatérales en partant des pieds jusqu'à la
tête. Il est immobile en décubitus dorsale, se laisse faire tout
en continuant de gémir. Lentement je remonte jusqu'à son buste et
il commence à s'apaiser peu à peu, ses gémissements
cessent. Quand je redescends vers ses pieds pour faire un deuxième
passage, ses gémissements reprennent et de la même façon,
disparaissent quand j'atteins son buste. Les pressions amènent une
notion de contenance, de solidité et augmentent les retours
proprioceptifs rassurants dans la « présence » de son corps,
ce qui paraissait lui faire défaut devant le miroir. Sans donner
d'indications verbales, je ralentis ma respiration et l'amplifie pour qu'il
l'entende. Il saisit le rythme de ma respiration et se cale dessus en expirant
profondément. La respiration en mimétisme c'est lui donner la
possibilité de retrouver rapidement la maîtrise d'une sensation
intéroceptive, cette maîtrise est apaisante en plus d'apporter de
la détente physiologique (ralentissement du rythme cardiaque). Le
mouvement binaire de la respiration quand il est lent permet aussi une
rythmicité continue (notion de continuité importante) et de
bercement. J'arrive au niveau de sa tête et je sens qu'au contact de mes
mains les traits de son visage se détendent. Le contact des mains sur le
visage amène la détente en focalisant l'attention du patient sur
les ressentis des contractions musculaires du visage et aide à les
relâcher. Nous restons un moment avec lui, continuant ce travail de
respiration, je garde une main sur son ventre. Travailler le moment de la
séparation après un moment d'éprouvé intense, c'est
aussi permettre une sensation de continuité, c'est assurer une
présence au-delà des manifestations de mal-être, prendre le
temps de rester en contact quand le patient va mieux. La séance se finit
à l'arrivée du psychiatre pour l'entretien journalier ; monsieur
M. est alors calme et accessible au dialogue, il parle avec le psychiatre
à l'aide d'un interprète, sans barrage et de manière
fluide.
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Nous pouvons penser cette prise en charge dans l'urgence comme
nécessaire pour ce patient dans ce moment d'angoisse paroxystique. Cette
demande d'aide, bien que non verbale, est formulée par le patient et a
permis de créer un contact, contact qui à son tour lui a permis
de s'apaiser et d'être disponible pour l'entretien de
réévaluation des consignes et du projet de soin
personnalisé. Il a pu verbaliser que la chambre d'isolement était
très angoissante pour lui, ce qui a conduit à son ouverture sur
une plus grande plage horaire.
Passer par le corps était le seul moyen de rentrer en
contact avec lui. Le moment de crise qu'il vivait a amené monsieur M.,
à un moment de régression où il ne pouvait plus s'exprimer
verbalement et il montrait sa souffrance comme le fait un enfant, en
gémissant. Au-delà de la douleur qui était manifeste,
cette manifestation était une demande d'aide et de contact. De la
même manière qu'un enfant vient à pleurer plus fort quand
il voit qu'on le regarde, plus qu'une manifestation physiologique, c'est une
demande de contact. Aussi, si l'on prend en compte son inaccessibilité
par la parole, on peut comprendre qu'il est préférable d'utiliser
des modes de communication correspondant à son état de
régression. Le toucher thérapeutique était à ce
moment le moyen de communication le plus adapté, il contient une
fonction de holding nécessaire quand l'enfant est en souffrance et a
besoin d'être porté, rassuré, bercé. Le dialogue
tonico-émotionnel permet d'apporter au patient - par l'ajustement
tonique du thérapeute - un sentiment de sécurité, un
apaisement. Le travail de la respiration en mimétisme donne un support
au patient, grâce à la respiration du thérapeute, qui lui
permet d'investisse sa propre respiration. C'est dans un premier temps la
possibilité de souffler profondément, d'extérioriser sa
souffrance, de pouvoir la projeter à l'extérieur du corps, elle a
valeur de décharge émotionnelle. Dans un second temps c'est la
reprise de la maîtrise d'un facteur, dans un contexte ou le patient est
dans l'impossibilité de maîtriser ce qui lui arrive. En
contrôlant sa fréquence respiratoire, ce sont tous les
paramètres vitaux qui vont être modifiés. Avec l'activation
du système parasympathique, la respiration lente et profonde permettra
une diminution de la fréquence cardiaque et de la tension
artérielle.
La présence du psychomotricien dans l'unité
permet des interventions que l'on pourrait qualifier à « chaud
». D'une part, elles servent à faire une évaluation
psychomotrice de l'état du patient pour aider au diagnostic, mais
également évaluer la sthénicité du patient, la
prise en compte de facteurs psychomoteurs comme la proxémie, le dialogue
tonique, les réactions de prestances, le discourt infra-verbale. Ces
signes cliniques sont difficilement perceptibles pour
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l'équipe aux vues de l'inaccessibilité par le
langage qui pourrait être due, dans le cas de monsieur M, uniquement
à la « barrière de la langue ». Cependant cette
inaccessibilité au langage peut être retrouvé chez beaucoup
de patient, en particulier avec la présence d'un mutisme ou d'un
discourt non congruent avec leurs émotions. A la suite de ce temps
d'évaluation, c'est aussi la possibilité d'entrer en contact avec
lui par le dialogue tonico-émotionnel avec des stimulations apaisante et
contenante. Ce temps qui pourra être bénéfique pour
crée de l'alliance thérapeutique avec l'équipe et permette
de faciliter les échanges avec le psychiatre.
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