2.4.4 Image du corps
Aux prémices de la construction de l'image du corps,
l'enfant acquière une unification corporelle. Wallon (1931), parle des
différentes étapes qui conduisent à la construction du
sentiment d'unité corporelle qu'il appelle corps propre. Morin et
Thibierge (2004) nous le décrivent dans leur article que « Le corps
est d'abord traité par l'enfant comme s'il était fait de parties
distinctes, animées chacune d'une vie personnelle : tel enfant peut
ainsi offrir des morceaux de gâteau à ses orteils. » (Morin
& Thibierge, 2004, p. 421). C'est par la suite, entre six mois et deux ans
que Lacan (1949) situe le stade du miroir dans. L'enfant va alors
s'intéresser à son image dans le miroir, dans un premier temps,
en pensant que c'est un autre enfant et tente alors d'interagir avec lui. Puis
c'est avec la présence de l'autre (la mère) qui le porte et le
désigne physiquement et verbalement « C'est toi », que
l'enfant peut reconnaitre dans un premier temps l'image de sa mère comme
le reflet de celle-ci. Pour enfin à travers le regard de l'autre
s'identifier à son reflet et acquérir la notion d'unité
corporelle. Pourtant, chez le patient psychotique, une absence de sentiment
d'unité corporel persiste. Ce sentiment peut aller jusqu'à des
angoisses archaïques de morcellements, initialement très
précoce dans le fonctionnement psychique.
Bullinger (2004) fait l'hypothèses que « l'image
du corps est maintenue présente par les sensations elles-mêmes,
mais dès que les sensations cessent, l'image du corps s'estompe »
cité par (Jeannerod, 2010, p. 185). Cette sensation d'unité
corporelle est entretenue par les modulations permanentes de ces états
toniques, en absence de ces sensations, les patients psychotiques ne ressentent
plus cette unité corporelle. Pour pallier ces angoisses, les patients
peuvent adopter plusieurs stratégies qui seront alors
révélatrices de la nature de leurs angoisses et si nous nous
attachons à les observer et les comprendre, elles nous orienteront vers
un travail approprié en psychomotricité. Souvent l'augmentation
du tonus musculaire globale permet d'activer le système proprioceptif
dans le but de garder un ressenti corporel, un contact avec leur corps qu'ils
sentent sinon absent. Ils peuvent également diminuer l'amplitudes de
leurs
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mouvements de façon à garder leurs membres
contre leur axe corporel, dans l'angoisse qu'en les décollant un peu
trop ils puissent se détacher.
Schilder, neurologue et psychanalyste, introduit le terme
d'image du corps et le différencie du schéma corporel en le
désignant comme « l'image de notre propre corps que nous formons
dans notre esprit, autrement dit la façon dont notre corps nous
apparaît à nous même » cité par (Jeannerod,
2010, p. 185). Nous pouvons donc comprendre cette notion comme une construction
au-delà de la perception des sens, qui mêle l'imagination et les
représentations mentales. Lhermitte (1998) décrit la forme de
cette image comme notre lien avec le temps, elle serait donc chargée de
sens et d'histoire.
L'investissement du patient psychotique de son corps va
être empreint de son délire et modifiera alors, parfois
profondément, son image du corps. Nous pouvons émettre
l'hypothèse, que souvent, cette construction délirante qui se
forme autour du corps du patient est elle-même compréhensible en
cela qu'elle s'appuie sur des « perceptions sensorielles » investies
de façon délirante ou encore sur des évènements
symboliques de l'histoire du patient.
Madame A, patiente de l'unité intersectorielle de soins
intensifs, me parlait fréquemment de ses hallucinations
cénesthésique26. Elle décrivait la
présence d'un chat dans son ventre, ou encore un chat qui tétait
le lait de ses seins, de l'intérieur. Ces sensations corporelles
étaient présentes au moment de ses menstruations et peuvent faire
penser à des sensations réelles dont l'interprétation est,
elle erronée. Elle me faisait également part de sensations
douloureuses d'un arbre lui poussant dans l'anus. Cette sensation pouvait
être corrélé à des douleurs réels de par la
constipation de madame A à ce moment.
Bullinger nous dit que Les stimuli auditifs, vestibulaires,
proprioceptifs, tactiles et visuels sont progressivement intégrés
au sein d'une représentation globale de soi. Les grandes fonctions
psychomotrices comme la coordination des deux côtes du corps,
l'organisation des activités motrices avec le niveau
d'activitéì, la capacitéì
d'attention, la stabilitéì émotionnelle
prennent leur source dans cette représentation unifiée de l'image
du corps. » (Kloeckner, et al., 2009, p. 155)
26 Concernant la sensibilité interne
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L'origine du mot schizophrénie, introduit par le
psychiatre Eugen Bleuler illustre la notion de fragmentation de l'esprit,
« schizein » provenant du grec fractionnement et « phrèn
» l'esprit. Nous pouvons percevoir dans la schizophrénie le
fractionnement entre les différentes voies sensorielles qui ne peuvent
plus s'accorder pour crée une cohérence et donner une
représentation unifiée du vécu corporel. La sensation
d'unité corporel est présente quand les différentes voies
sensorielles concordent et sont cohérentes. Quand les voies sensorielles
n'envoient pas des informations cohérentes entre elles, le vécu
corporel est discordant. Nous pouvons citer en exemple les trajets en voitures
où les informations vestibulaires ne correspondent pas aux informations
visuelles ce qui peux provoquer des nausées. Également les
personnes amputées qui ressentent des sensations dans le membre
fantôme tout en ayant une perception visuelle en adéquation avec
leurs sensations. Nous pouvons nous inspirer de ce dernier cas ou
l'expérience montre qu'en créant l'illusion de la présence
de la jambe manquante par une stimulation visuelle en plaçant un miroir
reflétant la jambe opposée, les douleurs fantômes peuvent
cesser. Nous pouvons émettre l'hypothèse qu'en rassemblant les
vécus des différentes voies sensorielles nous pourrions
reconstruire un vécu corporel cohérent pour ces patients. Dans
ces pathologies, la problématique psychomotrice principale se situe
autour de l'altération de la sensation de permanence du corps, de
l'unité corporelle, de l'enveloppe corporelle et psychique. Bullinger
conçoit que « Le travail en
psychomotricitéì s'orientera à un niveau global
vers l'intégration de l'enveloppe corporelle. On peut proposer des
expériences de rassemblement à partir de médiateurs
sensoriels (portage dans des tissus ou un hamac, enveloppe sonore, sensations
vibratoires, pataugeoire) inscrits dans une relation. » (Kloeckner, et
al., 2009, p. 155). C'est cette enveloppe corporelle qui garantit la
sécurité et la permanence du corps. « Le
développement sensorimoteur se conçoit dans la perspective de
Bullinger comme une suite d'étapes qui s'emboitent en suivant un axe
céphalocaudal. Elles aboutissent à la maîtrise d'espaces
corporels : l'espace utérin, l'espace oral, l'espace du buste, l'espace
du torse et l'espace du corps en déplacement. Cette construction de
l'axe corporel met en lien les acquisitions posturales, les coordinations
sensorimotrices et les notions spatiales. L'axe corporel apparaît non
seulement comme un appui postural mais aussi comme un appui
représentatif et émotionnel, à mettre en lien avec les
identifications intracorporelles décrites par Haag » (Kloeckner, et
al., 2009, p. 156).
Eric Pieryre (2008), s'appuie sur le travail
de Françoise Dolto et développe la notion d'image composite du
corps qu'il substitue à l'image du corps. Dolto introduit l'idée
que l'image du corps aurait à voir avec une temporalité
antérieure au corps conscient. Pieryre dénombre huit
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composantes reliées à cette période
archaïque et formant l'image composite du corps. Il les regroupe en deux
ensembles, celles déjà élaboré par les
psychologues, psychanalystes, comprenant le sentiment de continuité
d'existence, le processus d'individuation et l'identité sexuée.
Dans un autre ensemble, il ouvre la voie aux travail spécifique du
psychomotricien en regroupant, la peau articulation du physique et du
psychique, le contrôle de la sensorialité, le vécu du
contenu de l'intérieur du corps, les angoisses archaïques, et les
mécanismes de défenses corporels basé sur la
tonicité. Il présente dans son article une grille des indices
positifs et négatifs d'observation de l'image composite du corps, un
outil pour le bilan psychomoteur de l'image du corps.
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