1.2.1.3. LE MODELE NEOCLASSIQUE : L'APPROCHE DE
SOLOW
Le modèle néoclassique, tel que l'on
conçoit aujourd'hui, a été développé
successivement par Ramsey (1928), Solow (1956), Swan (1956), Cass (1965) et
Koopmans (1965).
Robert Solow1 en est la figure
pensante. Son article intitulé « A Contribution to the Theory
of
Economic Growth » et paru en 1956 dans the
Quarterly Journal of Economics, attribue
l'origine de la croissance par tête au montant de
capital technique investi (machines, équipements, logiciels,
infrastructures...). Lorsque l'investissement par tête dépasse le
montant de la dépréciation du capital par tête existant,
chaque travailleur dispose d'un équipement plus performant et peut
produire davantage. Toutefois, lorsqu'on augmente le capital par tête, la
production augmente, mais pas de façon proportionnelle
(c'est le principe des rendements décroissants). Ainsi
à force d'augmenter le capital par tête, va venir un moment
où la production par tête augmentera moins vite que cela ne
coûte. La croissance par tête va cesser, c'est que Solow appelle
l'état régulier. L'état régulier dépend du
coût relatif du capital. Si ce dernier diminue (un renchérissement
du coût du travail incitera les entreprises à substituer du
capital
1 Prix Nobel d'économie en 1987
~ 23 ~
au travail), alors l'investissement par tête va
augmenter de nouveau jusqu'à ce qu'un nouvel état régulier
soit atteint. Le modèle de Solow repose sur des hypothèses de
type néoclassique : toute l'épargne est investie, les rendements
sont décroissants, la substitution du capital au travail, la concurrence
empêche l'existence de rentes de monopole et de comportements
price-maker. Il rend également compte de plusieurs faits importants :
? Le niveau de production d'un pays est
déterminé par l'investissement par tête qui y est
effectué. Tant que le niveau d'état régulier n'est pas
atteint, un investissement supplémentaire est toujours
générateur de croissance économique.
? Il explique les phénomènes de rattrapage des
pays qui ont commencé leur croissance économique plus
tardivement. L'hypothèse retenue par ce modèle, c'est la
propriété de convergence (plus le niveau de départ du
PIB/hab est faible, plus le taux de croissance attendu est
élevé). Le modèle de Solow délivre un message
optimiste : tous les pays qui font un effort d'investissement, sont
susceptibles de connaître une croissance économique. A terme, on
se dirige vers une convergence, puisque tous les pays proches de leur
état régulier connaissent, pour un taux d'investissement
donné, une croissance plus faible que celles des pays qui en sont moins
proches. Si tous les pays étaient identiques (à l'exception de
leur intensité de départ en capital) : la croissance des pays les
plus pauvres serait plus rapide que celle des pays les plus riches.
? Le modèle de Solow met en lumière la
règle d'or. Cette dernière consiste à déterminer le
taux d'épargne s associé au capital par tête k qui permet
la plus grande consommation par tête à chaque instant. Ce taux
d'épargne est tel qu'il conduit à une formation de capital dont
la productivité marginale est égale au taux de croissance de
l'économie. La règle d'or s'écrit alors :
Productivité marginale du capital = Taux de croissance de
l'économie. Si on suppose que le taux d'intérêt réel
est donné par la productivité marginale du capital2,
la règle d'or devient : Taux d'intérêt réel = Taux
de croissance de l'économie.
? Enfin, le modèle néoclassique dépasse
le simple cadre des biens physiques pour inclure le capital humain sous toutes
ses formes : niveau d'éducation, d'expérience, santé
(Lucas, 1988). Si l'économie tend vers un ratio d'équilibre
stable entre capital humain et capital physique, ce ratio peut au départ
s'écarter de sa valeur de long terme. L'ampleur de cet écart
affectera la vitesse à laquelle le produit/habitant se rapproche de son
niveau d'équilibre. (ex:
2 Ceci est la traduction de la
règle : tous les facteurs de production sont
rémunérés à la productivité marginale,
l'intérêt réel étant la rémunération
du capital.
~ 24 ~
ratio capital humain/capital physique élevé).
Ainsi le taux de croissance d'une économie sera d'autant plus sensible
à son niveau de départ de production/habitant que son stock de
capital humain le sera.
Le modèle de Solow s'est cependant écarté
de la réalité en considérant que la croissance
économique par tête devait peu à peu diminuer et finir par
cesser de progresser : ainsi en l'absence d'innovations technologiques
continues, la croissance du produit/hab cesse (application de
l'hypothèse des rendements décroissants et d'une croissance
limitée : Ricardo et Malthus). Les observations ont montré que la
croissance économique progressait même à un rythme ralenti
et demeurait un fait majeur de toutes les économies
développées.
Arrow (1962) et Sheshinski (1967) ont alors proposé des
modèles dans lesquels les découvertes étaient des
retombées de la production ou de l'investissement (mécanisme
décrit comme l'apprentissage). Chaque découverte a des
retombées immédiates sur l'économie (diffusion rapide). Le
modèle de Solow fût enrichi en y intégrant la notion
d'investissement en capital humain. Sous l'impulsion de Gregory Mankiw, David
Romer et David Weil (1992), la notion d'investissement en capital humain
fût assimilée à un investissement de court terme. Si une
formation permet de transformer du travail non qualifié en travail plus
qualifié, donc d'utiliser des équipements plus complexes et d'en
tirer meilleur parti, le niveau technologique du pays augmente du même
coup son état régulier et son rythme de croissance.
1.2.1.4. L'ECOLE DE LA REGULATION ET LE REGIME
D'ACCUMULATION La théorie de régulation est le fruit
d'un programme de recherches lancé à la fin des années 60.
Robert Boyer (1993) rappelle que la question était de savoir «
si la croissance que les pays industrialisés avaient connue depuis
le lendemain de la Second guerre mondiale allait durer ». Michel
Aglietta, puis Robert Boyer furent ainsi conduits à introduire la notion
de régime d'accumulation afin de souligner que la
généralisation de l'échange marchand pouvait rendre les
crises possibles.
Durant les Trente Glorieuses, le régime d'accumulation
qui s'est imposé, fût le régime fordiste. Le monde fordiste
était caractérisé par une autorégulation des
rapports sociaux, entre, d'une part, le mouvement ouvrier et sa
représentation syndicale, et, d'autre part, un capitalisme
managérial qui pouvait servir d'interlocuteur au mouvement ouvrier,
parce qu'il en partageait fondamentalement les principes aspirations :
protéger la firme des aléas économiques dus à la
concurrence et au cycle des affaires. D'un point de vue social, le travail
à la chaine pouvait se comprendre comme une manière de rendre
productif les travailleurs a priori les plus démunis. La parcellisation
des tâches permettait de rendre utilisable une main d'oeuvre non
qualifiée.
~ 25 ~
Cette intégration s'effectuait également par les
plans de carrière qui protégeaient les salariés des
aléas de l'existence. Le fordisme reposait ainsi sur un contrat
implicite : l'obéissance (voire l'aliénation) en échange
d'une protection contre les aléas de l'existence. Or c'est
précisément ce contrat tacite qui a été remis en
cause avec la crise du fordisme. Il n'y a plus de carrière
assurée et on fait reposer sur l'individu l'effort de
l'intégration dans l'entreprise. La théorie de la
régulation s'est ainsi proposé de concevoir les outils qui
permettraient d'analyser la crise du régime de croissance fordiste et
d'imaginer le régime qui lui succéderait. La notion de
régime d'accumulation a notamment permis d'introduire le concept de
formes institutionnelles, définies comme la codification d'un ou
plusieurs rapports sociaux fondamentaux. Robert Boyer (1986) introduit cinq
formes institutionnelles (la monnaie, le rapport salarial, la concurrence, les
modalités d'adhésion au régime international, l'Etat)
intervenant dans la détermination du régime d'accumulation.
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