Le mouvement féminin et féministe au nord du Maroc. Objectifs et répertoire d'actions: 1990-2010par Fadma Ouaiaou ULB - Master 2011 |
V.2. REPERTOIRE D'ACTIONS DES FEMINISTES ENTRE UNIVERSALISME ET ISLAMISMEAu cours de nos recherches et surtout lors de notre étude de terrain, nous avons pu constater que dans la région du norddu Maroc, il y a une forte présence de deux courants de féminisme marocain, ces deux derniers sont totalement différents l'un de l'autre. En effet,l'approche des problèmes sociaux, économiques, juridiques et culturels des femmes se fait de manière différente selon le courant. Pour rappel, dans les faits, le premier mouvement a pour objectif de se baser sur les textes religieux, tandis que le second a pour seul référence, les textes universels des droits de l'Homme malgré qu'ils prétendent l'un et l'autre avoir comme référence la religion et les textes universels. Le peuple marocain est en grande partie partagé entre les deux courants et ces derniers semblent cohabiter parfaitement ensemble, voire même être complémentaires. Toutefois, malgré des apparences de paix et même d'une coordination entre les deux courants, leurs rapports sont continuellement et quotidiennement en opposition. Et parfois même, en confrontation quipeut se manifester par une guerre froide et silencieuse. Par exemple, à Larache, ville à forte activité associative, les courants sont souvent en opposition. Ils doivent même faire face à des débats et à des conflits pouvantaller jusqu'à la destruction dutravail associatif.Aussi, les réponses données par les responsables des associations féminines par rapport au travail de coordination et de réseautage local sont plus que décevantes. Par conséquent, lors de l'entretien avec la directrice du centre d'écoute (Mains Solidaires) de Larache, cette dernière a expliqué « Malgré que l'association organise des activités auxquelles sont invitées toutes les associations travaillant avec les femmeset ce, quelque soit leur référence, la coordination ne va pas plus loin quela simple présence aux activités. En plus, au sujet du travail quotidien, il y a une contradiction de visions des associations vis-à-vis des différents problèmes dont doit faire face une association. Par exemple, pour la violence conjugale, selon le courant auquel appartient l'association, le problème est traité différemment. Nous pouvons donc dire qu'en pratique il n'y a pas decoordination »202(*). Cette divergence pose un gros problème d'orientation pour les femmes, allant même jusqu'à une déstabilisation pour elles, et plus particulièrement, chez les femmes victimes de violence. Par exemple, cette problématique sera abordée de manière totalement différente en fonction du mouvement auquel s'adresse la femme violentée. Les membres du mouvement universaliste tenteront de déculpabiliser la femme quant à l'acte commis et sur l'utilité de dénoncer l'acte de violence. Leur préoccupation majeure est la sécurité de la femme. Alors que les membres du mouvement islamiste auront tendance à directement tenter une réconciliation au sein du couple. Leur préoccupation majeure est à l'inverse des universalistes, de préserver une unité familiale alors que le rôle des centres est censé être de protéger les victimes des menaces de l'agresseur (le mari), qui doit être jugé. L'observation des divergences au sein des actions des mouvements féminins marocains nous conduit à constater que la multiplicité des actions ne joue pas en faveur de l'unité du mouvement féministe marocain. « La segmentation du mouvement féministe au Nord du Maroc, n'est pas due uniquement au problème du référentiel entre les universalistes et les islamistes mais aussi, à une aliénation politique au sein même des universalistes »203(*). L'échec des expériences de réseautage et de partenariat témoigne de la densité des conflits idéologiques qui détruisent l'unité et même l'identité du féminisme marocain comme un mouvement social selon la conceptualisationde Touraine204(*).En effet, l'obsession idéologique peut détruire l'unité du féminisme marocain, et nuire à son identité commune. Force est de constater que le féminisme universaliste perdra de vue le véritable adversaire et le meilleur allié. Ainsi, au printemps 2000, « les alliances contre le PANIFD étaient marquées par une contradiction de référentiel, mais étaient unifiées sur le but de préserver les traditions d'une société patriarcale »205(*).Cependant, nous ne nous attarderons pas sur les autres causes de ces divergences car ce n'est pas le but de cette présente recherche. En conclusion, ces conflits ont produit une segmentation du féminisme marocainalors que les universalistes venaient à peine de construire une identité propre, indépendamment des partis politiques et de toute autre institution étatique ou religieuse. Il est également important de noter pour la suite de la présente recherche que les changements de lois, (code de la famille, levé des réserves sur CEDAW, la loi sur la nationalité, une loi contre le harcèlement sexuel) ainsi que lespolitiques publiques d'Etat basées sur l'approche genre ont pu créer une relation de réciprocité entre les tendances du féministe et l'Etat. De ce fait, cela a permis la renaissance du féminisme d'Etat déjà inauguré la veille de l'indépendance par le code du statut personnel visant à instaurer l'autorité du Makhzenà travers la cellule familiale. * 202 Entretien réalisé le 28 décembre 2010 à Larache. * 203 L'entretien avec la présidente de la section de Larache de LDDF le 27 décembre 2010. * 204Alain Touraine, la voix et le regard, Paris, Seuil. 1978. * 205 Propos accueillis de l'entretien avec la présidente de la section de LDDF à Larache le 27 décembre 2010 |
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