PARTIE I -
L'hydro-diplomatie : une approche efficace pour une gestion de l'eau
pacifique et durable
Qu'est-ce que l'hydro-diplomatie ?
Dans cette première partie, il est question de
définir, de manière générale, l'hydro-diplomatie et
sa fonction dans les relations hydriques entre les États. Ainsi,
l'hydro-diplomatie, ou diplomatie de l'eau, permet, comme l'écrivent
Shadiqul Islam et Amanda C. Repella dans l'article « Water
Diplomacy: A Negotiated Approach to Manage Complex Water
Problems », de mettre en relation les différents
États, les intérêts des entités concernées et
les outils à la disposition des différentes parties afin de
distinguer l'angle d'approche pour analyser un problème, le traiter et
peut-être le résoudre sans que cela ne désavantage l'une
des parties concernées. En ce sens, ces dernières entités
peuvent aussi bien être les États limitrophes que tous les autres
acteurs impliqués dans le problème hydrique en question. Il peut
donc s'agir des populations touchées par le problème, des
organisations gouvernementales, telles que des commissions gouvernementales
spécialisées dans le domaine des affaires hydriques, ou non
gouvernementales. De plus, les intérêts mentionnés plus
haut sont définis par les auteurs de la manière suivante :
« the reasons and objectives that underlie positions that develop to
secure or advance the values held by stakeholders » (Islam et Repella
2015, 3). Puisque les problèmes hydriques sont certes
écologiques, mais entraînent également des
conséquences sociales et politiques, au niveau étatique et
non-étatique, il est nécessaire de trouver des solutions qui
conviennent au mieux au plus grand nombre.
Selon les deux auteurs encore, le concept de diplomatie de
l'eau a émergé pour permettre une alternative plus flexible aux
approches diplomatiques conventionnelles, souvent peu adaptées aux
risques et aux intérêts des parties engagées dans un
problème hydrique (Islam et Repella 2015, 6). En effet, ces approches
diplomatiques traditionnelles n'envisageaient pas l'intervention
d'organisations non gouvernementales, ni des populations, dont les points de
vue sont aujourd'hui pris en compte. Il semble donc que le dessein de
l'hydro-diplomatie pour Islam et Repella soit de constater les
différences entre les États et les parties concernées dans
le but de garantir les intérêts de chacun d'entre eux dans une
coopération, afin que celle-ci reste pacifique et qu'elle
débouche sur une résolution du problème donné.
De plus, dans la mesure où la diplomatie hydrique est
définie comme la pratique de l'utilisation de l'eau comme vecteur de
relations internationales et de coopération entre les parties
impliquées dans cette gouvernance (« Water Diplomacy and
Mediation » s.d.) et la diplomatie scientifique comme le recours
à la collaboration scientifique entre les nations pour résoudre
des problèmes communs et mettre en place des partenariats et une
coopération (« What Do You Mean by Science
Diplomacy? » s.d.), il est opportun de considérer
l'hydro-diplomatie comme un mélange de ces deux concepts. En effet,
même si la diplomatie de l'eau doit être conçue et
perçue comme utilisant des moyens diplomatiques pour faire
coopérer des nations, entre autres, en lien avec l'utilisation, la
préservation et la conservation de l'eau et de la biodiversité
aquatique à la frontière, l'intervention de scientifiques dans
cette gestion pacifique des problèmes peut se révéler
primordiale. Ils peuvent, par exemple, aider à mettre en oeuvre des
projets à l'échelle régionale. L'IBWC en est un exemple
puisque des experts, des scientifiques et des agents locaux travaillent
conjointement pour tenter de répondre aux problèmes hydriques
à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, comme
il en sera question dans la prochaine partie.
Il existe également un enjeu économique et
social à cette préservation. Souvent, l'eau à la
frontière permet aux populations limitrophes de préserver leur
économie qui repose, entre autres, sur une agriculture
nécessitant l'utilisation d'une très grande quantité
d'eau. En effet, dans un contexte de pollution grandissante des eaux qui
entraîne une impossibilité de l'utiliser et de
réchauffement climatique global qui peut déboucher sur une
réduction de la quantité d'eau à la frontière, les
enjeux de conservation et d'approvisionnement sont encore plus importants.
L'un des objectifs affichés de l'hydro-diplomatie est
de prévenir la militarisation des conflits liés à l'eau en
utilisant la diplomatie et la coopération (Comair 2021). Par exemple,
l'Afghanistan et ses voisins, dont l'Iran, sont actuellement impliqués
dans un conflit que des organisations internationales tentent de
maîtriser. En effet, ce pays souhaite développer des
infrastructures hydriques grâce aux rivières frontalières
et les exploiter au maximum pour l'irrigation et la fabrication
d'électricité. Toutefois, même si les pays voisins ne
voient pas cette utilisation de l'eau d'un très bon oeil, aucun dialogue
n'est initié et donc aucun moyen de résoudre les tensions de
manière coopérative n'a été trouvé
(« Transboundary Water Disputes between Afghanistan and
Iran » s.d.). Il est ainsi possible de redouter une militarisation de
ce conflit.
Dans un contexte de tentative d'apaisement pour éviter
de la militarisation d'un conflit hydrique, il est important de rappeler que le
terme « hydro-diplomatie » lui-même n'est apparu que
tardivement, dans les années 1990, période pendant laquelle il
était nécessaire de trouver un terme précis pour qualifier
la régulation et la gestion pacifique de l'eau entre différentes
parties. En cette fin du XXe siècle, les problèmes
hydriques au niveau mondial se multipliaient, notamment causés par le
dérèglement climatique et la pollution des eaux par les
industries. Néanmoins, la gouvernance qui existait jusqu'alors
n'incluait pas l'aspect environnemental et les problèmes
environnementaux que cela impliquait, mais seulement la gestion et la
répartition des eaux entre différents États. C'est ainsi
que de plus en plus d'ONG se sont engagées pour la préservation
de l'environnement et pour aider les communautés limitrophes à la
conservation des eaux (Fauchon 2012, 12). C'est grâce à
l'hydro-diplomatie que les États faisant face à des
problèmes hydriques et aux retombées environnementales
choisissaient, dès lors, d'utiliser la voie diplomatique plutôt
que d'avoir recours à la force militaire dans un premier temps ou de
faire le choix de ne pas s'en préoccuper et de laisser s'installer les
conséquences sociales, économiques et environnementales de ces
problèmes. L'idée était de permettre de résoudre
ces problèmes dans une certaine mesure ou, au moins, de contribuer
à maintenir la meilleure situation possible sans l'aide militaire.
L'instauration du terme hydro-diplomatie a donc permis, au niveau
international, d'inclure l'environnement et sa préservation dans les
relations hydriques. En effet, jusqu'alors, la gouvernance hydrique entre les
États se contentait de répartir une certaine quantité
d'eau entre différentes parties et de s'assurer que cette
quantité était respectée sans se soucier de la
qualité de cette eau ni des problèmes environnementaux à
la frontière. C'est pour cette raison que Fadi Comair, Diplomate de
l'eau de l'American Academy of Water, a pensé ce concept
comme :
« le travail diplomatique avec l'expertise en
matière de planification de projets hydrauliques, via la création
d'une coopération régionale. [...] Une grande place est
également allouée à l'utilisation des eaux non
conventionnelles - dessalement, recyclage des eaux usées... - qui permet
un apport d'eau supplémentaire pour satisfaire la demande de tous les
secteurs d'utilisation » (Comair 2017b).
Cette citation résume l'efficacité
souhaitée de l'hydro-diplomatie et des apports d'une telle gouvernance
pour la préservation de l'eau puisqu'il est question de la gestion des
eaux conventionnelles et non-conventionnelles et de leur réutilisation
pour répondre aux attentes des populations et des États
limitrophes. Aussi, Fadi George Comair prend l'exemple du Moyen-Orient, dont il
est expert, en expliquant qu'il faut rassembler dans une nouvelle gouvernance
tous les acteurs liés à la gestion de l'eau, que ce soit des
institutions transnationales, des organisations gouvernementales ou non
gouvernementales ou tout autre acteur (Comair 2021). S'agissant des
États-Unis et du Mexique, comme il en sera question dans la prochaine
partie, l'IBWC (International Boundary and Water Commission) est une
Commission binationale qui tente de jouer ce rôle. L'Accord de
libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994 fut également
un point clé, en théorie, pour l'introduction d'un aspect plus
environnemental à la gouvernance de l'eau à la frontière
de l'IBWC. En effet, il devait mettre en place une coopération
environnementale, notamment à travers la création de
différentes instances, telles que l'ANACDE qui devait améliorer
la protection de l'environnement en Amérique du Nord tout en
empêchant que le libre-échange ne nuise à celui-ci (Lemieux
et Groulx-Julien 2012, 73). Dorénavant, la Commission tente de
préserver les relations diplomatiques, politiques et économiques
mexicano-étatsuniennes tout en essayant d'apporter des solutions aux
problèmes hydriques et environnementaux à la frontière.
Docteur Susanne Schmeier, quant à elle, définit
l'hydro-diplomatie comme un ensemble de points permettant une
coopération. Il s'agit de l'application d'instruments diplomatiques qui
se concentrent sur les désaccords et les conflits pour assurer la
coopération régionale, la stabilité et la paix (Schmeier
2018, 2). Cette définition est similaire à celle de Fadi George
Comair qui considère les pays frontaliers comme des
« catalyseurs pour la paix » qui collaboreraient
positivement pour assurer une véritable politique de gestion de l'eau
pacifique (Comair 2017a, 53). Dans cette perspective, l'hydro-diplomatie permet
une coopération lors de problèmes hydriques entre des pays plus
ou moins développés ou, lorsque les pays en question sont peu
développés, d'être soutenus par des organismes
internationaux.
De plus, Ganesh Pangare et Bushra Nishat considèrent,
dans un chapitre du livre Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across
Border, que l'hydro-diplomatie ne se résume pas à
l'expertise scientifique :
« with growing environmental concerns and strong
disagreement about water infrastructures, the international community is
looking at facilitating trust building processes, focusing not only on
knowledge management, thematic studies, environmental monitoring but also
on ensuring soft skills towards improving political sensitivity and negotiation
» (Pangare 2014, 4).
Ainsi, selon eux, la communauté internationale est
d'autant plus essentielle qu'elle doit permettre de cultiver des
compétences en négociation et en gestion coopérative des
connaissances et de la surveillance de l'environnement. Ainsi, encore une fois,
un point fondamental de l'hydro-diplomatie demeure la coopération
pacifique qui allie des études scientifiques à de la
négociation. Néanmoins, comme il peut être observé
avec les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et, par
exemple, le Traité de 1944 qui semble incarner une forme précoce
d'hydro-diplomatie, il arrive que l'État mettant en place un cadre de
travail le fasse de manière à ce qu'il lui soit plus favorable
qu'aux autres États. Ainsi, comme cela a été
évoqué dans l'introduction, l'IBWC permet aux deux États
partenaires de détenir le même nombre de scientifiques, d'experts
et d'ingénieurs, pour des questions d'égalité.
Malgré cette égalité affichée, il sera
étudié dans la prochaine partie que, dans la période
précédent la signature du Traité de 1944, le poids de
certains États, tels que le Texas, a déséquilibré
cet équilibre pour favoriser leurs intérêts dans sa mise en
oeuvre, dans le cas du Rio Grande. Ceci a pu se faire grâce au poids du
Texas à l'échelle nationale (Mumme et Little 2010, 256), comme il
en sera question plus précisément dans une prochaine partie. De
plus, la sécheresse de Mexicali de 1943 a encore plus affaibli le
Mexique qui a fait appel à un organisme californien pour obtenir
davantage d'eau (Anderson 1972, 608). Cette initiative du Mexique a ainsi
augmenté le pouvoir de l'État de Californie dans la mise en place
des principes du Traité concernant le Colorado. Dans cette optique,
l'impact du Mexique dans la mise en place de ce Traité était bien
plus faible. Les États-Unis ont ainsi fait en sorte qu'il leur
bénéficie plus qu'au Mexique.
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