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La commission internationale des frontières et des eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l'environnement


par Clémence Léger
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 - Master Etudes Européennes et Internationales - Aire anglophone 2022
  

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Chapitre II - Relations diplomatiques et hydriques jusqu'à 1944

Diplomatie entre les États-Unis et le Mexique

Il est crucial de garder à l'esprit que l'IBWC n'apparaît qu'en 1944. En effet, jusqu'alors, elle était connue sous le nom d'IBC et ne concernait que la frontière et, dans une moindre mesure, l'eau à la frontière. Il faut aussi rappeler que le Traité de 1944 a été instauré à une époque où l'IBC n'était plus suffisante pour contrôler l'eau à la frontière. En effet, cette commission visait surtout à prendre en charge la frontière terrestre, même si en 1933, les deux nations s'étaient engagées à stabiliser la frontière fluviale du Rio Grande avec l'aide de l'IBC, ainsi que les crues de ce fleuve (« History  of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Cette Commission était trop faible dans un contexte de relations hydriques puisqu'elle ne prenait en compte qu'une petite partie des eaux frontalières et donc une infime part des problèmes d'approvisionnement dans les États bassins du fleuve Rio Grande. Le Colorado n'était, quant à lui, pas encore pris en compte par l'IBC (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Dans ce contexte, un nouveau document clé, supposé plus fort, devait voir le jour (comme un traité), pour garantir plus de prérogatives à la Commission, pour ce qui est de l'utilisation des eaux du Colorado et du Rio Grande, et assurer que les décisions seraient respectées par les États-Unis et le Mexique. En outre, comme cela a été vu dans le chapitre précédent, au cours de la première moitié du XXe siècle, les questions environnementales n'étaient pas au centre des préoccupations des États-Unis et du Mexique.

Ainsi, pour comprendre la situation hydrique avant 1944, il faut revenir sur la volonté des États-Unis de fédérer le plus d'alliés possible pour créer un nouveau système international et mondial, d'où la « politique de bon voisinage » dont il est question dans cette section. Cela reflète le développement de programmes binationaux de la première moitié du XXe siècle qui ont contribué à la mise en oeuvre du Traité de 1944. Ce n'est qu'après sa mise en place que des réglementations ont été établies pour l'ensemble des eaux frontalières afin de répondre aux problèmes économiques, notamment, liés à l'eau à la frontière avec l'aide de l'IBC (1889).

Il faut d'abord rappeler que le XXe siècle fut une période tendue diplomatiquement entre les deux pays : l'interventionnisme des États-Unis au Mexique entraînait un manque considérable de confiance de la part du Mexique par rapport aux intentions des États-Unis. En effet, le Mexique craignait la dépendance envers les États-Unis et la perte de son identité avec le processus d'américanisation. Il n'était ainsi pas enclin à coopérer avec ses voisins étatsuniens si cette collaboration impliquait de devenir une nouvelle marionnette de la superpuissance et de perdre son identité.

Ainsi, l'idée pour le Mexique était de conserver une certaine autonomie afin de ne pas devoir compter sur les États-Unis à tous les niveaux. Malgré tout, un manque de confiance persistait, comme l'explique Susan Kaufman Purcell dans son article « U.S.-Mexico Relations: An Optimistic View » :

« from the U.S. point of view, Mexico's fear of dependence on the United States and loss of its identity has been a serious obstacle to good relations between Mexico and its northern neighbour. This caused Mexico to adopt a defensive posture toward «the colossus of the north.» As a result, the opportunities inherent in a closer relationship between the two countries were often overlooked, while the potential costs were exaggerated » (Kaufman Purcell 1990, 423).

Il s'agissait donc, à cette époque, de résoudre les crises économiques et sociales, de s'occuper de la diplomatie internationale et de gérer les conflits liés aux propriétés pétrolières avant de s'attarder sur la question des ressources hydriques. En outre, la nationalisation des compagnies pétrolières mexicaines au cours des années 1930 et 1940, durant la période de la « politique de bon voisinage » (1933-1938) instaurée par les États-Unis, a été un élément perturbateur dans la relation binationale. En effet, en 1933, Franklin Delano Roosevelt, président démocrate, lança sa « politique de bon voisinage » qui devait améliorer les relations des États-Unis avec ses voisins d'Amérique latine en cessant l'intervention armée dans la région (Eisen 2015, 24). Cette politique fut mise en place dans la mesure où les États-Unis avaient tendance, selon les principes de la Doctrine Monroe, à s'ingérer dans les pays d'Amérique latine pour rétablir la paix, en théorie (Beck 1939, 110). En pratique, ils utilisaient les ressources des pays d'Amérique latine pour leur propre bénéfice. Ce phénomène est visible au Mexique, où les États-Unis intervenaient pour résoudre des conflits qui devaient être réglés par le Mexique. Par exemple, pendant la révolution mexicaine de 1910 à 1920, les États-Unis intervinrent à Veracruz en 1914, sous la présidence de Woodrow Wilson, notamment (Jones 1995, 75). En intervenant de la sorte et en voulant instaurer une démocratie telle que celle existant aux États-Unis, ces derniers espéraient, à terme, créer une union régionale sous l'égide étatsunienne. En effet, ce genre d'intervention avait lieu partout en Amérique latine.

C'est pour cette raison qu'en 1933, à la veille de la Seconde guerre mondiale, F.D. Roosevelt imagina que sa politique de bon voisinage serait un élément clé de l'amélioration de la relation interaméricaine et surtout avec le Mexique ; et ce fut le cas. Ainsi, la « politique de bon voisinage » impliquant la non-intervention des États-Unis au Mexique, entre autres, ne permit pas aux États-Unis de contrer la politique de nationalisation du Président Lázaro Cárdenas, membre du Parti révolutionnaire institutionnel et en faveur de l'indépendance économique du Mexique (Alexander 2019). Les entreprises étatsuniennes expropriées par le Mexique demandèrent à Roosevelt une intervention armée. Celle-ci n'eut pas lieu mais fut remplacée par des négociations entre les deux pays pour indemniser les pertes du côté étatsunien (Grayson 1969, 330). Cet évènement se termina positivement pour le Mexique puisqu'il s'émancipa économiquement des États-Unis et permit de retrouver une relation plus équilibrée entre les deux pays.

Aussi, les deux États étaient des partenaires importants dans le secteur du pétrole et devaient le rester pour le bénéfice des deux économies et pour la stabilité de la région dans cette période, même après la nationalisation du secteur pétrolier mexicain. Pour cette raison, il devait être intéressant pour les deux pays de continuer à coopérer et de trouver des accords à tous les niveaux et, entre autres, en ce qui concerne les problèmes hydriques à la frontière. En effet, puisque les deux nations coopéraient dans le secteur pétrolier, pourquoi ne trouveraient-elles pas d'accord sur la question de l'eau à la frontière, ce sujet devenant de plus en plus essentiel en raison de problèmes d'approvisionnement toujours plus fréquents. Louise Rolland et Yenny Vega Cárdenas déclarent notamment dans un article sur la gestion de l'eau au Mexique que les sécheresses intenses dans les années 1940 ont poussé le gouvernement fédéral mexicain à investir « dans le forage de puits pour l'approvisionnement de la population, surtout pour l'irrigation et la consommation domestique » (Rolland et Vega Cárdenas 2009, 26).

Ainsi, puisque le Mexique tentait de protéger sa population et son économie qui faisait face à de nombreuses sécheresses et que le gouvernement créait de nouvelles infrastructures hydriques, il est possible de croire que le Traité de 1944 a été créé sur des bases saines entre les deux pays. Il sera étudié toutefois qu'en pratique, les choses se sont passées différemment, notamment dans le contexte du programme de Bracero.

En effet, ce programme fut le premier programme de travail entre les États-Unis et le Mexique. Il dura officiellement de 1942 à 1945 et concernait un grand nombre de travailleurs mexicains qui entraient aux États-Unis pour pallier le manque de main-d'oeuvre des étatsuniens partis à la guerre (Overmyer-Velázquez 2013, 26). Ce programme était axé sur les industries agricoles et devait permettre une coopération économique et agricole dans laquelle les États-Unis recevaient plus de bénéfices que le Mexique (Fagen 1977, 700). En effet, les travailleurs mexicains étaient des travailleurs à bas coûts pour les États-Unis et étaient donc souvent sous-payés et exploités. L'idée était que les travailleurs mexicains, quand ils rentreraient dans leur pays à la fin du programme, pourraient utiliser les compétences acquises aux États-Unis pour exploiter les terres mexicaines et contribuer à la politique de développement rural du Mexique (Eisen 2015, 32). Ce programme donnait, à terme, plus de pouvoir aux États-Unis par rapport au Mexique qui ne pouvait pas gérer ses propres travailleurs qui partaient mais ne revenaient pas tous des États-Unis.

De plus, dans la mesure où les deux États préféraient coopérer dans le domaine de l'économie et favoriser leurs ambitions nationales, il semble compliqué de résoudre les problèmes hydriques et environnementaux, telle que la surexploitation des eaux par la population, la salinité causée par l'utilisation croissante de produits agricoles, les sécheresses (potentiellement liées à la surexploitation), etc. auxquels les populations étaient de plus en plus confrontées dans la zone frontalière.

Malgré l'amélioration de la relation binationale au cours des années 1940, le Mexique restait tout de même réticent à l'idée de coopérer avec les États-Unis. En effet, cette collaboration aurait pu impliquer une nouvelle perte d'indépendance. C'est pour cette raison que le Mexique revendiquait le principe de l'appropriation préalable pour certaines sources hydriques étatsuniennes. C'est un principe selon lequel les individus arrivés en premier sur un territoire sont ceux qui peuvent avoir la jouissance unique des sources d'eau localisées sur ce territoire même s'ils n'y restent pas. Ainsi, le Mexique avait possédé des territoires au sud des États-Unis actuels avant que ces derniers ne les achètent ou ne les conquièrent. Les autorités mexicaines étaient donc tentées de demander la jouissance exclusive de certaines ressources en eau localisées sur le territoire étatsunien (Boime 2002, 239).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery