Chapitre II - Relations diplomatiques et hydriques
jusqu'à 1944
Diplomatie entre les États-Unis et le Mexique
Il est crucial de garder à l'esprit que l'IBWC
n'apparaît qu'en 1944. En effet, jusqu'alors, elle était connue
sous le nom d'IBC et ne concernait que la frontière et, dans une moindre
mesure, l'eau à la frontière. Il faut aussi rappeler que le
Traité de 1944 a été instauré à une
époque où l'IBC n'était plus suffisante pour
contrôler l'eau à la frontière. En effet, cette commission
visait surtout à prendre en charge la frontière terrestre,
même si en 1933, les deux nations s'étaient engagées
à stabiliser la frontière fluviale du Rio Grande avec l'aide de
l'IBC, ainsi que les crues de ce fleuve (« History of the
International Boundary and Water Commission » s.d.). Cette Commission
était trop faible dans un contexte de relations hydriques puisqu'elle ne
prenait en compte qu'une petite partie des eaux frontalières et donc une
infime part des problèmes d'approvisionnement dans les États
bassins du fleuve Rio Grande. Le Colorado n'était, quant à lui,
pas encore pris en compte par l'IBC (« History of the International
Boundary and Water Commission » s.d.). Dans ce contexte, un nouveau
document clé, supposé plus fort, devait voir le jour (comme un
traité), pour garantir plus de prérogatives à la
Commission, pour ce qui est de l'utilisation des eaux du Colorado et du Rio
Grande, et assurer que les décisions seraient respectées par les
États-Unis et le Mexique. En outre, comme cela a été vu
dans le chapitre précédent, au cours de la première
moitié du XXe siècle, les questions environnementales
n'étaient pas au centre des préoccupations des États-Unis
et du Mexique.
Ainsi, pour comprendre la situation hydrique avant 1944, il
faut revenir sur la volonté des États-Unis de
fédérer le plus d'alliés possible pour créer un
nouveau système international et mondial, d'où la
« politique de bon voisinage » dont il est question dans
cette section. Cela reflète le développement de programmes
binationaux de la première moitié du XXe siècle
qui ont contribué à la mise en oeuvre du Traité de 1944.
Ce n'est qu'après sa mise en place que des réglementations ont
été établies pour l'ensemble des eaux frontalières
afin de répondre aux problèmes économiques, notamment,
liés à l'eau à la frontière avec l'aide de l'IBC
(1889).
Il faut d'abord rappeler que le XXe siècle
fut une période tendue diplomatiquement entre les deux pays :
l'interventionnisme des États-Unis au Mexique entraînait un manque
considérable de confiance de la part du Mexique par rapport aux
intentions des États-Unis. En effet, le Mexique craignait la
dépendance envers les États-Unis et la perte de son
identité avec le processus d'américanisation. Il n'était
ainsi pas enclin à coopérer avec ses voisins étatsuniens
si cette collaboration impliquait de devenir une nouvelle marionnette de la
superpuissance et de perdre son identité.
Ainsi, l'idée pour le Mexique était de conserver
une certaine autonomie afin de ne pas devoir compter sur les États-Unis
à tous les niveaux. Malgré tout, un manque de confiance
persistait, comme l'explique Susan Kaufman Purcell dans son article
« U.S.-Mexico Relations: An Optimistic View
» :
« from the U.S. point of view, Mexico's fear of
dependence on the United States and loss of its identity has been a serious
obstacle to good relations between Mexico and its northern neighbour. This
caused Mexico to adopt a defensive posture toward «the colossus of the
north.» As a result, the opportunities inherent in a closer relationship
between the two countries were often overlooked, while the potential costs were
exaggerated » (Kaufman Purcell 1990, 423).
Il s'agissait donc, à cette époque, de
résoudre les crises économiques et sociales, de s'occuper de la
diplomatie internationale et de gérer les conflits liés aux
propriétés pétrolières avant de s'attarder sur la
question des ressources hydriques. En outre, la nationalisation des compagnies
pétrolières mexicaines au cours des années 1930 et 1940,
durant la période de la « politique de bon
voisinage » (1933-1938) instaurée par les États-Unis, a
été un élément perturbateur dans la relation
binationale. En effet, en 1933, Franklin Delano Roosevelt, président
démocrate, lança sa « politique de bon
voisinage » qui devait améliorer les relations des
États-Unis avec ses voisins d'Amérique latine en cessant
l'intervention armée dans la région (Eisen 2015, 24). Cette
politique fut mise en place dans la mesure où les États-Unis
avaient tendance, selon les principes de la Doctrine Monroe, à
s'ingérer dans les pays d'Amérique latine pour rétablir la
paix, en théorie (Beck 1939, 110). En pratique, ils utilisaient les
ressources des pays d'Amérique latine pour leur propre
bénéfice. Ce phénomène est visible au Mexique,
où les États-Unis intervenaient pour résoudre des conflits
qui devaient être réglés par le Mexique. Par exemple,
pendant la révolution mexicaine de 1910 à 1920, les
États-Unis intervinrent à Veracruz en 1914, sous la
présidence de Woodrow Wilson, notamment (Jones 1995, 75). En intervenant
de la sorte et en voulant instaurer une démocratie telle que celle
existant aux États-Unis, ces derniers espéraient, à terme,
créer une union régionale sous l'égide
étatsunienne. En effet, ce genre d'intervention avait lieu partout en
Amérique latine.
C'est pour cette raison qu'en 1933, à la veille de la
Seconde guerre mondiale, F.D. Roosevelt imagina que sa politique de bon
voisinage serait un élément clé de l'amélioration
de la relation interaméricaine et surtout avec le Mexique ; et ce
fut le cas. Ainsi, la « politique de bon voisinage »
impliquant la non-intervention des États-Unis au Mexique, entre autres,
ne permit pas aux États-Unis de contrer la politique de nationalisation
du Président Lázaro Cárdenas, membre du Parti
révolutionnaire institutionnel et en faveur de l'indépendance
économique du Mexique (Alexander 2019). Les entreprises
étatsuniennes expropriées par le Mexique demandèrent
à Roosevelt une intervention armée. Celle-ci n'eut pas lieu mais
fut remplacée par des négociations entre les deux pays pour
indemniser les pertes du côté étatsunien (Grayson 1969,
330). Cet évènement se termina positivement pour le Mexique
puisqu'il s'émancipa économiquement des États-Unis et
permit de retrouver une relation plus équilibrée entre les deux
pays.
Aussi, les deux États étaient des partenaires
importants dans le secteur du pétrole et devaient le rester pour le
bénéfice des deux économies et pour la stabilité de
la région dans cette période, même après la
nationalisation du secteur pétrolier mexicain. Pour cette raison, il
devait être intéressant pour les deux pays de continuer à
coopérer et de trouver des accords à tous les niveaux et, entre
autres, en ce qui concerne les problèmes hydriques à la
frontière. En effet, puisque les deux nations coopéraient dans le
secteur pétrolier, pourquoi ne trouveraient-elles pas d'accord sur la
question de l'eau à la frontière, ce sujet devenant de plus en
plus essentiel en raison de problèmes d'approvisionnement toujours plus
fréquents. Louise Rolland et Yenny Vega Cárdenas déclarent
notamment dans un article sur la gestion de l'eau au Mexique que les
sécheresses intenses dans les années 1940 ont
poussé le gouvernement fédéral mexicain à
investir « dans le forage de puits pour l'approvisionnement de la
population, surtout pour l'irrigation et la consommation domestique »
(Rolland et Vega Cárdenas 2009, 26).
Ainsi, puisque le Mexique tentait de protéger sa
population et son économie qui faisait face à de nombreuses
sécheresses et que le gouvernement créait de nouvelles
infrastructures hydriques, il est possible de croire que le Traité de
1944 a été créé sur des bases saines entre les deux
pays. Il sera étudié toutefois qu'en pratique, les choses se sont
passées différemment, notamment dans le contexte du programme de
Bracero.
En effet, ce programme fut le premier programme de travail
entre les États-Unis et le Mexique. Il dura officiellement de 1942
à 1945 et concernait un grand nombre de travailleurs mexicains qui
entraient aux États-Unis pour pallier le manque de main-d'oeuvre des
étatsuniens partis à la guerre (Overmyer-Velázquez 2013,
26). Ce programme était axé sur les industries agricoles et
devait permettre une coopération économique et agricole dans
laquelle les États-Unis recevaient plus de bénéfices que
le Mexique (Fagen 1977, 700). En effet, les travailleurs mexicains
étaient des travailleurs à bas coûts pour les
États-Unis et étaient donc souvent sous-payés et
exploités. L'idée était que les travailleurs mexicains,
quand ils rentreraient dans leur pays à la fin du programme, pourraient
utiliser les compétences acquises aux États-Unis pour exploiter
les terres mexicaines et contribuer à la politique de
développement rural du Mexique (Eisen 2015, 32). Ce programme donnait,
à terme, plus de pouvoir aux États-Unis par rapport au Mexique
qui ne pouvait pas gérer ses propres travailleurs qui partaient mais ne
revenaient pas tous des États-Unis.
De plus, dans la mesure où les deux États
préféraient coopérer dans le domaine de l'économie
et favoriser leurs ambitions nationales, il semble compliqué de
résoudre les problèmes hydriques et environnementaux, telle que
la surexploitation des eaux par la population, la salinité causée
par l'utilisation croissante de produits agricoles, les sécheresses
(potentiellement liées à la surexploitation), etc. auxquels les
populations étaient de plus en plus confrontées dans la zone
frontalière.
Malgré l'amélioration de la relation binationale
au cours des années 1940, le Mexique restait tout de même
réticent à l'idée de coopérer avec les
États-Unis. En effet, cette collaboration aurait pu impliquer une
nouvelle perte d'indépendance. C'est pour cette raison que le Mexique
revendiquait le principe de l'appropriation préalable pour certaines
sources hydriques étatsuniennes. C'est un principe selon lequel les
individus arrivés en premier sur un territoire sont ceux qui peuvent
avoir la jouissance unique des sources d'eau localisées sur ce
territoire même s'ils n'y restent pas. Ainsi, le Mexique avait
possédé des territoires au sud des États-Unis actuels
avant que ces derniers ne les achètent ou ne les conquièrent. Les
autorités mexicaines étaient donc tentées de demander la
jouissance exclusive de certaines ressources en eau localisées sur le
territoire étatsunien (Boime 2002, 239).
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