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La commission internationale des frontières et des eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l'environnement


par Clémence Léger
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 - Master Etudes Européennes et Internationales - Aire anglophone 2022
  

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PARTIE II - L'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique : l'évolution de l'IBWC

Chapitre I - Le rôle de l'IBWC et des Minutes, vecteurs d'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique

Je me focaliserai, pour ce chapitre, sur la Commission Internationale des Frontières et des Eaux pour définir ses objectifs et ses enjeux au fil du temps.

Dans un premier temps, bien avant que le terme d'hydro-diplomatie ne soit développé dans les années 1990, une gouvernance de l'eau à la frontière entre le Mexique et les États-Unis était cruciale. En effet, elle devait gérer les conflits liés à l'approvisionnement en eau à la frontière, qu'il s'agisse de problèmes de sécheresse ne permettant pas un apport optimal dans la zone ou bien des problèmes de salinité et de pollution entraînant une impossibilité d'utiliser l'eau fournie. Ainsi, en 1889 fut créée la Commission Internationale des Frontières (IBC - International Boundary Commission) qui se chargeait uniquement de la frontière. Elle devint la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) en 1944 pour intégrer l'aspect hydrique et mettre en oeuvre les accords binationaux concernant les frontières et les traités sur l'eau signés entre les deux pays (Mumme 2005, 509). Telle qu'introduite dans les sections précédentes, l'IBWC est, depuis 1944, composée d'une instance mexicaine et d'une autre étatsunienne qui sont administrativement séparées et régies par leurs institutions nationales respectives. L'instance étatsunienne, appelée la U.S. International Boundary and Water Commission, est contrôlée par le Département d'État des États-Unis, tandis que l'instance mexicaine, la Comisión Internacional de Límites y Aguas (la Commission Internationale des Frontières et des Eaux), est gérée par le Ministère des Affaires étrangères (Secretaría de Relaciones Exteriores) à Mexico. L'instance étatsunienne, quant à elle, est localisée à la frontière (Mumme et Little 2010, 256) pour pouvoir répondre plus efficacement aux problèmes dans la région. De plus, les deux nations disposent du même nombre d'experts, d'ingénieurs, de secrétaires, etc. pour permettre une égalité théorique :

« each Section is led by a Commissioner (required to be an engineer), two Principal Engineers, a legal advisor, and a secretary; this administration has diplomatic privileges and immunities in the territory of the other country » (Sánchez 2006, 134).

En ce sens, la Commission donne les mêmes clés à chaque pays pour que chaque instance puisse résoudre les problèmes liés à l'eau et pour qu'elles puissent interpréter et appliquer les traités binationaux. Les employés de chaque instance bénéficient, de plus, de l'immunité diplomatique aux États-Unis ou au Mexique. L'IBWC s'occupe des rivières du Rio Grande, du Colorado, des affluents, lacs et barrages situés de part et d'autre de la frontière. Chaque instance est notamment autorisée à faire appel à d'autres agences pour gérer les ressources en eau et résoudre les problèmes hydriques et environnementaux liés (Mumme et al. 2012, 8). Il est question, par exemple, de faire appel aux tribunaux nationaux pour l'application des décisions prises et pour la résolution de certains différends (Mumme et al. 2012, 8). Malgré cela, pendant longtemps, la Commission n'a pas suffi à elle seule à contrôler l'eau à la frontière. Il a donc été nécessaire de mettre en place un traité afin de garantir le respect de ses décisions par les deux pays. Cette garantie devait permettre effectivement de fournir une quantité d'eau équitable à chaque pays et de régler les autres problèmes liés à l'eau et son utilisation à la frontière.

C'est lors de l'année 1941 que débutèrent des échanges de propositions entre les États-Unis et le Mexique qui aboutirent au Traité de 1944. Ces échanges permirent de déterminer que le Mexique devrait recevoir chaque année 1 500 000 acres-pieds du fleuve Colorado ainsi qu'un supplément de 200 000 acres-pieds en cas de surplus aux États-Unis (Glaeser 1946, 7). Les négociateurs des États-Unis décidèrent notamment que 900 000 acres-pieds de l'approvisionnement total proviendraient du drainage aux États-Unis (Gantz 1972, 499). Il est possible de penser que cela devait permettre aux États-Unis de maîtriser l'attribution de l'eau au Mexique et de réguler les inondations. La quantité d'eau que devait recevoir le Mexique représentait environ 10 % du débit moyen du Colorado (Carter et al. 2017, summary). Le débit moyen était, dans les années 1940, de 16,8 millions acres-pieds, ce qui laissait plus de 15 millions d'acres-pieds pour répondre aux besoins des États-Unis (Carter et al. 2017, 10). Cette décision démontre d'autant plus le pouvoir des États-Unis sur le Mexique puisqu'ils avaient le dernier mot, que la qualité de l'eau n'a jamais été remise en question. Le problème majeur à l'époque du Traité de 1944 était de s'assurer de la quantité d'eau que recevrait le Mexique et jamais de la qualité de cette eau. Pourtant, lors des négociations du Traité, une des seules volontés du Mexique concernait les eaux qu'il devait recevoir du Colorado. En effet, il souhaitait que la majeure partie de ces eaux proviennent de zones situées au-dessus de la frontière inférieure, moins salines, pour disposer d'eau consommable et utilisable pour la population (Anderson 1972, 610). Il est ainsi possible de constater que le souhait du Mexique de recevoir une eau non salée n'a pas été appliqué dans la mise en oeuvre du Traité. En outre, cet accord, ainsi que d'autres traités et échanges qui suivirent, jetèrent les bases des principes de la coopération interétatique hydrique sans considérer l'aspect environnemental.

Par ailleurs, depuis la signature du Traité de 1944, l'IBWC a bénéficié d'un ajustement de ses prérogatives pour y inclure le contrôle des eaux souterraines, avec la Minute 242 de 1973, et de la salinité de l'eau du Colorado (Lee et Ganster 2012, 140). Malgré l'accroissement des prérogatives de l'IBWC, elle ne parvenait pas, dans les années 1990 et le début des années 2000, à résoudre une sécheresse persistante dans le Rio Grande, ni certains problèmes de pollution de l'eau et de salinité à la frontière. En effet, pour ce qui est des sécheresses dans le Rio Grande, elles ont entraîné un déficit des livraisons d'eau que le Mexique devait aux États-Unis (Woodhouse et al. 2012, 127). Il est ainsi possible de penser que ce phénomène poussait les deux nations à se méfier l'une de l'autre. Dans une perspective similaire, la Commission était également critiquée pour son incapacité à conserver les ressources souterraines et écologiques, entre autres (Mumme 2005, 510).

Après la signature du Traité de 1944, l'IBWC devait poursuivre des recherches grâce à des scientifiques, notamment, pour mettre en oeuvre des ouvrages, tels que des barrages qui devaient être exploités et entretenus par les deux pays (« Safety of Dams » s.d.), respectant d'une part les accords et traités entre les États-Unis et le Mexique et d'autre part les enjeux hydriques et économiques. La Commission a ainsi créé les barrages de stockage de Falcon sur le Rio Grande (entre l'État du Texas et celui de Tamaulipas) dans les années 1950 et celui d'Amistad dans les années 1960 (entre l'État du Texas et celui de Coahuila) (« Safety of Dams » s.d.). Ces barrages devaient permettre de contenir suffisamment d'eau pour le cas où des problèmes hydriques viendraient rendre problématique l'approvisionnement en eau. Il faut rappeler que chaque instance de l'IBWC est responsable des projets de son côté de la frontière et qu'elle doit rendre des comptes au niveau fédéral de chaque pays de l'avancée des évènements. La Commission doit également résoudre les conflits interétatiques en cas d'interprétation divergente du Traité (Mumme et al. 2012, 8).

En outre, le Traité de 1944, en plus d'avoir fait évoluer le nom de l'IBWC, lui a ajouté des Minutes qui constituent des documents officiels émanant de la Commission pour mettre en place des réglementations et des décisions afin de résoudre des problèmes hydriques à la frontière de manière plus effective (Carter et al. 2018, 4). Il s'agit, en quelque sorte, d'amendements qui permettent de modifier l'IBWC sans pour autant affecter le Traité de 1944. Ces Minutes, par souci d'équité, doivent être approuvées par les deux pays avant d'être mises en oeuvre. Elles permettent notamment de répondre à des questions spécifiques et de les résoudre. En effet, comme l'écrit Anabel Sánchez dans son article 1944 Water Treaty Between Mexico and the United States: Present Situation and Future Potential :

« The minutes are mainly clarifications of technical details and ambiguous language not mentioned in the original 1944 Treaty, which has remained essentially unchanged. The IBWC announces its decisions in the form of «Minutes», which are subject to the approval of the two governments and substantive agreements. The flexibility of this procedure allowed the IBWC to respond to changing conditions without the need to renegotiate the treaty. This evolving practice is one of the strengths of the U.S.-Mexico treaty » (Sánchez 2006, 134).

Cette citation résume l'utilité et le but des Minutes qui doivent faire évoluer et renforcer le Traité de 1944 en répondant aux attentes des deux instances de l'IBWC. Il s'agit de rendre intelligibles des portions du Traité pour résoudre les problèmes liés à l'eau à la frontière. Malgré cela, l'aspect environnemental devenait de plus en plus prépondérant à la fin du XXe siècle et n'était pas pris en compte dans les nouvelles Minutes. Ceci rendait le travail de l'IBWC moins pertinent puisque les problèmes environnementaux se multipliaient.

Ainsi, l'accord de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) de 1994 a eu un impact important, en intégrant la question environnementale à l'IBWC. Pour ce faire, l'Accord de coopération environnementale frontalière (CEC - Commission for Environmental Cooperation), créé en 1994 dans le cadre de ce traité, devait aider à relier l'IBWC avec les discussions sur le développement durable et les besoins en infrastructures environnementales à la frontière. Ceci a permis des avancées majeures dont l'ajout de l'aspect environnemental aux décisions de l'IBWC. En effet, des ONG environnementales permirent d'augmenter l'intérêt des entités étatiques et non-étatiques envers la protection et la conservation des ressources et la biodiversité dans la zone frontalière (Mumme 2002, 244). Par exemple, durant la conférence sur le Delta de 1996, les ONG et notamment Defenders of Wildlife (pour la protection de la faune et la flore en Amérique du Nord et dans mon cas dans la zone frontalière pour tenter de rétablir la biodiversité de cette région) (« About Us » s.d.) ont posé la question d'une minute écologique dans les règlements de l'IBWC. En effet, jusqu'alors, aucune n'avait été signée (Mumme 2002, 245-6). La première Minute relative à l'environnement date de 2000 (Minute 306). Il en sera question dans la prochaine partie.

Néanmoins, beaucoup d'auteurs semblent penser que les conséquences de l'ALENA, sur le long terme, n'ont pas été uniquement bénéfiques pour l'environnement. En effet, même si des gains ont été enregistrés dans différents secteurs économiques liés aux ressources naturelles, l'Accord n'a pas empêché la pollution croissante des ressources hydriques, entre autres (Wold 2008, 243). L'évaluation environnementale finale de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) explique notamment que l'accord de l'ALENA « a eu une incidence négative sur l'environnement au Mexique » (Gouvernement du Canada 2020, 9). Un des problèmes qui est constaté concerne le secteur minier dont l'activité a eu des conséquences négatives sur les ressources hydriques. En effet, puisque l'ALENA libéralisait le secteur minier et éliminait les taxes, elle permettait à davantage d'entreprises de ce secteur consommant excessivement d'eau de s'implanter. Ceci a entraîné une pollution accrue des eaux souterraines et de surface. Certaines entreprises rejettent particulièrement des éléments, tels que des solutions acides de sulfate de cuivre dans les rivières à proximité. C'est le cas de la mine de Cananea (dans l'État de Sonora, au nord-ouest du Mexique), qui affecte des dizaines de milliers d'habitants (Gladstone et al. 2021, 25) puisque les ressources deviennent impossibles à utiliser.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein