Commission de coopération
D'après Marko Keskinen et ses co-auteurs dans un
chapitre sur les Commissions de coopération de l'ouvrage
Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border, les Commissions
sont sources d'hydro-diplomatie :
« Many water cooperation agreements also have a
joint body, such as a river commission, that facilitates the cooperation by
providing technical support and by gathering information. Such a body can
provide major support also for water diplomacy, as it creates a natural forum
for discussion and can generate relevant and jointly produced data and
information to facilitate the discussions » (Pangare 2014, 38).
Ici, les auteurs font référence à des
commissions autour de rivières qui pourraient aider à la mise en
place d'une coopération au niveau hydrique entre les pays limitrophes en
apportant des supports techniques, en rassemblant des informations et en
créant des forums de discussions. L'IBWC représente l'une de ces
Commissions. Même si, dans les faits, il peut être compliqué
pour les États-Unis et le Mexique de coopérer sur le plan
hydrique, l'aggravation des problèmes environnementaux à la
frontière et leur impact sur les populations rend l'IBWC de plus en plus
essentielle pour éviter les conflits. Il sera étudié dans
la suite de ce travail des forums de discussions mis en place par l'IBWC pour
échanger les informations entre les populations, les scientifiques et la
Commission, entre autres (« Citizens' Forum Meetings »
s.d.) afin de trouver les meilleures solutions possibles. De plus, la mise en
place de Minutes en faveur de l'environnement depuis les années
2000 est un exemple de coopération accrue. En outre, la
collaboration et la mise en commun des informations récoltées par
les scientifiques de part et d'autre de la frontière rend possible la
mise en place de discussions qui aboutissent à des Minutes, en
faveur de l'environnement notamment, comme il sera expliqué plus
amplement dans les prochaines parties.
Hydro-diplomatie et gouvernance adaptative entre les
États-Unis et le Mexique
Malgré l'apparition du terme d'hydro-diplomatie dans
les années 1990 et la non-intégration de l'aspect environnemental
dans les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique avant
les années 1980 et le Traité de La Paz, la plupart des articles
scientifiques portant sur le Traité de 1944 ou sur les relations
hydriques entre les deux pays de manière générale
rapportent que dès 1944 il s'agissait déjà
d'hydro-diplomatie : « the treaty is the countries' most notable
and enduring act of hydrodiplomacy » (Wilder et al. 2019). Dans cet
article, Margaret O. Wilder et ses co-auteurs définissent
l'hydro-diplomatie telle que Fadi George Comair l'a fait puisqu'ils la
désignent comme une coopération internationale concernant des
ressources hydriques partagées par différents États et qui
peut varier en fonction des outils et des pouvoirs de ces différents
pays. Il s'agit également d'utiliser des expertises scientifiques pour
mettre en place des actions visant à contrer des scénarios
pessimistes d'un point de vue environnemental (Wilder et al. 2019). Par
exemple, les auteurs constatent un paradoxe entre les États-Unis et le
Mexique. En effet, même si le manque d'eau n'est pas effectivement
encouragé par l'un des deux pays, lorsque des pénuries d'eau
apparaissent à la frontière, elles sont souvent le
résultat d'une mésentente. En ce sens, il est possible de
reprendre l'exemple des barrages étatsuniens qui ne libèrent de
l'eau que lorsque les États-Unis décident de le faire. Ceci
prouve la nécessité de la coopération entre les deux pays
pour tenter d'éviter les pénuries au sud des États-Unis et
au Mexique. De plus, la méfiance des populations de part et d'autre de
la frontière les conduit à faire appel à leur gouvernement
pour résoudre les crises. Ces résolutions se font dans cent pour
cent des cas en passant par l'IBWC. C'est ainsi qu'à la fin des
années 2010, la Commission a mis en place des groupes de travail
mexicano-étatsuniens concernant certains problèmes sur le Rio
Grande (Wilder et al. 2019). Toutefois, ces groupes ne répondent pas aux
questions d'approvisionnement en eau du Mexique vers les États-Unis en
temps de sécheresse (Wilder et al. 2019) et ne répondent donc pas
non plus au problème initial. En effet, le volume d'eau supposé
être fourni lors d'un cycle de cinq ans n'est pas atteinte en temps de
sécheresse par le Mexique et cela influe sur le secteur agricole
étatsunien, notamment au Texas, qui a de forts besoins en eau et
particulièrement celle du Rio Grande.
Un autre article scientifique rend compte de
l'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique comme étant
effectivement introduite dans les discours au XXIe siècle et
posant la question des éléments d'une collaboration scientifique
et politique efficace pour la gouvernance de l'eau à la
frontière. Dans l'article « Hydrodiplomacy and adaptative
governance at the U.S.-Mexico border: 75 years of tradition and innovation in
transboundary water management », Margaret O. Wilder et ses
co-auteurs expliquent que même si des recherches scientifiques et des
constats ont été faits sur les problèmes hydriques et
environnementaux pour aider à les résoudre, la plupart des
problèmes, au niveau global, ne sont toujours pas réglés,
voire se révèlent impossible à l'être. En outre,
selon eux, les résultats des problèmes hydriques sont souvent
perçus comme binaires, positifs ou négatifs, faisant des gagnants
et des perdants. Ce phénomène est très clair avec
l'exemple des relations entre les États-Unis et le Mexique :
concernant le Colorado, les États-Unis avaient l'ascendant sur le
Mexique puisqu'ils possédaient la majeure partie du fleuve et pour ce
qui est du Rio Grande, le Texas avait un impact très important lors de
la signature du Traité de 1944. Ceci diminuait le poids du Mexique dans
la relation, comme il sera possible de le voir dans la prochaine partie. C'est
pour cette raison qu'une hydro-diplomatie effective et efficace doit faire en
sorte que les États limitrophes prennent confiance l'un en l'autre pour
finalement s'accorder sur des actions en faveur de l'environnement (Wilder et
al. 2020, 190). C'est exactement l'ambition de l'IBWC qui doit faire
coopérer l'instance mexicaine et étatsunienne pour tenter de
résoudre les problèmes hydriques à la frontière.
Un terme important que soulève ce même article
est celui de « gouvernance adaptative » des ressources en
eau :
« adaptative governance eschews static water-resources
management prescriptions, opting instead for engagement and knowledge exchange
with diverse stakeholders, usually loosely, or formally organized within a
multiscalar network » (Wilder et al. 2020, 191).
Cette gouvernance inclut les relations et la
coopération entre les entités étatiques et non
étatiques. Elle est d'ailleurs également nommée
« cogestion adaptative », ce qui montre bien une
intégration de différentes parties dans cette gouvernance
hydrique. L'idée est de pouvoir mettre en commun les connaissances
scientifiques et les connaissances locales dans le but d'adapter,
potentiellement, les politiques à la région où elles
seront mises en place. La gouvernance adaptative conçoit les questions
de ressources hydriques à l'échelle locale, régionale et
internationale ; il faut ainsi s'adapter encore et encore aux
entités en cause. Il s'agit ainsi de faire oeuvre les différents
États entre eux ou les États avec des communautés locales
(telles que des agriculteurs) ou encore des communautés entre elles
ainsi que des communautés d'experts pour résoudre les
problèmes hydriques (Wilder et al. 2020, 191). Pour ce qui est des
États-Unis et du Mexique, il est souvent question des agriculteurs
texans qui mettent en cause les États Étatsunien et Mexicain pour
ce qui est de la résolution des problèmes hydriques sur le Rio
Grande.
Plusieurs auteurs désignent une gouvernance adaptative
comme la meilleure garantie possible pour tenter de résoudre les
problèmes hydriques environnementaux. En effet, la capacité
à générer des connaissances et à les appliquer
permet de répondre efficacement aux problèmes ou, du moins,
d'apporter des réponses et solutions claires et adaptées
même si elles ne sont pas toutes efficaces (VanNijnatten 2020, 1052).
Encore une fois, la gouvernance adaptative suppose de prendre en compte les
antécédents des problèmes hydriques et des
résultats des solutions apportées. Il s'agit également de
concilier les solutions avec les paramètres économiques,
politiques et sociaux des États-Unis et du Mexique ainsi qu'avec les
résultats des solutions précédentes pour optimiser les
chances de réussite des nouvelles réponses. Pour ce qui est de la
frontière États-Unis-Mexique, l'agriculture et les
retombées économiques sont primordiales des deux
côtés de la frontière et doivent être
considérées lors de la prise de décision pour
résoudre les problèmes hydriques. En effet, les enjeux
économiques ne doivent pas surpasser les enjeux environnementaux
même si les intérêts économiques des agriculteurs
doivent être respectés. Ces enjeux économiques peuvent
notamment concerner l'irrigation et les sécheresses et donc être
liés à l'environnement.
La gestion intégrée des ressources en eau est
également indissociable et pertinente dans la gouvernance adaptative de
l'eau. En effet, la possibilité de faire participer une multitude de
différents décideurs, riverains et autres entités en lien
avec la gouvernance est également cruciale pour résoudre les
problèmes, comme l'explique par exemple Debora L. VanNijnatten :
« There is clear evidence that governance and policy
systems which promote interactions within and across state, private sector and
civil society are more successful in terms of increasing both the legitimacy of
decision-making within these governance systems as well as the quality of
decisions made, particularly at local and watershed scales » (VanNijnatten
2020, 1053).
Ainsi, avoir un panel de points de vue différents
permet de pouvoir répondre aux attentes de la plupart des entités
prises en compte dans la mise en place de solutions des problèmes
hydriques. En ce sens, tenir compte de la société civile permet
d'accroître la légitimité et la qualité des
décisions prises puisqu'elles seraient plus pertinentes pour ces
populations. Il s'agit encore une fois de gérer à plusieurs et de
partager le pouvoir à différentes échelles pour
résoudre les problèmes hydriques. La gouvernance adaptative
requiert donc une coopération entre entités étatiques et
non-étatiques pour répondre aux problèmes liés
à l'eau.
Pour ce qui est des agriculteurs à la frontière
États-Unis-Mexique, leur opinion est entendue dans la mise en place de
solutions environnementales puisque leur voix est très importante dans
la région. Il n'est cependant pas certain que cette voix soit
convergente avec la protection de l'environnement. On notera notamment que
l'utilisation de l'agriculture intensive est problématique pour
l'environnement. Néanmoins, les sécheresses ou les
pénuries, par exemple, ont des retombées négatives pour
les agriculteurs qui veulent alors les éviter. En considérant
l'exemple de la crise dans la vallée du Rio Grande de l'automne 2020
mentionnée dans l'introduction, il convient de rappeler qu'il est
question de la frustration des agriculteurs mexicains lorsque l'État
utilise l'eau de la retenue d'Amistad pour répondre aux attentes du
Traité de 1944 plutôt que pour répondre aux besoins des
Mexicains. En effet, les agriculteurs ont besoin d'une quantité
importante d'eau, mais le manque constant d'eau dans la région
frontalière rend ce besoin difficile à satisfaire. Ainsi, lorsque
le Mexique utilise ses réserves pour répondre aux attentes du
Traité de 1944, les agriculteurs peuvent craindre un manque d'eau encore
plus important qui ne permettrait pas de garantir une irrigation suffisante des
cultures. Cette crainte débouche sur des manifestations et des
affrontements pour préserver leurs intérêts (Varady, Gerlak
et al. 2021).
Ceci démontre donc un paradoxe entre la gouvernance
adaptative souhaitée et la réalité de la situation qui
dénote une inaptitude à prendre en compte les besoins des
usagers. Il est ainsi possible de constater le lien entre les
intérêts des parties concernées par le problème et
la solution mise en place pour y répondre.
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