5.2.2 Ingérence des autorités
gouvernementales dans la gestion des conflits fonciers
Les investigations menées à Sinfra ont permis de
comprendre que les autorités extra-locales ou gouvernementales ont
tendance à s'impliquer à tort ou à raison dans le
processus de gestion des conflits fonciers.
Outre ce fait, nous pouvons noter que les conflits
post-électoraux à la fois ethnicisés et
communautarisés à Sinfra, ont attisé les divergences
sociales et surtout foncières avec une présence quasi permanente
et dans des dimensions occultes « des élus
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politiques gouvernementaux» qui,
intentionnellement ou non, ont entretenu un climat de méfiance
réciproque entre ces peuples sédentaires.
Nous pouvons illustrer ces propos par un récit
relaté par R., un autochtone de Digliblanfla (entretien de Janvier,
2016) concernant un conflit foncier, qui depuis 2011 n'a encore
été solutionné.
Selon l'enquêté R., ce conflit qui remonte
à 1960, oppose le chef du village Digliblanfla G. à un
ressortissant nordiste. En effet, en 1960, le père de G. a
octroyé gratuitement 12 hectares de forêts à un ami
malinké sous le système de tutorat. Quelques années plus
tard, le malinké se suicide sous prétexte que sa femme l'aurait
cocufié en raison de ses difficultés à procurer.
En 1983, soit 23 ans plus tard, des feux de brousse ont
embrasé les cultures du défunt malinké. En 1996, le
père de G. procéda au partage de ses parcelles de terre à
ses enfants, y compris celle, anciennement octroyée au défunt
(celui n'avait pas de descendant). Aussitôt, des travaux ont
été entrepris par les fils dont G., de sorte à en faire un
champ de cacao. Mais en avril 2011, c'est-à-dire après les
violences post-électorales, des hommes armés arrivent dans le
village Digliblanfla et se saisissent de G. Ces hommes lui demandent de
restituer l'espace qu'il cultivait illégalement puisque « le
défunt était l'ami à notre père, donc il nous a
légué l'espace » (propos recueilli auprès d'un
de ces hommes au cours d'une séance d'explication initiée par les
magistrats de la cour d'appel de Daloa).
Toutefois, bien que ces hommes estimaient être les
« héritiers », ils ne connaissaient ni l'emplacement
de cette terre, encore moins la superficie ou les limites. G. refusa de les y
conduire. Donc ces hommes le battent sévèrement et exigent une
rançon de 160.000F prétextant représenter l'amende pour
utilisation illégale d'espace et un enfermement dans une prison
improvisée dans les locaux de la gendarmerie de Sinfra.
Ainsi, sous l'effet des coups et des menaces, G. conduit ses
geôliers sur l'espace en question.
L'administration locale (à travers les
différentes structures) qui avait déserté pendant la
période conflictuelle, a quelques mois plus tard été
saisie du dossier. Pendant cette période alimentée par violences
post-électorales, la majorité des autorités de la
localité se sont successivement auto-dessaisies du dossier, craignant
d'éventuelles représailles de ces hommes armés. Elles ont
porté l'information à leurs supérieurs
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hiérarchiques qui l'ont eux aussi, transmise au
Président de la République actuel, qui a aussitôt
ordonné la restitution de l'espace à G.
Ce verdict présidentiel a été
célébré comme une fête dans la plupart des villages
du département.
Toutefois, les gendarmes chargés de veiller à la
matérialisation de la décision présidentielle ont, sur le
terrain, démissionné car, refusant de s'engager sur « un
espace méconnu pour eux, et contre des adversaires armés, qui
maitrisent désormais le terrain » (Propos recueilli
auprès d'un gendarme, 46 ans, MDL chef).
Depuis lors, l'enquêté N. (cultivateur à
kouêtinfla, entretien de Février 2016) affirme que « ces
hommes récoltent les cabosses plantés par la famille G.
».
En 2014, quelques élus, informés par la
communauté villageoise autochtone ont saisi la justice de Sinfra, qui
après délibération a exigé la restitution de
l'espace à G. Mais, en dépit de ce second jugement en faveur de
G., l'enquêté R. affirme que « ces hommes ont fait appel
de cette décision à la cour d'appel de Daloa ».
Les échanges que nous avons sollicités et
obtenus auprès du magistrat en charge de l'instruction, ont
révélé un harcèlement quasi-quotidien de celui-ci
de part et d'autre des acteurs en conflit et à travers eux, des
communautés en conflit. Ce magistrat (49 ans, Juge d'instruction
à la cour d'appel de Daloa, entretien de Septembre 2016) affirme «
recevoir au quotidien des appels de ruraux, d'élus locaux et
gouvernementaux pour que l'instruction soit orientée en leur faveur
». Jusqu'à ce jour, cette enquête est toujours en
cours.
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