5.2.3 Facteurs démographiques
Pour K. (planteur à Koumoudji, entretien de Mai, 2016)
« avant pour régler un problème de terre, ça ne
prenait pas beaucoup de temps parce qu'il n'y avait pas beaucoup de personnes
chez et chez les wouobin ». De ces propos, il ressort que la gestion
rencontrait moins de difficultés dans un contexte de faible
démographie et de faibles flux migratoires. Aujourd'hui, avec la
croissance démographique des populations autochtones, les migrations
allochtones et les migrations de transhumants, la gestion des conflits fonciers
n'est plus en raison le nombre d'acteurs en présence, des implications,
des enjeux économiques,....Bref, la gestion est inscrite dans un champ
social où les acteurs et les enjeux économiques et la protection
des acquis ou la consolidation des biens fonciers sont fréquents.
207
Comment s'est donc présentée cette évolution
démographique aux yeux des enquêtés pour que ceci influence
la gestion des conflits fonciers à Sinfra ?.
? Accroissement rapide des populations
autochtones
Selon le Dr N., (53 ans, médecin
généraliste à l'hôpital général de
Sinfra, entretien effectué en Septembre 2015) « Nous recevons
depuis quelques années, un nombre de naissances qui va augmentant. Le
taux de natalité est passée de 5 à 9 naissances/ jour dans
l'intervalle 2004-2014, soit environ 3.285 naissances/an ».
Dans ces propos, il faille noter que le département de
Sinfra connait un taux de natalité important sur ce territoire aux
dimensions statiques (1618 km2). Cette croissance
démographique déjà linéaire (186.864 habitants en
2001) conjugué à ce taux de natalité sur une superficie
départementale statique de 1618 km2, donne un ratio
habitants/ superficie de 115 habitants/km2. Dès lors, le
contexte rural et foncier actuel de Sinfra serait caractérisé par
une forte densité de population (115 habitants/km2.),
contrainte d'exercer sur des espaces de plus en plus réduits du fait de
la demande foncière sans cesse croissante de cette population native. La
matrice du paysage, initialement constituée de forêts denses et
clairsemées, s'est progressivement modifiée par ce nombre
remarquable d'agriculteurs autochtones,
laissant ainsi place à une savanisation du paysage, une
fragmentation de l'écosystème forestier.
Ces changements sont principalement dus à des
perturbations anthropiques (constructions de villages, défrichements
abusifs). L'accroissement rapide des populations autochtones de Sinfra et les
pratiques agricoles non durables ont modifié les modalités
d'occupation du sol dans le département. Les écosystèmes
forestiers ont été substitués au fil du temps, par des
écosystèmes anthropisés menaçant alors la
biodiversité de cette zone.
Relativement, on assiste à un processus
d'avancée progressive des espaces de culture qui frisent les bordures de
pistes villageoises, un surpâturage des espaces, une savanisation
progressive des grands espaces forestiers qui caractérisaient la
région forestière de Sinfra.
Toutefois, la conséquence première de cette
augmentation rapide de la population autochtone (majoritairement agricole) sur
le même espace (superficie départementale n'augmente pas) est le
mode d'exploitation abusif de la terre, des défrichements
208
massifs de portions et des techniques axées sur le
brulis, avec une fréquence quasi nulle de la jachère. Cette
exploitation abusive de la terre à Sinfra a infertilisé le sol
à telle enseigne que les champs de ces occupants sont aujourd'hui de
moins en moins productifs.
Relativement, un représentant local de l'Agence
Nationale d'Appui au Développement Rural (Mr S. conseiller au
développement rural et des techniques de production agricoles,
entretiens de Décembre 2015) pense que « les terres locales
sont de moins en moins fertiles en raison de leur utilisation abusive, de la
non-intégration des engrais et de l'usage des techniques sur
brûlis, peu recommandés aux usagers ruraux ». A cette
information, les ruraux de Béliata disent être conscients du
risque d'infertilisation des terres dans l'usage des méthodes
indiquées ci-dessus, mais affirment ne pas avoir le choix, puisqu'ils
devraient surexploiter le sol en vue de subvenir aux besoins de leurs familles.
En ce sens, l'enquêtée B. (35 ans, ménagère à
Djamandji ; entretiens de Mai 2016) affirme « nous avons de petits
espaces de cultures, nous sommes donc obligés de les surexploiter pour
faire nos plantations. De plus, la méthode sur brûlis est rapide
et pratique ».
Aussi, le climat de méfiance qui s'est installé
depuis peu entre autochtones, allochtones et transhumants, compromet-t-il
aujourd'hui les vieilles pratiques partenariales, amicales et tutorales entre
ces peuples sédentarisés. Lequel climat semble inquiéter
à la fois les détenteurs de biens pécuniaires
(allochtones) et les détenteurs de biens fonciers (autochtones), comme
le soulignent certains enquêtés. Ainsi, pour Z. (34 ans, planteur
à Djamandji, entretiens de Décembre 2015) « on vivait
ensemble avec les étrangers de chez nous, mais depuis moins d'une
dizaine d'années, de nombreux problèmes de terre ont
commencé à nous diviser. Parmi ces problèmes, de nombreux
ont été sanglants, alors que cela ne devait jamais arriver entre
un propriétaire et son étranger ; du coup la méfiance
s'est installée entre nous au point où l'on se demande si
c'était une bonne idée de les accepter chez nous ».
Des propos que semblent attester certains transhumants
guinéens et maliens de la zone : « aujourd'hui, pour avoir un
petit coin pour travailler, c'est dur hein. Souvent les gouro là
refusent l'argent qu'on leur donne. Vraiment, la situation ne nous arrange pas
». On assiste donc à un flou social entre des actions
conjointes d'expropriation des allochtones et de récupération de
ces espaces pour ceux qui disposent des terres, et d'appropriations par
méthodes souterraines, occultes sous forme de
209
marchandisations imparfaites, démagogiques et
clientélistes pour ceux qui ont le pouvoir d'achat.
? Migrations croissantes des allochtones
La période de colonisation ivoirienne a
été révélatrice d'énormes
potentialités naturelles en Côte d'Ivoire (richesse des sols,
pluralité d'essences forestières). De ce fait, une politique
d'exploitation agricole intensive a été mise en place par les
colons, nécessitant ainsi, une forte main-d'oeuvre sous
régionale, recrutée des espaces de l'Afrique Occidentale
Francophone. Dès son accession à l'indépendance, les
autorités d'alors se sont inscrites dans cette même logique en vue
de bâtir un Etat économiquement fort, sur des fondements
essentiellement agricoles, faisant de l'agriculteur, l'un des principaux
artisans du développement économique ivoirien.
Les efforts salutaires consentis dans ce secteur ont certes
permis de hisser la Côte d'Ivoire au premier rang en matière
d'exportation de cacao et de troisième, en matière de
café, mais au-delà, ont favorisé une politique
d'immigration interne et externe incontrôlée vers les terres
nationales pour certains (non-ivoiriens) et les terres locales, pour d'autres
(allochtones).
Cette immigration s'est à la fois manifestée par
des déplacements croissants des populations non-ivoiriennes en raison de
l'impact économique amorcée qualifié de « miracle
ivoirien » et des migrations internes de populations allochtones vers
les zones plus fertiles de l'ouest et principalement dans les villes du
sud-ouest. Ces populations (allochtones et non-ivoiriennes), pour la
majorité sans qualification professionnelle vont se cantonner dans les
zones rurales de Sinfra pour se spécialiser dans les activités de
transhumance ou d'exploitation agricole, négociant par des
méthodes multiformes (tutorat, achat, prêt, métayage), la
consolidation d'espaces fonciers.
Selon le rapport diagnostic produit par le BNETD, le
département de Sinfra a enregistré de 1975 à 1988, une
croissance démographique d'environ 4.039 habitants/ an. Ce chiffre en
constante progression est passé à environ 4.971 habitants/ an de
1988 à 1998 et à environ 5.616 habitants /an dans l'intervalle
1998- 2001. Cette population de 186.864 habitants (en 2001) vivante sur une
superficie départementale de 1618 km2 équivaut
à une densité moyenne de 115 habitants / km2. De
telles données témoignent certes d'un fort taux de naissance,
mais davantage d'un taux de
210
migration interne et externe assez important. On assiste
dès lors à une démographie galopante, une saturation
foncière avec une influence directe ou indirecte sur la réduction
des espaces individuels, la création de plantations, de pâturages
aux abords des pistes villageoises, des contraintes de cohabitation entre
cultivateurs et transhumants, quand bien même leurs activités
paraissent antinomiques.
Dans ce contexte, les interactions entre acteurs ruraux se
soldent fréquemment par des joutes singulières portant sur des
empiètements pluriels, des destructions de plantations, des confusions
sur les droits de propriété, des remises en cause de contrats,
des expropriations multiples et des consolidations violentes de portions de
terre. La terre apparait comme l'unique source de sécurité
alimentaire et par ricochet, de survie. Les décisions de justice visant
à déposséder certains, y sont officiellement
acceptées mais dans la pratique, rejetées avec une
prédisposition (de ces acteurs) à la violence (physique et
mystique) dont l'issu situerait le véritable propriétaire de
portions confligènes.
Par ailleurs, un fait non moins évoqué reste le
caractère d'hospitalité ancrée dans la coutume gouro.
Chaque kwênin se devait d'avoir un « étranger »
chez lui sous peine de stigmatisation, de rejet et le cas
échéant, de mise en quarantaine vu que « ne pas avoir un
étranger chez soi serait signe de méchanceté selon les
ancêtres » (Discours recueilli auprès du chef de
kouêtinfla, Chef Z., plus de 60 ans, planteur à Djamandji en
Novembre 2015). Les autochtones étaient implicitement contraints de
faciliter l'arrivée et l'installation de migrants relativement aux
instructions ancestrales.
Aussi, est-il à préciser que les autochtones
disposaient de portions assez vastes à leurs yeux, à telle
enseigne qu'ils pensaient qu'en donner quelques dizaines d'hectares
n'affecteraient pas l'étendue des terres pour la
génération à venir.
Selon Mr I., secrétaire principal de la
Sous-préfecture (entretiens de Décembre 2015) « nos
parents, lorsqu'ils donnaient les terres par amitié ou contre un service
rendu, ne prévoyaient pas que ces terres, à un certain moment,
allaient manquer. Les proportions de terre sans fin qu'ils voyaient, sont
illusoires aujourd'hui du fait des dons sans mesure ».
Une position que semble partager le président de la
jeunesse de blontifla (P. 43 ans, entretiens de Décembre 2015) pour qui
« les jeunes autochtones de sinfra sont aujourd'hui
désoeuvrés, ils manquent constamment de terres dans leur propre
village et hésitent souvent entre errance et consolidation violente
d'espaces de culture ».
211
? Augmentation du nombre de transhumants
Dans un focus-group organisé avec la jeunesse de
Béliata, F., le président des jeunes (lors entretien de Juin,
2016) affirme que « les chasseurs de boeufs qui n'étaient pas
beaucoup il y a quelques années seulement à Sinfra, sont devenus
nombreux, trop nombreux dans nos villages ». Il ressort de ces propos
du président de la jeunesse de Béliata que la croissance
démographique actuelle de Sinfra est certes liée aux effets
conjugués des naissances autochtones et allogènes, mais force est
de reconnaitre l'importance les flux d'arrivants allochtones et non-ivoiriens
à des fins pastorales. En effet, le paysage rural de Sinfra
dominé par un clivage végétatif (forêts denses,
forêts clairsemées et savanes arborées) semble correspondre
aux exigences de la transhumance. Ainsi, par un processus de collaboration
entre les allogènes de Sinfra et ceux, restés dans leur ville ou
pays natal, le département va assister à une migration
progressive de ces allogènes vers Sinfra, à l'effet de
développer de cette activité pastorale, prometteuse dans le
département.
De plus, selon un peulh transhumant de Djamandji (entretien de
Juin, 2015), « ici, la terre est bonne et la pluie qui ne vient pas
trop, arrangent notre travail ». Autrement, les variations
pluviométriques allant de 1.200 à 15.00 mm de pluie dans le
département, ont davantage attiré ces pasteurs vers la
localité où ils s'activent désormais à
intégrer une transhumance d'animaux venant des pays voisins (Burkina
Faso, Mali et Guinée) à la mobilité pastorale
déjà existante, saturant davantage l'espace rural de Sinfra
dominé par les activités agricoles.
De ce fait, ces pasteurs (anciens et nouveaux) vont se voir
négocier en permanence de petits espaces pour la construction de
pâturages au cheptel ou le cas échéant, créer des
enclos aux abords des pistes villageoises, des points d'eau, des verges, des
plantations de certains cultivateurs de la localité. Ce voisinage
improvisé pour des raisons de rareté d'espaces aux
activités pastorales, n'est pas sans conséquences
négatives pour ces acteurs (cultivateurs et pasteurs) aux
activités antinomiques. En effet, lorsque les pasteurs promènent
le bétail dans les pistes villageoises ou champêtres assez
étroits, les animaux font des intrusions momentanées dans les
champs des cultivateurs avant se faire ramener par ces pasteurs. Mais cette
intrusion bien que temporellement courte, laisse des dégâts qui
complexifient au quotidien la relation déjà dualiste entre
pasteurs et agriculteurs de la localité.
212
Dans ces conditions, les autochtones cultivateurs
mènent des campagnes de sensibilisation au sein de la communauté
native afin de durcir les modalités d'acquisition d'espaces pour la
transhumance et dans de nombreux cas, défrichent tous leurs
différentes terres afin de néantiser l'espace adéquat pour
la transhumance. A ce titre, l'enquêté G. (40 ans, cultivateur
à Djamandji, entretien de Décembre 2015) affirme que «
les propriétaires de boeufs sont devenus trop nombreux dans notre
village et ils laissent leurs animaux détruire nos plantations. C'est
pourquoi, nous avons décidé de les pousser à partir
d'eux-mêmes, en travaillant sur toutes nos terres ». Dès
lors, il ressort que les cultivateurs de Sinfra usent de nombreux moyens
(utilisation de l'ensemble de leurs terres, refus de cession des terres) pour
contenir le surpâturage de ce nombre croissant de transhumants et la
réduction des pâturages existants. Une décision qu'ils
estiment pouvoir contenir les flux migratoires de pasteurs et de leurs animaux
supposés envahir le département et errer dans l'ensemble des
contrées de la localité.
? Réduction des espaces accordés aux
transhumants et Occupation des forêts et parcs environnants le
département
Les investigations menées dans notre zone
d'étude montrent que le développement assez remarquable des
activités agricoles à Sinfra a des conséquences sur la
réduction des espaces pâturables. En effet, l'évolution
démographique de la localité a accentué la demande locale
en denrées alimentaires ; ce qui a, selon le Préfet N. «
permis à la population de développer et de diversifier les
activités de production (intégration de
l'hévéaculture, de l'anacarde et du palmier à huile) dans
le but de répondre à cette demande sans cesse croissante »
(entretien d'Octobre 2016).
Ainsi, en accordant la primauté aux activités
agricoles, les activités de transhumance ont été
rétrogradés à un niveau secondaire voir tertiaire dans le
processus de couverture alimentaire de la localité. Cela s'explique par
le fait que ces transhumants, minoritaires (par rapport aux agriculteurs)
forment des groupes sociaux distincts, souvent dispersés dans l'ensemble
des villages des différentes tribus et paraissent soumis à un
processus progressif d'exclusion à telle enseigne que les espaces qu'ils
utilisent pour des besoins de pâturage et par ricochet de transhumance,
sont continuellement réduits par ces cultivateurs majoritaires.
213
Pour un pasteur guinéen de la localité
(entretien d'Août, 2016) « les gouro d'ici nettoient tous les
terrains même les terrains qu'on nous a dit qu'on va nous donner ».
Il ressort donc qu'au-delà des forêts indiquées pour
des fins d'agriculture, les savanes clairsemées (Sian, Nanan et Vinan)
souvent propices au développement des activités pastorales,
semblent ne pas être épargnées par les défrichages
de masse par les agriculteurs sédentaires.
Dans cette mesure, ces éleveurs sont au quotidien
délogés de leur lieu de transhumance locale puis relogés
dans des espaces plus réduits créant chez eux des sentiments de
peur, de repli sur soi et de contestation.
Le cycle d'expulsion foncière reprend et continue de
sorte que les espaces concédés à ces éleveurs
deviennent minimes, peu utilisables pour les exigences pastorales et ces
éleveurs restent contraints d'abandonner ces espaces au profit d'autres,
même s'ils restent conscients que ces nouvelles occupations seront d'une
durée relativement courte avant de nouvelles expropriations.
Cette réduction successive des espaces
concédés aux transhumants a connu une croissance remarquable
depuis l'année 2010. Le tableau ci-dessous donne quelques détails
de l'évolution du nombre de pâturages dans l'intervalle 2010
à 2015 dans les différentes tribus du département.
Tableau 12 : Evolution des pâturages de
2010 à 2015
Tribus Années
|
Bindin
|
Gohi
|
Nanan
|
Progouri
|
Sian
|
Vinan
|
Total
|
2010
|
8
|
6
|
9
|
4
|
14
|
7
|
48
|
2011
|
7
|
6
|
7
|
3
|
12
|
7
|
42
|
2012
|
5
|
4
|
7
|
3
|
8
|
5
|
32
|
2013
|
4
|
3
|
5
|
2
|
6
|
4
|
24
|
2014
|
4
|
3
|
4
|
1
|
5
|
4
|
21
|
2015
|
2
|
1
|
3
|
1
|
3
|
2
|
12
|
.
Source : Terrain
Il ressort de ce tableau que :
? Dans la tribu Bindin, sur 8 pâturages enregistrés
en 2010, il ne reste que 2 en 2015
214
· Dans la tribu Gohi, sur les 6 pâturages
enregistrés en 2010, il ne reste qu' 1 en 2015
· Dans la tribu Nanan, sur les 9 pâturages connus
en 2010, 3 sont fonctionnels en 2015
· Dans la tribu Progouri, tandis qu'en 2010 les
pâturages étaient au nombre de 4, ce nombre a chuté
à 1 pâturage en 2015
· Dans la tribu Sian, le nombre de pâturages qui
était estimé à 14, est passé à 3 en 2015
· Dans la tribu Vinan, en 2010 le nombre de
pâturage estimé à 7, est passé à 2 en 2015
· Dans l'ensemble des tribus du département, sur
les 48 pâturages enregistrés en 2010, il n'en reste que 12 en
2015.
La baisse considérable du nombre de pâturages
durant l'intervalle 2010 à 2015 (de 48 à 12) s'explique par le
fait que la croissance démographique galopante de Sinfra (naissances et
migrations), loin de se caractériser par une certaine parité des
acteurs s'investissant dans les deux activités majeures du
département (agriculture et transhumance), a bien au contraire traduit
cette inégalité entre ces acteurs (population s'investissant en
majorité dans les activités agricoles). Ce faisant, les
transhumants ont et continuent de connaître une réduction
considérable de leur espace d'activités, voir leur expropriation
progressive de certains domaines fonciers. Ceux-ci présentant des
caractères minoritaires, se voient abandonner leurs espaces
d'activités au profit d'autres avec tous les risques de nouvelles
évictions par ces agriculteurs majoritaires. Dès lors, la
réduction continuelle des espaces de transhumance à Sinfra, ne
répond plus exclusivement à un besoin de développement des
activités agricoles par les autochtones, mais aussi et davantage
à une volonté d'affirmation sociale et de consolidation des
terres pour la descendance avenire face à des migrants jugés trop
nombreux dans la zone.
Par ailleurs, le vieux S. (plus de 80 ans, planteur à
Douafla, entretien de Mars 2016) affirme qu'« Avant, lorsque les
habitants du village devenaient beaucoup et que le village était
surpeuplé, on demandait aux nouveaux venus de créer de nouveaux
villages dans des endroits où il y a forêt. C'est le cas de
flacouanta où les nouveaux habitants sont venus vers l'actuel Djamandji
pour créer les villages Béliata, Digliblanfla,
Bégonéta et Kouêtinfla ». Autrement pour cet
enquêté, à Sinfra, les
215
déplacements des peuples sédentaires sont
fonction de l'engorgement des villages déjà occupés.
Ainsi, lorsque les ruraux remarquent une certaine saturation des villages, ils
exigent aux nouveaux venus et aux jeunes ayant atteint l'âge de la
majorité, de faire des expéditions et s'installer sur de
nouvelles terres afin d'y fonder leurs familles et y cultiver la terre.
Conformément à cette façon de procéder, de nombreux
villages parallèles ont vu le jour dans le département
(Proziblanfla, Proniani, Dégbesséré, Tiézankro I et
II) et au-delà des frontières du département jusqu'aux
environs du parc national de la marahoué à proximité de
l'axe routier Bouaflé-Daloa.
Cette présence des habitations et des champs de plus en
plus rapprochés du parc de la marahoué a des conséquences
tenant à des intrusions fréquentes des ruraux dans cette aire
protégée avec tous les risques de chasse des principales
espèces animalières y vivantes (éléphants, buffles,
hippopotames,...). C'est dans ce cadre qu'un agent de l'Office Ivoirien des
Parcs et Réserves (OIPR) (Mr B. 52 ans, agent chargé de la
planification des aires protégées, entretiens de Mars 2016)
affirme que « le parc national de la marahoué, malgré le
dispositif sécuritaire mis en place à savoir les nombreux
miradors positionnés de façon stratégique, fait l'objet
d'intrusion par des ruraux venant pour la plupart du département de
Sinfra. Cette superficie de 101. 000 ha est assez vaste pour une surveillance
efficiente de la réserve et de la population animale qui y vit ».
Partant de ces propos, il ressort que le parc national de la
marahoué fait l'objet d'intrusion fréquente par des ruraux (en
provenance de Sinfra) en quête d'espace de culture.
Et même si de nombreux facteurs sont
évoqués par les enquêtés pour expliquer cette
situation : inconséquences des décisions de l'Etat, laxisme et
corruption du personnel du parc, insuffisance des moyens humains et
matériels destinés à la protection, ce parc reste sujet
à des défrichements agricoles et un braconnage intensifs par des
ruraux déserteurs des contrées saturées de Sinfra et
hantés par le désir pressant de développer leurs
activités agricoles pour y combler la période de famine
« klata ».
216
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