5.1.4 Acteurs de gestion eux-mêmes acteurs de
conflits
Nos investigations menées à Sinfra
révèlent que dans de nombreuses contrées du
département, les « élus locaux » autrefois
sans terre, se retrouvent aujourd'hui avec des portions remarquables de terre
et des champs aux dimensions étonnantes. En effet, pour certains
autochtones de la tribu Progouri, ils useraient de leur position
hégémonique pour intimider les propriétaires terriens
gouro et s'approprier une partie de leurs terres. C'est dans ce cadre que
l'enquêté F. de Djamandji (39 ans, cultivateur, entretien de
Février 2016) affirme « quand les vâ de Sinfra demandent
des terres à nos parents, ils ne peuvent pas refuser sinon....Ne me
demande pas, toi-même tu sais ce qui va arriver. Donc, tous les planteurs
leur ont donné des terres et maintenant, ils ont plus de terres que la
plupart des kwênins et des champs d'hévéa, de cacao dans
presque toutes les sous-préfectures de Sinfra ». De ces
propos, il ressort que cette réquisition massive des terres des
autochtones par les autorités, se présente comme une forme
d'appropriation foncière symbolique c'est-à-dire celle
s'effectuant avec la complicité de ces victimes autochtones qui,
conscients de leur position sociale inférieure participent à leur
propre appauvrissement foncier. Ceux-ci, aspirant au quotidien à leur
protection individuelle et celle de leurs biens fonciers face à des
allochtones jugés à la fois nombreux et corrupteurs, accordent
des portions importantes de terres à ces autorités locales afin
de s'insérer sous une forme de couvert protectionniste lors
d'éventuels conflits fonciers avec d'autres ruraux allochtones.
Ainsi, à partir de cette appropriation foncière
axée sur la promotion de l'influence locale et des pouvoirs y
afférents, ces décideurs locaux ont acquis des nombreux espaces
sur lesquelles ils y ont effectué pour quelques- uns, des champs
d'hévéa, de cacao, de café, d'anacarde afin de mettre
leurs familles à l'abri des besoins vitaux élémentaires et
pour d'autres, la transhumance à grande échelle.
Par ailleurs, pour éviter les regards suspects, la
plupart de ces plantations et pâturages que nous avons visités, se
situaient sur des terrains reculés, à l'extrémité
de chaque sous-préfecture (champs d'hévéa et d'anacarde
situés sur l'axe routier
200
Sinfra-Progouri, champs de coton, cacao et café, sur
l'axe Sinfra-Bazré, cinq pâturages de cheptel à
Zéménafla, Djamandji, tricata, Tiézankro II et Progouri
).
A cette situation de consolidation massive des terres, tandis
que certains autochtones semblent dénoncer à voix basse et
qualifier cette forme de consolidation comme étant politique, de
nombreux ruraux semblent se complaire dans cette situation d'octroi
incontrôlé des terres et vont plus loin pour demander à
être des « gnananwouzan » ou «
tréklé » permanents de ces élus, sans
véritable contrepartie financière.
Outre ce fait, un facteur non moins évoqué reste
les possessions des chefs traditionnels en termes de cheptels, de
pâturages,... qui traduisent leur souplesse mieux leur quasi inaction
lorsque les boeufs dévastent les champs puisqu'il peut s'agir de leurs
propres animaux.
Ainsi, un enquêté affirme « qu'avant
quand un boeuf gâtait le champ de quelqu'un, les chefs étaient
sévères et beaucoup d'amendes étaient fixées. Mais
aujourd'hui, il n'y a plus rien, je dis bien rien. Prie seulement que les
boeufs ne dévastent pas ton champ ». De là, il apparait
dans un passé récent, les chefs traditionnels infligeaient des
amendes importantes et d'autres mesures de sureté (interdiction de
promener les animaux dans certaines zones champêtres) aux transhumants.
Ceci a eu pour conséquence de réduire considérablement les
cas de destruction de culture et créé un cadre social plus ou
moins pacifique.
Mais l'enquêté affirme que par un processus
corruptif bien ficelé et camouflé de dons en échanges de
décisions pipées, les chefs traditionnels sont presque tous
devenus des détenteurs de pâturages. Les décisions
désormais prises dans un conflit foncier opposant un planteur à
un pasteur sont connues d'avance (le pasteur a toujours raison) puisqu'il
pourrait s'agir des animaux de l'acteur même qui gère le
problème ou d'un collègue aussi membre de ce réseau
clientéliste.
L'enquêté affirme également que dans
quelques cas rares, les planteurs s'ils n'ont pas été soumis
à une périlleuse procédure scientifique de recherche de
preuves pour déterminer la responsabilité des transhumants, se
font indemniser avec des sommes forfaitaires qui leur sont accordées
dit-on pour estomper une procédure dans laquelle ils ne peuvent avoir
raison.
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