5.1.3 Stigmatisation des acteurs de gestion et
expropriation des allochtones des espaces fonciers
Des négociations engagées auprès des
quatre sous-préfectures (Sinfra, Bazré, Kononfla et
Kouêtinfla) ont permis de recueillir les procès -verbaux des dix
dernières affaires foncières réglées entre les
autochtones et les allochtones dans l'année 2016. Les détails se
trouvent synthétisés dans le tableau ci-dessous.
Tableau 10: Procès-verbaux des affaires
réglées
S/P
Population
|
Sinfra
|
Bazré
|
Kononfla
|
Kouêtinfla
|
Total
|
Autochtones
|
04
|
05
|
03
|
04
|
16 40 %
|
Allochtones
|
06
|
05
|
07
|
06
|
24 60%
|
Total
|
10
|
10
|
10
|
10
|
40 100%
|
Source : Terrain
Il ressort de ce tableau qu'en 2016 :
- sur 10 affaires foncières réglées par
la Sous-préfecture de Sinfra, 06 décisions, soit 60% des cas ont
été favorables aux allochtones
- dans la sous-préfecture de Bazré, 05 cas, soit
50% ont été favorables à chacun peuple
sédentaire.
- Dans les sous-préfectures de Kononfla et
Kouêtinfla, les allochtones l'emportent avec simultanément 07 et
06 décisions, soit environ 70% et 60%.
- En somme, sur un total de 40 affaires, 24, soit 60% ont
été favorables aux allochtones contre 16 ou 40% pour les
autochtones.
Ces chiffres, à première vue, semblent
révéler l'attitude pacifique et non confligène des
allochtones, mais dans la pratique ces chiffres traduisent sensiblement que
quelques décisions ont été orientées en raison en
raison du statut socio-matériel des allochtones et de leur influence
sociale.
Des entretiens effectués auprès de quelques
responsables de ces sous-préfectures ont révélé que
des décisions de justice ont été expressément
modifiées pour créer un calme social dans cet environnement ou
les rivalités politiques se transportent dans la sphère
foncière.
197
A partir de ces décisions, il était important
pour nous de connaitre le niveau de stigmatisation des acteurs de gestion eu
égard à leur attitude partiale dans la gestion des conflits
fonciers à Sinfra.
A cette fin, un questionnaire a été
adressé à 25 individus retenus par choix raisonné dans
chaque sous-préfecture. Les données recueillies ont
été regroupées dans le tableau ci-dessous :
Tableau 11: Niveau de stigmatisation des acteurs de
gestion
S/P Niveau
|
Sinfra
|
Bazré
|
Kononfla
|
Kouêtinfla
|
Total
|
Faible
|
04
|
06
|
13
|
03
|
26 26%
|
Moyen
|
12
|
11
|
03
|
08
|
34 34%
|
Elevé
|
09
|
08
|
09
|
14
|
40 40%
|
Total
|
25
|
25
|
25
|
25
|
100 100%
|
Source : Terrain
A l'analyse de ce tableau, il ressort que :
- Sur 100 individus dans l'ensemble des quatre (04)
sous-préfectures, 26, soit 26% ont un niveau de stigmatisation faible
des acteurs de gestion.
- 34 ou 34% des enquêtés stigmatisent moyennement
les acteurs de gestion.
- 40 individus ou 40% des enquêtés stigmatisent
fortement les acteurs de gestion.
Ce niveau élevé de stigmatisation des acteurs de
gestion (40%) est lié aux effets conjugués de l'accumulation de
frustrations (décisions arbitraires) et ce rejet social de ces acteurs
pourtant censés garantir la justice et l'égalité des
droits des citoyens. Les autochtones dans leur majorité, ont
trouvé comme moyen de contournement de ces décisions arbitraires,
l'exclusion foncière de ces allochtones privilégiés par
les acteurs de gestion. De ce fait, les autochtones, tentent des appropriations
massives de parcelles autrefois octroyées aux allochtones. Ils
procèdent donc dans cette atmosphère, par des examens et
réexamens de ces contrats en vue de débusquer des
incohérences, des imprécisions pouvant constituer un
prétexte suffisant pour redéfinir le contrat ou le cas
échéant, exproprier les allochtones de ces domaines. Ces contrats
qui figurent pour la plupart sur des « petits papiers » sont
souvent égarés, mal conservés ou encore imprécis,
occasionnant une satisfaction des autochtones gouro qui peuvent intenter de
nouvelles ventes de ces parcelles ou encore les
198
conserver à leur usage personnel. Ainsi, pris au «
piège » de la minorité ethnique et communautaire,
certains allochtones se voient racheter leurs propres terres ou
expropriés selon des méthodes pacifiques ou violentes. On assiste
donc à un climat dualiste entre ces peuples, dans un environnement
où chacun cherche à étendre son réseau de relations
sociales. Cette dualité, ces contradictions foncières, se soldent
fréquemment par des menaces d'exclusion, des harcèlements
permanents des allochtones sur la probabilité d'une éventuelle
expulsion.
Toutefois, un fait non moins évoqué, reste les
incendies criminelles perpétrées par certains allochtones lors
des violences post-électorales de 2011, dans les villages Koblata et
Proniani (Sinfra). Ces incendies qui ont, selon les autorités locales,
occasionné le décès de 50 autochtones, ont attisé
une stigmatisation des nordistes de la localité et par voie de
conséquence des allochtones. Les allochtones semblent désormais
de plus en plus isolés, écartés des centres de
décisions. Cet étiquetage
est d'autant plus perceptible au niveau de l'institution
familiale, lignagère et intracommunautaire autochtone où l'on
assiste à des sensibilisations occultes de certains cadres gouro sur
l'isolement, la mise en quarantaine ou même l'expulsion des allochtones
dans la majorité des contrées rurales gouro.
Toutefois, il est à noter que ces incendies sont
l'oeuvre des groupes isolés aux intentions criminelles et non l'action
conjointe de l'ensemble des allochtones vivants à Sinfra. Ceux-ci sont
désormais stigmatisés dans leur ensemble sous la nomenclature
« allochtone » et expropriés en masse pour ceux qui
ne disposent des contrats d'achats ou de contrats douteux.
Selon des entretiens effectués dans quelques villages
à prédominance allochtone telles que Brunoko et carrefour
campement (situés à une quinze de kilomètres du
centre-ville), l'enquêté T. (34 ans, cultivateur à
Brunokro) « Depuis la crise, les gouro inventent de nombreux arguments
irréalistes pour nous chasser des forêts ».
Pour le préfet N. (67 ans, Préfet hors grade,
entretiens d'Avril 2015) « la situation sécuritaire entre les
ruraux de Sinfra s'est principalement dégradé depuis les
violences post-électorales de 2011 ».
Certains expropriés tels que L. (ancien planteur de
Djamandji, entretien d'Avril, 2015) pensent que « ces peuples qui
étaient aussi hospitaliers ont beaucoup changé avec nous. Tout ce
qu'ils veulent aujourd'hui, c'est de nous arracher toutes les terres,
même celles que nous avons achetées ». Ce scepticisme
des propriétaires terriens
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« kwênins » s'explique par une
volonté univoque d'exproprier, d'un refus de cohabitation d'avec ces
peuples allochtones.
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